Tournée live de l’enregistrement studio — Orfeo by Alarcón
Nous avons eu la chance, en fin d’année dernière, d’avoir pu jeter une oreille sur l’enregistrement de l’Orfeo de Monteverdi, sous la direction de Leonardo Garcia Alarcón. Nous avions majoritairement été séduit par les différents partis pris du chef et de son casting vocal. C’est donc mus d’impatience que nous souhaitions assister in situ à la représentation de cette favola in musica en version de concert, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence ce lundi 11 juillet 2022. La plupart des interprètes ayant été conservés, nous réitérons pour beaucoup ce que nous en avions dit lors de notre compte rendu à l’occasion de la sortie du disque. Nous profiterons donc de cet autre compte rendu pour affiner, infirmer ou confirmer nos premières considérations.
En premier lieu, les deux premiers rôles (Orfeo et Euridice), tenus respectivement par Valerio Contaldo et Mariana Flores, n’ont pas bougé d’un iota par rapport à leur performance studio — ce qui a été une excellente nouvelle. Les deux interprètes ont en effet su conserver l’exigence technique, de facto plus permissive lors d’un enregistrement, qu’ils avaient proposé au disque. Ce calque a été tellement convaincant que nous ne pouvons que reprendre mot pour mot nos impressions : un Orphée très chaleureux, et surtout très généreux dans le lyrisme induit par le personnage. Par sa voix d’une rare élasticité, pouvant assurer à la fois de grands passages dramatiques et se faire légère dans les passages vocalisés, Contaldo tient son rôle avec une grande maîtrise et subtilité. Le fameux air « Possente spirto » de l’acte III, souvent chevrotant pour la majorité des interprètes, est ici exécuté avec des trilli aussi souples que précis. Le tube « Tu sei morta » de l’acte I est quant à lui rendu avec une conduite vocale exemplaire. Concernant Mariana Flores, nous retrouvons l’intelligence dramatique propre à cette interprète également habituée du chef. Son approche de la fragilité d’Eurydice est, paradoxalement, très solide, si bien que jamais nous n’avons l’impression que la voix s’en va, alors même qu’elle s’en va. Une fragilité parfaitement investie par une interprète ayant saisi l’essence même du personnage fantomatique d’Eurydice.
Une mention très spéciale au rôle de Caronte, tenu par Salvo Vitale, qui arrive à donner de l’ampleur musicale à ses phrases, pourtant recto-tono, grâce à la manière subtile dont il varie les couleurs de ses syllabes. Mais notre plus heureuse (re)découverte a sans doute été la contribution de Julie Roset dans le rôle d’une Ninfa au premier acte. Sa tenue vocale et sa conduite mélodique ont tout, selon nous, pour représenter l’avenir de ce répertoire. Il est de ce fait fort dommage que son rôle lui ait seulement donné l’occasion de chanter une phrase en soliste et une autre en trio. Ces quelques secondes ont pourtant suffi à la démarquer du reste des second-rôles, à tel point que nous aurions vivement souhaité l’entendre dans des rôles un peu plus gourmands, comme celui de La Speranza ou de Prosperina, tenus pour l’occasion par Anna Reinhold, dont les portamenti réguliers ne nous ont pas convaincu. Quelques réserves également pour Coline Dutilleul, dont le rôle de La messagiera n’a pour nous pas pleinement été déployé.
Nous saluons de nouveau la manière dont Alarcón conduit la partition, et ses innovations dans la réalisation du continuo ainsi que dans le soin apporté aux contrastes des « passions contraires » monteverdiennes entre les sections. La fraicheur et l’espièglerie musicale mises en œuvre permettent à l’opéra de faire peau neuve, par un enrichissement significatif de la basse continue, désormais non plus dévolue aux seuls instruments polyphoniques (clavecin, luth), mais à des instruments mélodiques comme les parties de violons, de flûtes, ou de cuivres. Ce choix audacieux ajoute ainsi une plus-value significative par rapport à la sécheresse des rendus traditionnels des récitatifs du début du XVIIe siècle. Nous noterons également un soin tout particulier apporté aux passages en basses obstinées, dont on soupçonne une mise en exergue de leur origine populaire. Chaque basse obstinée de la partition est traitée par l’ensemble Cappella Mediterranea comme une musique de danse, si bien qu’elle donne l’illusion d’une rafraichissante excursion dans l’Italie du Sud. Toutefois, il nous a semblé que toutes ces bonnes idées, savamment dosées au disque, ont un peu débordé sur la scène. La souplesse de la direction d’Alarcón a en effet pu, à plusieurs reprises, entrer en dissonance avec l’horizon esthétique de cette oeuvre du début du XVIIe siècle. Sans jouer les authenticomanes, nous dirons tout de même que l’approche du recitar cantando monteverdien a parfois abandonné la rhétorique baroque au profit du sentiment romantique : points d’orgues intempestifs, ralentis et accélérations donnant l’impression de rubatos un peu forcés, ou traitement vocal plus tourné vers le vérisme que vers le belcantisme. Si cela est bien entendu anecdotique en regard de la qualité générale dont nous avons été témoins, il reste que c’est une tendance qu’il nous semblait nécessaire de pointer.
Orfeo : Valerio Contaldo
Caronte : Salvo Vitale
Pastore I, Spirito III, Eco : Nicholas Scott
Pastore III, Apollo : Alessandro Giangrande
Pastore II : Leandro Marziotte
Pastore IV : Matteo Bellotto
La Musica, Euridice : Mariana Flores
La Messaggiera : Coline Dutilleul
La Speranza, Proserpina : Anna Reinhold
Ninfa : Julie Roset
Chœur de chambre de Namur, Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
L’Orfeo
Favola in musica en un prologue et cinq actes de Claudio Monteverdi, livret d’Alessandro Striggio fils, créé le 24 février 1607 au Palazzo Ducale de Mantoue.
Concert du 11 juillet 2021, Grand Théâtre de Provence, Festival d’Aix-en-Provence