Après la brillantissime version discographique de Béatrice et Bénédict qu’il grava chez Erato/Warner Classics il y a trente ans déjà, nous étions particulièrement impatients de découvrir la lecture de John Nelson au concert – d’autant que le chef américain vient tout juste de délivrer une mémorable interprétation de Roméo et Juliette à La Philharmonie de Paris (voyez ici notre compte rendu). Le concert de mardi soir n’a fait que confirmer, s’il en était besoin, les exceptionnelles affinités du chef avec l’œuvre de Berlioz.
Tout au long du concert, la musique coule de source, avec un naturel, une élégance de tous les instants. Et sans doute aussi une forme d’évidence, notamment dans le choix des tempi, en adéquation parfaite avec les différentes situations dramatiques. L’osmose avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg est totale, les différents pupitres rivalisant de finesse et de précision – de poésie également, notamment dans le sublime trio du second acte « Je vais, d’un cœur aimant », où le musiciens tissent, sous les voix des trois chanteuses, un tapis sonore d’une grande délicatesse et d’une rare beauté. Une mention spéciale aux chœurs (Chœur Spirito et Jeune Chœur symphonique) qui, précis et impliqués, ont vaillamment apporté leur part à la réussite d’ensemble du concert.
Pour que l’équilibre de l’œuvre soit préservé, Béatrice et Bénédict exige la présence de seconds rôles solides. Ceux réunis par le Festival remplissent parfaitement leur mission : les rôles de Pedro, Somarone et Claudio ne sont peut-être pas des plus gratifiants pour les interprètes, mais Paul Gay, Julien Véronèse et Jérôme Boutillier s’en emparent avec tout le talent qu’on leur connaît et campent, notamment grâce à une diction toujours très intelligible, des personnages tout à fait convaincants. La jeune mezzo écossaise Beth Taylor est absolument impeccable en Ursula, son chant raffiné se mêlant poétiquement à celui d’Héro dans le célèbre « Nuit paisible et sereine ». Une belle prestation, qui donne envie de réentendre la chanteuse dans un rôle plus important.
Le couple éponyme est incarné ce soir par deux chanteurs anglo-saxons (l’Américaine Sasha Cooke et l’Anglais Toby Spence), dont la prononciation du français s’est avérée tout à fait satisfaisante. Sasha Cooke, annoncée souffrante, commence timidement (duo du dédain avec Bénédict) mais gagne en assurance au fil de la soirée. Le timbre est très beau, et sa sensibilité lui permet de délivrer un émouvant « Il m’en souvient » dont la seconde partie (« Oui, Bénédict, je t’aime ! ») impressionne par sa virtuosité bien maîtrisée.
© Stéphanie Girard
Toby Spence, en revanche, n’a pas été tout à fait à la hauteur des exigences du rôles de Bénédict. Si le français et le style n’appellent guère de reproches, les moyens ont semblé un peu ténus pour le trio (« Me marier ? Dieu me pardonne ! ») et son air du premier acte. Le second acte et notamment la scène finale le trouveront en revanche plus à son aise.
© Harcourt
Enfin, Vannina Santoni (Héro) offre peut-être la plus belle prestation vocale de la soirée, avec un chant soigné, maîtrisé (n’étaient quelques accrocs minimes et dans les vocalises a cappella qui terminent son air du premier acte), porté par une voix fraîche et bien projetée. Ses interventions dans le duo avec Ursula au premier acte et lors du trio du second ont été empreints de toute la poésie requise, grâce notamment à un legato maîtrisé et un sens des nuances très appréciable.
Reste la question des dialogues, toujours délicate surtout dans le cadre d’une version de concert… Le choix a été fait de les supprimer et de les remplacer non par un résumé de l’action, mais par un texte (fort bien dit par Éric Génovèse, un habitué des lieux puisqu’il occupait déjà la fonction de récitant l’an dernier dans Les Troyens à Carthage) permettant des transitions entre les différentes pages musicales. Certains s’en sont peut-être offusqués. Il nous a semblé au contraire que la solution proposée était fort habile : loin de constituer un crime de lèse-majesté envers Berlioz ou Shakespeare, elle a en outre présenté l’intérêt de concentrer l’attention du public sur la musique… un public au demeurant extrêmement attentif, et qui a très chaleureusement applaudi les artistes aux saluts finals !
© V. Lelièvre
Béatrice : Sasha Cooke
Héro : Vannina Santoni
Ursula : Beth Taylor
Bénédict : Toby Spence
Claudio : Jérôme Boutillier
Don Pedro : Paul Gay
Somarone : Julien Véronèse
Récitant : Éric Génovèse
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Chœur Spirito, Jeune Chœur symphonique, dir. John Nelson.
Béatrice et Bénédict
Opéra-comique en deux actes, livret du compositeur (d’après Shakespeare), créé le 9 août 1862 à Baden-Baden.
Concert du 30 août 2022, Château Louis XI (Festival de La Côte-Saint-André)