Ce masque qui n’a à peu près jamais quitté la scène depuis sa création en 1718 fut l’objet de multiples révisions, adaptations, orchestrations (notamment de Mozart en 1788) jusqu’à l’âge romantique. L’interprétation de ce soir restitue la toute première version de l’œuvre (1718) et c’est donc un Acis and Galatea al fresco qui nous est donné à entendre.
Tout séduit l’auditeur dans cette musique composée dans le cadre agreste de la propriété du duc de Chandos : le chant délicat et néanmoins contrasté, l’orchestre dont les cordes, hautbois et flûtes donnent la répartie aux protagonistes de la pastorale. Si nous avons à l’oreille des interprétations endiablées, pleines de peps et de swing, de cette œuvre si réjouissante, le chef argentin Leonardo García Alarcón renonce aux facilités virtuoses pour nous faire entendre toutes les nuances d’une partition fort riche où la gravité et la déploration quasi-liturgiques surgissent au détour d’un chœur, comme lors du splendide « Wretched Lovers ! » qui ouvre la seconde partie, alors que le Polyphemus de la basse suédoise Staffan Liljas sort de sa grotte au milieu des fumées. S’ensuit un ample récitatif plein de rage, prélude d’une aria (« O ruddier than the Cherry ! ») haute en couleurs, où les notes du piccolo agissent comme un discret persiflage : la déclaration enflammée du cyclope n’est pas loin de faire sourire. L’une des grandes joies de l’interprétation donnée ce soir tient en effet en ceci que le public se demande s’il entend une véritable pastorale ou plutôt une œuvre, nourrie d’influences et citations diverses, notamment issues de la musique italienne – rappelons qu’en 1718 Haendel est déjà l’auteur de la sérénade Aci Galatea e Polifemo (1708) commandée par une princesse napolitaine – dont la dimension parodique affleure en bien des passages.
Rien ne semble devoir être véritablement pris au sérieux dans ce divertissement galant, ni la colère du géant qui écrase son rival d’un rocher, ni même la tendresse énamourée qui unit Acis et Galatea. La soprano colorature Julie Roset campe une nymphe fort douce et fort délicate. Son beau timbre clair et coloré fait merveille dans l’air liminaire « Hush, ye pretty warbling Quire ! » Tel est aussi le cas dans l’air « As when the Dove », où le beau violon (fabriqué à Crémone en 1623) de Ji-Yoon Park dialogue délicatement avec la voix. Acis est quant à lui incarné par la plus britannique des voix de ce soir, en l’occurrence celle du ténor Mark Milhofer, au timbre fort élégant et fort à l’aise dans le répertoire anglo-saxon, de Purcell à Britten. Son premier air, « Where shall I seek the charming Fair ? » a quelque chose d’amusé et de très léger à la fois, au contraire des interprétations plus habituelles qui jouent surtout des contrastes appuyés de la musique. Notons aussi son air orgueilleusement héroïque « Love sounds th’Alarm » qui précède les conseils de l’avisé Damon du ténor suisse Valerio Contaldo. Ce dernier, dont la voix souple dialogue avec l’orchestre, notamment dans le second acte (« Consider, fond Sherherd »), paraît se jouer de la posture du donneur de leçons.
Insistons sur l’homogénéité du plateau tant vocal qu’orchestral et sur la solidarité de l’ensemble grâce à la direction de Leonardo García Alarcón. Les musiciens de l’orchestre philharmonique de Radio-France sont autant de solistes tour à tour mis en valeur. Il en va de même du chœur à cinq voix qui scande les principales étapes de l’œuvre, passe de l’allégresse primesautière aux accents élégiaques de la déploration, le tout avec cette distance, disons ce flegme, qui nous rappelle à chaque instant que ce n’est qu’un jeu, jusqu’au « Shepherds’ Pleasure » joliment ornementé du finale.
Galatea : Julie Roset
Acis : Mark Milhofer
Polyphemus : Staffan Liljas
Damon : Valerio Contaldo
Coridon : Fabio Trümpy
Ana Vieira Leite, soprano
Leandro Marziotte, alto
Matthieu Heim, basse
Orchestre Philharmonique de Radio-France, dir. Leonardo García Alarcón
Ji-Yoon Park , violon solo (violon d’Antonio et Girolamo Amati, Crémone, 1623)
Acis and Galatea
Semi-opera en deux actes de Georg Friedrich Haendel, texte en anglais de John Gay (incluant des pages d’autres auteurs) d’après la légende d’Acis et Galatée tirée des Métamorphoses d’Ovide. Probablement écrit et créé à Cannons entre 1718 et 1720 puis représenté dans sa version définitive à Londres en 1731
Concert du 21 mai 2022 à l’auditorium de Radio France.