Le premier concert de prestige de la vingt-neuvième saison musicale du Musée de l’Armée des Invalides présentait mardi 11 octobre cette Petite Messe Solennelle que Rossini décrivait comme l’un de ses derniers péchés « mortels » de sa vieillesse, en référence aux quatorze albums mêlant pièces de musique vocale avec piano et pour piano seul aux titres facétieux, composés à Paris entre 1857 et 1868. Petite, cette messe l’était à l’origine. Elle fut écrite en 1863 pour la chapelle privée du comte Alexis Pillet-Will et pour quatre voix solistes, un chœur mixte de huit chanteurs, deux pianos et un harmonium. Chaleureusement accueillie, et de peur que d’autres s’en chargent, Rossini l’orchestra en 1867. C’est la dernière grande œuvre d’un compositeur qui n’a plus rien composé d’envergure depuis son Stabat Mater créé en 1842, d’où une mélancolie certaine dans le Crucifixus.
C’est cette version que dirigeait Lucie Leguay, assistante de Mikko Franck et de Valery Gergiev, avec l’Orchestre symphonique de Munich et le concours du Chœur régional Vittoria d’Île-de-France. Même si les parties instrumentales sont traitées avec un sens certain de la couleur tel qu’il se manifeste dans son Guillaume Tell, et contribuent à l’expressivité de l’œuvre, comme à l’humour de son titre, aussi convaincante que soit la version orchestrale, la version originale de 1863 garde tout son charme, avec son aspect de grandiose musique domestique et le côté incisif du piano dans certaines parties, qui perdent de leur tranchant une fois transposées aux cordes. L’acoustique de la chapelle des Invalides devenue cathédrale St Louis n’est guère flatteuse pour ces grandes formations et il en résulte parfois un certain sfumato qui empêche la lisibilité de certains traits d’orchestre ou des lignes de la polyphonie, notamment dans les deux grandes fugues jubilatoires et exaltantes qui concluent le Gloria et le Credo, dont les sujets n’ont rien d’austère ni de solennel.
La solennité de cette messe réside plutôt dans la dimension de l’œuvre, soixante-quinze minutes de musique en quatorze parties, que dans le ton général de la musique. On n’imagine guère l’auteur du Barbier et de L’Italienne à Alger à la fin de sa vie, l’époque du fameux tournedos, confit en dévotion et en repentir douloureux. Bon vivant, Rossini partage avec Haydn avant lui et Poulenc plus tard un côté « Concile de Trente » où la musique, à l’instar de la peinture et de la sculpture, doit transporter l’auditeur dans une de ces Gloires célestes et bouillonnantes qui sont peintes aux voutes des églises baroques. Aussi, en dehors du style sévère « à la Palestrina » du Christe Eleison, un double canon, et du prélude et fugue au thème en croix « à la Bach » du Prélude religieux, pensé pour l’Offertoire et défendu ici par Philippe Brandeis à l’orgue, Rossini, pour illustrer le texte sacré et en souligner les affects, revient à ce qu’il sait faire le mieux, le bel canto d’opéra. Comme dans son Stabat Mater, il compose pour ses solistes des solos, des duos et des trios dans lesquels il met tout son cœur et son génie mélodique. Et tant pis pour les puristes du mouvement cécilien qui veulent alors débarrasser la musique religieuse catholique de ses associations avec le théâtre et l’opéra.
La partition, somptueuse, était ce mardi servie par des solistes excellents, aux talents déjà confirmés. Raquel Camarinha, soprano mozartienne, remarquable d’émotion dans son Salutaris hostias ; Ambroisine Bré, mezzo-soprano, que certains auront vu récemment dans le rôle de Malika du Lakmé de Delibes à l’Opéra-Comique, bouleversante de ferveur dans l’Agnus Dei, supplication auquel le contexte actuel offrait d’étranges résonances ; Paul Gaugler, ténor au timbre délicat, plein de vaillance dans son Domine Deus, qui remplaçait au pied levé Florian Cafiero ; et le baryton-basse Paul Gay aux graves charnus et tranchants de père noble. Lucie Leguay dirigeait d’une main ferme, énergique et attentive l’Orchestre symphonique de Munich. Quant au Chœur régional Vittoria d’Île-de-France, magnifiquement préparé par son chef Michel Piquemal, pour qui cette partition offre peu de secrets et qu’il a gravé jadis, il était admirable de nuances et de justesse dans ses parties a capella, notamment dans le Christe Eleison et le Sanctus, et d’enthousiasme communicatif dans ses deux grandes fugues. Avec Rossini, qu’on leur accorde le Paradis.
Raquel Camarinha, soprano
Ambroisine Bré, mezzo-soprano
Paul Gaugler, ténor
Paul Gay, basse
Philippe Brandeis, orgue
Orchestre symphonique de Munich, dir. Lucie Leguay
Chœur régional Vittoria d’Île-de-France, dir. Michel Piquemal
Petite messe solennelle
Gioacchino Rossini. Version pour orchestre de 1867, créée le 24 février 1869.
Concert du mardi 11 octobre 2022, Cathédrale Saint-Louis des Invalides, Paris.