Rencontres musicales de Vézelay – Carnet de bord J3 : un chemin de foi et d’espérance, de l’hommage à Joséphine Baker jusqu’aux polyphonies hongroises et de Poulenc
Si “Vézelay, Vézelay, Vézelay, Vézelay » est le plus bel alexandrin de la langue française selon Louis Aragon, les Rencontres musicales de Vézelay ne seraient-elles pas le plus original des festivals de musique sur le territoire national ? Tandis que la basilique romane de Vézelay, les églises et jardins de l’Avallonnais (Yonne) résonnent en musiques, les passerelles entre mémoire et exploration irriguent les Rencontres, du 25 au 28 aout. De la haute-contre Jéliote à l’hommage à Joséphine Baker, auditrices et auditeurs font l’expérience d’un élargissement culturel, incluant tant les musiques tsiganes, bulgares que jazzy.
Du jazz à Transylvania transplanté dans l’Avallonnais
« Que le public soit un acteur des Rencontres de Vézelay ! » (François Delagoutte, directeur des Rencontres). Les festivaliers ne s’en privent pas, alléchés par les ateliers de Beatbox ou de danse tsigane. Ce matin du 27 aout, le trio de jazz Voice Messengers résonne dans la roseraie du manoir de Val en sel (Saint-Père-Vézelay). Sous le charmant bosquet, la chanson Couleur café de Gainsbourg est partagée par le public qui fredonne le refrain. L’après-midi, sur la Terrasse, le tour de chant de Magali Léger avec son quatuor instrumental rend un hommage à Joséphine Baker : « J’ai deux amours » …
© Vincent Ardelet
Entre-temps, dans l’église de Vault-en-Lugny, les auditeurs sont conviés au voyage en Transylvanie via le Codex Caioni. En partie transcrit par le moine franciscain Joan Caioni, facteur d’orgue en Transylvanie au XVIIe siècle, ce manuscrit collationne 346 pièces religieuses et profanes sur plus d’un siècle depuis la Renaissance européenne. L’acteur de cette exhumation est l’ensemble Zene (« musique » en hongrois), dirigé par le franco-hongrois Bruno Kele-Baujard. Chanteurs et instrumentistes restituent la richesse culturelle d’une Europe aux frontières mouvantes et aux identités multiples en proposant une recréation originale du Codex, sans ignorer les échos des Janissaires aux percussions en peaux (Hongrie sous domination ottomane). Associer une chanteuse traditionnelle tsigane, Zsuzsanna Vàrkonyi, est une clé opérante pour l’authenticité du versant populaire, telle Da De Zingaricum (anonyme). Autre versant, la commande de Bocsasd meg (Pardonne, Seigneur) à Philippe Hersant exploite les rythmes effrénés des danses tsiganes (avec le clavicymbalum) tout en insérant des polyphonies vocales ou une cadenza de violon en apesanteur. Présent au concert, le compositeur nous confie « approcher le côté quasi schizophrène des traditions des Carpathes », passant brutalement de la nostalgie à l’extravagance la plus extériorisée.
© Vincent Ardelet
Du grégorien à Poulenc, l’ensemble Aedes
Dans la basilique de Vézelay, le concert du soir marque la fin de résidence de l’ensemble vocal Aedes, fondé en 2005 par Mathieu Romano. Aedes fête cette sortie avec éclat en offrant un cheminement musical et textuel (musiques sacrées) hors chronologie, qui trace un sillon conduisant au Stabat Mater de Francis Poulenc. En effet, l’enchainement des polyphonies de Janequin, Shchedrin (1932- ), Gesualdo, Pärt, Messiaen provoque des vibrations qui se métamorphosent en couleurs, telles les visions de synesthésie. Le bleuté des chœurs a cappella se transforme en de violentes teintes grenat (Gesualdo), avant que l’orchestre les Siècles installe les discordances jaunâtres de Charles Ives, puis les cuivrés opulents de l’Ascension (1er mouvement) de Messiaen. Et la pièce pour flûte solo de Jolivet (Incantations), délivrée par Marion Ralincourt depuis la fenêtre haute du narthex, rejaillit vers les extatiques soli avec soprano du Stabat. Vidit suum (Elle vit son enfant mourir), Fac ut portem font miroiter la nef de la basilique, portés par Marianne Croux et l’excellent orchestre. Emu, l’auditeur se rappelle alors les vitraux de Chagall où le bucolique et l’affligé coexistent. Guidée par « la puissance du lieu » (dixit Matthieu Romano), cette spiritualité baigne l’auditoire qui retient longuement son souffle avant les applaudissements.
© Vincent Ardelet
- Pour Transylvania :
Ensemble Zene, Bruno Kele-Baujard direction ; Zsuzsanna Vàrkonyi
- Pour l’hommage à Joséphine Baker : Magali Léger (mezzo-soprano), Ensemble Contraste
- Pour le concert Poulenc : Ensembles Aedes, Les Siècles, direction Mathieu Romano ; Marianne Croux (soprano)
- Pour le bal tsigane : Marcela Cisarova (chant) & Aven Khelas
Benoît Vincent, guitare, chant
Loran Bozic, violon
Yoann Godefroy, contrebasse
Charles Lamouroux, guitare, derbouka
Ersoy Kazimov, percussions
Ana Talabard, danse
Alissa Doubrovitskaia, danse
- Transylvania: extraits du Codex Caioni (Hongrie), du Codex János MADÁCH-RIMAY ; chants populaires tsiganes ; Symphonia Turcaria de J. J. Fux ; Bocsásd meg Úristen, création mondiale de Philippe Hersant (église de Vault-de-Lugny, 16 h).
- Paris mon amour ; tour de chant hommage à Joséphine Baker : (Vézelay, 18 h)
- O doulx regard, o parler de Clément Janequin ; L’ange scellé de Rodion Shchedrin ;
Sparge la morte al mio signor de Carlo Gesualdo ;
The deer’s cry d’Arvo Pärt ;
The unanswered question de Charles Ives ;
L’épouse d’Olivier Messiaen ; Stabat mater de Francis Poulenc (basilique de Vézelay, 21 h)
- Michto Drom, bal tsigane public (Vézelay, 22 h 45)