Splendeurs chorales à la Seine musicale

Comment fait-il ? Leonardo Garcia Alarcón semble ne jamais s’arrêter. Après Ambronay et la création de son oratorio La Passione di Gesù, après le Concertgebouw et son Acis et Galatée mis en scène par Pierre Audy[1], il était hier soir à la Seine Musicale sur l’Île Seguin et ce soir à l’Auditorium du Louvre à Paris.

Quels que soient le nombre, la diversité et l’originalité de ses concerts, il est dans l’instant, c’est à dire présent à chaque moment, d’une vitalité et d’une acuité incroyables. Il soutient ses instrumentistes, il semble accompagner les phrases musicales, il dirige de gestes amples et sensuels, il semble danser avec les lignes mélodiques. Les concerts s’en ressentent, habités d’un vrai souffle – à chaque fois. Avec le plaisir d’entendre le chef présenter lui-même le programme avant que les musiques ne résonnent.

Le programme rutilant de ces Splendeurs de la polyphonie romaine n’y faisait pas exception. Dans une salle clairsemée, à la jauge à peine à moitié remplie, Alarcón et ses complices nous clouaient sur notre siège dès les premières mesures. Le choeur Accentus, inspiré, développait une force et une rare ferveur qui n’ont cessé de magnifier les oeuvres au programme. D’autant que, comme il y a quelques mois, en cette même salle, Alarcón utilisait les possibilités du lieu en variant la place du chœur.

Le programme est subtilement pensé, car choisi par le chef pour nous conduire des chapelles romaines où les musiques de déploration, plus intimes, de Luigi Rossi et Alessandro Scarlatti préparaient aux vastes espaces de St Pierre de Rome avec le Miserere d’Allegri, jusqu’aux splendeurs immenses des voutes de St Jean de Latran avec les œuvres de Giovanni Giorgi, dont une messe d’une incroyable richesse polyphonique, annonçant parfois l’inspiration mozartienne dans le traitement choral.

Tour à tour, les musiques nous saisissent, nous emportent, nous stupéfient par un cri, un silence. Trésors multiples de ces polyphonies romaines, ici la fugue se déploie en majesté, là le quatuor de solistes introduit un climat plus intime. Les motets de Giorgi sont d’une pure splendeur, avec un Ave Maria limpide et bouleversant (il en existe un enregistrement chez Rivercar), repris en premier bis.

Toutefois, la rutilance chorale noyait l’accompagnement orchestral. Problème de balance ? Pas sûr car le flot choral emporte tout. Les rares moments purement instrumentaux faisaient cependant entendre les sortilèges du violon d’Amandine Solano, du luth de Quito Gato. Mais dans les ensembles, les cornets n’étaient pas toujours audibles ni à leur avantage. Et surtout, la harpe de Marie Bournisien avait un son pincé, peu flatteur, ce qui était gênant dans la messe de Giorgi où elle intervenait sans cesse, parasitant le pur bonheur de ces polyphonies.

On ne savait quelle œuvre admirer le plus, transportés par la pensée dans les lieux de la Rome baroque. Quant à la pièce la plus célèbre, le Miserere d’Allegri, il atteignait logiquement des sommets célestes. La voix de la soliste n’y était pas pour rien. Leonardo Garcia Alarcón nous avait prévenu : Julie Roset souffrante, c’est Gwendoline Blondeel, venue au dernier moment de Belgique, qui la remplaça au pied levé. Ses interventions angéliques, dans la stratosphère de la voix de soprano, nous ouvrirent l’infini déployé par Allegri. Pourtant, pris dans un tempo un peu rapide, l’œuvre aurait gagné à laisser davantage le temps suspendu. Preuve que l’on ne voudrait jamais que cette splendeur-là, comme les autres d’ailleurs, se referme…

[1] Une première dans cette salle, à la tête de l’orchestre mythique, et une collaboration qui va se poursuivre les prochaines années avec Beethoven et Brahms au programme (un Requiem allemand, une 4è symphonie…)

Les artistes

Gwendoline Blondeel, soprano
Paulin Bündgen, contre-ténor
Valerio Contaldo, ténor
Matteo Bellotto, basse

accentus
Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón

Le programme

Splendeurs de la polyphonie romaine

Alessandro Scarlatti
Plange quasi virgo
Ecce vidimus eum

Gregorio Allegri
Miserere

Luigi Rossi
Piangete occhi piangete

Giovanni Giorgi
Motet
Messe en fa majeur
 

La Seine Musicale, concert du jeudi 06 octobre 2022