Le chef Cristian Măcelaru convoque Fauré, Prokofiev, Poulenc et Ravel en showcase pour l’ouverture de la saison des concerts du Chœur de Radio France et l’Orchestre National de France ce jeudi 15 septembre 2022 à l’Auditorium de Radio France
Couleurs en majorité françaises pour le premier concert de ces deux formations de Radio France, qui permettait à son chef Cristian Măcelaru et au chef de chœur Christophe Grapperon de mettre en valeur la large palette expressive du chœur et de l’orchestre dans des œuvres aux inspirations diverses et variées et aux climats fortement contrastés. Ainsi le concert commençait par les pizzicati discrets de la gracieuse et mélancolique Pavane op 50 de Gabriel Fauré, dans cette tonalité rare de fa dièse mineur qui, chez Mozart, Schubert et Chopin, exprime les souffrances d’un cœur douloureux. Écrite à l’origine pour petit orchestre, d’où ce climat raffiné de confidence qu’installe dès les premières mesures la flûte dans le grave, sa dédicataire, la comtesse Greffulhe, demanda à Fauré d’y adjoindre une partie pour chœur mixte dont son cousin, Robert de Montesquiou, louchant sur les Fêtes Galantes de Verlaine mises en musique par Fauré, fournit, hélas, le texte. Heureusement les interventions du chœur, réduites à la portion congrue, ont servi de faire valoir aux coloris délicats de l’orchestre où prédominent les bois et le cor solo, dont on a pris congé à regret.
Le contraste avec le Deuxième concerto pour piano et orchestre, op 16, de Serge Prokofiev ne pouvait pas être plus grand. Composé en Russie en 1913, puis réécrit, c’est à Paris qu’en fut créée la version définitive en 1923, truffée de difficultés techniques par ce pianiste virtuose qu’était le compositeur. Son thème initial romantique à la Rachmaninoff cède bientôt à un motif grotesque de pantin mécanique avant le retour du thème romantique que torture et démantibule la monumentale cadence qui suit. D’une extraordinaire virtuosité, avec ses basses grondantes rageuses et ses dissonances cruelles, elle sollicite la largeur de tout le clavier et installe le pianiste dans un corps à corps avec un instrument qu’il s’agit de dompter et de dominer, ce dont le jeune soliste coréen Seong-Jin Cho s’est acquitté avec maitrise et brio. Pas de mouvement lent ici : la courte toccata véloce et volubile du Scherzo est suivie par la marche pataude de quelque monstre primitif de l’Intermezzo où s’exprime la veine sarcastique de Prokofiev. Il retrouve ici l’implacable motorisme de la Suggestion diabolique de 1912 qui anime aussi la mécanique de l’Allegro tempestoso final. Sa deuxième partie retrouve des intonations de chant populaire et des accents de marche funèbre dont la coda rageuse et sauvage de tout l’orchestre laisse le pianiste et l’auditeur pantelants. Comment Seong-Jin Cho, visiblement essoré par ce combat, a-t-il trouvé l’énergie pour donner en bis sa délicate interprétation de la gracieuse Sarabande de la Suite n°7 en si bémol majeur de George Frederick Handel à un public conquis, répondant ainsi à Fauré par-delà Prokofiev ? La salle espérait un autre bis de la part de ce pianiste magnifique, mais sans doute épuisé, Seong-Jin Cho quitta la scène sous les applaudissements renouvelés.
La seconde partie du concert débutait par le Gloria de Poulenc, offrant ainsi au chœur l’occasion de se faire plaisir car « Poupoule » fait partie de ces (rares ?) compositeurs qui écrivent magistralement pour les voix sans les torturer et donnent à chaque pupitre du grain à moudre et non pas du simple remplissage harmonique : les privilégiés qui ont fréquenté ses motets a capella ou sa très belle cantate Sécheresses sauront de quoi je parle. On retrouve dans cette partition la patte caractéristique du compositeur, qui mélange gaité aux accents de music-hall et profondeur spirituelle, avec cette tonalité dominante de Sol majeur, fondement de la musique populaire, ou ce mystérieux Gratias agimus tibi au milieu d’un Laudamus très déhanché échappé du caf’ conc’. C’est la joie qui domine dans cette œuvre brillante même si la mélancolie ou l’inquiétude n’en sont pas absentes, et ses interprètes ont su mettre en valeur ces différentes nuances de sentiments. À la soprano solo Vannina Santoni, ancienne de la Maîtrise de Radio-France, répondait le chœur magistralement préparé par Christophe Grapperon. Pour sa soprano, Poulenc voulait la voix de la Desdémone de Verdi avec des aigus chauds et pianissimo, et Vannina Santoni, à la voix ferme et pure, s’est jouée des grands intervalles ascendants de la supplication du Domine Deus Agnus Dei, trouvant des accents qui auraient pu être ceux de la Blanche de la Force du compositeur dans le Domine Deus, Rex cœlestis comme dans son Amen final a capella. Voilà un rôle qu’elle devrait bientôt mettre dans sa voix. Gageons qu’elle y serait parfaitement à l’aise.
Pour conclure ce concert par une page d’orchestre brillante qui mettrait au mieux en valeur les qualités de sa phalange, Cristian Măcelaru avait choisi La Valse de Maurice Ravel, vision hallucinée de la Vienne de François-Joseph contaminée par le cauchemar de la Grande Guerre dont l’ambulancier Ravel fit la cruelle expérience. Avec le Concerto pour la main gauche et le Boléro l’œuvre partage une implacable progression vers un cataclysme final, mais au lieu de l’extase érotique du Boléro, c’est l’effondrement d’un monde d’avant que peint la musique, prophétisé par les éructations de la clarinette basse et du contrebasson et les coups de grosse caisse fortissimo. On est loin des Valses Nobles et Sentimentales comme des émois de Ma mère l’Oye, qui s’apaisent dans le Jardin féérique qui conclut cette dernière partition. Ici c’est l’Ogre et la Bête qui triomphent dans un grand ricanement dont les vagues successives emportent l’orchestre comme un gigantesque raz de marée. Cristian Măcelaru et son orchestre ont su détailler avec élégance, panache et précision les différentes étapes de ce cauchemar à trois temps, passant des coloris de soie chatoyante des glissandos de harpes aux jappements furieux des trompettes et de la caisse claire, d’où l’ovation enthousiaste finale qui a salué l’orchestre. Et j’engage nos lecteurs à le vérifier en écoutant ce concert sur le site de France Musique.
Seong-Jin Cho, piano
Vannina Santoni, soprano
Chœur de Radio France, dir. Christophe Grapperon
Orchestre National de France, dir.Cristian Măcelaru
Gabriel Fauré : Pavane en fa dièse mineur op 50
Serge Prokofiev : Concerto pour piano et orchestre n° 2 op 16
Francis Poulenc : Gloria en sol majeur
Maurice Ravel : La Valse, poème chorégraphique