L’édition 2022 du festival Rossini de Bad Wildbad s’ouvre triomphalement par une flamboyante version de concert d’Armida
L’édition 2022 du festival Rossini de Bad Wildbad vient de s’ouvrir triomphalement par une flamboyante version de concert d’Armida, deuxième opéra composé par Rossini pour le San Carlo de Naples, et qui demeure aujourd’hui assez peu représenté, sans doute en raison de la grande difficulté à réunir une distribution idoine. Outre le rôle-titre, d’une difficulté monstrueuse, six ténors (!) se partagent l’affiche, pour des interventions parfois relativement brèves mais qui n’en demeurent pas moins extrêmement exigeantes vocalement. Si certains rôles peuvent être confiés à un même chanteur (c’était déjà le cas à la création où Goffredo et Carlo, de même que Gernando et Ubaldio, étaient chantés par un seul et même interprète), le festival de Bad Wildbad n’a pas choisi la facilité en distribuant six chanteurs différents dans les personnages des six croisés occupés à lutter contre les sortilèges de la magicienne Armida !
C’est à Moisés Marin que revient l’honneur d’ouvrir les festivités vocales, avec l’air redoutable confié à Goffredo dans lequel le ténor espagnol impressionne par une émission maîtrisée sur l’ensemble de la tessiture, y compris dans l’extrême grave qui reste superbement timbré. Les variations proposées (« Arditi, all’ire ») sont sobres, élégantes, parfaitement exécutées. Nous n’avions pas entendu Patrick Kabongo dans Rossini depuis son Barbier de Séville tourangeau en 2020 : sa voix semble avoir encore gagné en rondeur et en projection, avec, là aussi, de beaux graves chauds et bien timbrés. La technique vocale est toujours aussi maîtrisée, permettant au chanteur, dans son air d’entrée, des vocalises déliées parfaitement intégrées à la ligne de chant, ou encore un superbe diminuendo sur « cruda mercè mi da ». Michele Angelini, enfin, fait entendre en Rinaldo une voix suffisamment différente de celle de ses collègues en termes de couleurs pour éviter tout risque de monotonie. L’émission et la projection vocale semblent chez ce ténor italien étonnamment naturelles et faciles, l’effort n’étant guère perceptible (si peu…) que dans l’extrême aigu de la tessiture. La couleur de la voix, fraîche et claire, lui permet de valoriser le côté tendre et amoureux du personnage plus encore que son aspect héroïque, même s’il fait preuve de toute la vaillance attendue dans l’étonnant trio du dernier acte, où la maîtrise des coloratures et des redoutables sauts de tessiture impressionne le public qui lui réserve la plus belle ovation de la soirée. Une ovation partagée avec ses collègues Chuan Wang (Carlo) et César Arrieta (Ubaldo) qui lui apportent une réplique parfaitement appropriée. Le ténor vénézuelien César Arrieta, notamment, séduit par un timbre doux et chaleureux qui semble le destiner à certains emplois mozartiens ou rossiniens : il pourrait sans doute être dans quelque temps un fort joli Almaviva ou Ramiro… Manuel Amati (Eustazio), Shi Zong (Astarotte) et Jusung Gabriel Park (Idraote) complètent efficacement cette distribution masculine d’une belle homogénéité.
On attendait, dans le rôle-titre, Angela Meade, dont les moyens pour le moins impressionnants auraient pu a priori correspondre à l’emploi vocalement terrifiant d’Armida. C’est finalement à la jeune Ruth Iniesta, qui avait impressionné Camillo Faverzani l’été dernier à Brescia, qu’échoit le rôle-titre. Le premier acte nous laisse un peu dubitatif : si la voix se projette avec aisance, les vocalises manquent parfois de netteté et sont émises prudemment, souvent à mi-voix, contrairement à ce qu’exige cet emploi de soprano drammatico d’agilità (c’est particulièrement sensible dans le duo « Amor, possente nome », où la comparaison avec le chant de Rinaldo tourne à l’avantage du ténor). Mais dès le deuxième acte, la chanteuse sort de sa réserve : le fameux « D’amore, al dolce impero » impressionne par ses variations prises à un tempo extrêmement rapide et le suraigu qui le couronne. Si les terrifiantes imprécations d’Armida (« Se al mio crudel tormento ») excèdent quelque peu les moyens de la chanteuse (mais quel soprano des XXe et XXIe siècles, Callas exceptée, en vient véritablement à bout ?), la scène finale, dans le pathétique de « Dove son’io » comme dans la fureur destructrice de « È ver … gode quest’anima », force le respect et valent à la chanteuse, pour l’implication totale dont elle fait preuve, un formidable succès.
À la baguette, on retrouve José Miguel Pérez-Sierra, qui avait déjà dirigé l’œuvre en octobre dernier à l’Opéra de Marseille. Le jeune chef s’attache à livrer une lecture très dramatique de l’œuvre, au prix parfois de certains petits excès : l’orchestre sonne ici ou là un peu fort dans la salle de la Trinkhalle (mais après tout ne faisait-on pas déjà ce reproche lors de la création de l’œuvre, Rossini ayant été accusé de « germanisme » en raison de l’ampleur accordée à l’écriture orchestrale ?), et si certains contrastes dynamiques ou rythmiques semblent un peu appuyés (le tempo très rapide de « Cara per te quest’anima » surprend après celui, très tranquille, de « Amor, possente nome »), d’autres sont très bienvenus (le fulgurant « È ver … gode quest’anima », beaucoup plus rapide que ce qu’on entend habituellement). L’implication du chœur philharmonique et de l’orchestre philharmonique de Cracovie est, quant à elle, récompensée par un fort beau succès public. L’orchestre notamment, après un début un peu hésitant, se montre à la hauteur des exigences de la partition – en particulier dans le ballet, très applaudi ! -, avec de belles interventions, raffinées et sensuelles, des violons – dans l’accompagnement du duo « Soavi catene » au dernier acte – et violoncelles – dans le ballet, que Rossini réutilisera dans Moïse et Pharaon.
Signalons pour finir l’attention extrême du public, qui a eu par ailleurs (fait rarissime !) le très bon goût d’attendre la fin des airs, duos ou ensembles pour manifester son enthousiasme, sans les interrompre en permanence par des applaudissements malencontreusement placés entre les sections lentes et rapides des morceaux…
Armida : Ruth Iniesta
Rinaldo : Michele Angelini
Goffredo : Moisés Marin
Gernando : Patrick Kabongo
Carlo : Chuan Wang
Ubaldo : César Arrieta
Eustazio : Manuel Amati
Idraote : Jusung Gabriel Park
Astarotte : Shi Zong
Philharmonischer Chor Krakau, Philharmonisches Orchester Krakau, dir. José Miguel – Pérez Sierra
Armida
Dramma per musica de Gioachino Rossini, livret de Giovanni Schmidt d’après la Jérusalem délivrée du Tasse, créé le 11 novembre 1817 au Teatro San Carlo de Naples.
Concert du vendredi 15 juillet 2022, Festival de Bad Wildbad