© Jean-Baptiste Millot
Le Consort de Justin Taylor nous fait revivre l’ambiance à la fois intimiste et raffinée des salons du XVIIIe siècle à travers un programme d’œuvres et de compositeurs méconnus aujourd’hui. Le travail de ces jeunes musiciens est le résultat d’un triple partenariat entre la Fondation Royaumont, le Château de Parentignat et le festival de La Chaise-Dieu. En résidence au château de Parentignat, le Consort a pu préparer et proposer au public un concert-récital autour des Fables de La Fontaine, notamment dans la version musicale de Louis-Nicolas Clérambault.
Le concert proposé ce soir permet de faire merveilleusement revivre une musique tantôt dramatique, tantôt tendre ou encore mélancolique quand elle n’est pas espiègle. Tout le talent du Consort et de Gwendoline Blondeel (dessus) ainsi que de Edwin Fardini (basse-taille) est bien de dépouiller la cantate française des a priori d’austérité qui la précèdent. Le public est ainsi plongé dans de véritables petits opéras de chambre. La plupart des compositeurs au programme marchent dans les pas de Nicolas Bernier et Louis-Nicolas Clérambault, lesquels adaptent et assimilent si bien la musique italienne, qu’ils créent la cantate française. Les pièces instrumentales, suites et sonates en trio d’Antoine Dornel, Clérambault et Jean_François Dandrieu, permettent de souligner la complicité et l’unité du trio de solistes dirigés par Justin Taylor au clavecin. Une musique pleine de contrastes et de chaleur, des beaux violons de Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche au violoncelle baroque de Hanna Salzenstein, que l’on retrouve dans les œuvres vocales, où la symphonie soutient les voix ou leur fait écho, quand elle ne peint pas une tumultueuse tempête (prélude de Circé de Louis-Joseph Francoeur.
La cantatille (petite cantate) Le Bonheur imprévu de Louis-Antoine Lefèbvre ouvre le concert et donne le ton. La mythologie antique cède le pas à un cadre champêtre, lieu du badinage amoureux. La voix souple de la soprano Gwendoline Blondeel sert merveilleusement le propos et marque les accents tantôt tendres tantôt plus légers de la mélodie. Les Adieux de la Mélancolie de Mongaultier se fait plus grave, la voix gagne d’ailleurs en rondeur si ce n’est en gravité pour marquer ces accès de bile noire et sert un propos qui peint des passions tristes dignes d’un Jean-Jacques Rousseau. La pièce vocale la plus dramatique du concert est sans conteste Circé de Louis-Joseph Francoeur. Le baryton Edwin Fardini, de sa voix chaude et ronde tout à la fois, exprime, parfois avec virtuosité, les sentiments qui agitent une Circé abandonnée, autre Didon. Mais peut-on véritablement prendre au sérieux la divinité malheureuse ? L’éclat de la voix, sa profondeur surtout, jouent avec humour ce petit opéra de chambre, véritable bijou où les sanglots de la plainte et la tendresse paraissent toujours mis à quelque distance. Louis-Antoine Travenol, dont le goût pour la polémique lui valut une certaine notoriété, est un héritier d’un Nicolas Bernier dans la mesure où sa cantate La Fierté vaincue par l’Amour est un aboutissement de l’acclimatation du style italien à la musique française. Gwendoline Blondeel sert parfaitement le propos et un style où le chant ne cesse de tendre vers une forme de déclamation. Le cadre est là encore pastoral, à la manière des églogues de Théocrite. Nous retrouvons cette alliance d’humour et de délicatesse qui séduit tant tout au long de la soirée et qui s’exprime avec joie dans la pièce finale, un extrait de Jupiter et Europe de Nicolas Bernier, père fondateur de la cantate française. Les deux solistes montrent ici une réelle complicité pour chanter le triomphe de l’amour, triomphe réaffirmé dans le bis : « Non, non, non… ne craignez point de vous laisser toucher par l’amour ». Ainsi s’achève la fête galante offerte par Justin Taylor et Le Consort.
Gwendoline Blondeel, dessus
Edwin Fardini, basse-taille
Le Consort, dir. Justin Taylor
Cantates françaises
Oeuvres vocales et instrumentales de Louis-Antoine Lefebvre, Antoine Dornel, Mongaultier, Louis-Nicolas Clérambault, Jean-François Dandrieu, Louis-Antoine Travenol et Nicolas Bernier.
Auditorium Cziffra, Festival de La Chaise-dieu, dimanche 28 août 2022.