Almira, Agrippina, Galatea e Polifemo, La Rezurrezione, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno… : on le sait, Rinaldo est un véritable patchwork dans lequel Haendel recycle de nombreuses pages – le miracle étant l’impression de cohérence et d’homogénéité qui se dégage pourtant de la partition. Cette impression, on la doit au compositeur lui-même, à l’agencement qu’il a pensé de ces « pièces rapportées » et à leur intégration au sein d’une intrigue et d’une partition nouvelles, mais aussi à n’en pas douter à Ottavio Dantone et à l’Accademia Bizantina, premiers artisans de ce Rinaldo tourangeau qui vient de remporter un très beau succès au Grand Théâtre de Tours. Les points forts de cet ensemble et de son chef sont bien connus : contentons-nous de souligner que la rigueur musicologique et les qualités techniques ne l’emportent jamais sur la nécessaire urgence dramatique. Certes, les interventions orchestrales célèbres pour leur beauté ou leur virtuosité (l’évocation de la magie d’Armida, du gazouillis des oiseaux, les interventions de certains instruments dans plusieurs pages célèbres : le clavecin dans le « Vo far guerra », le hautbois et le basson dans le « Ah, crudel » d’Armida, les trompettes dans le « Or, la tromba » de Rinaldo – qui auraient cependant pu être encore plus précises dans leur redoutable assaut de virtuosité) impressionnent par leur qualité ; mais ce soir, en dépit des quelques longueurs et « piétinements » inhérents au livret d’Aaron Hill et Giacomo Rossi, Rinaldo est bien une action dramatique et non une simple succession d’airs, aussi sublimes soient-ils : le choix de tempi judicieux, une réelle attention accordée à l’établissement d’ambiances différentes et contrastées, le soin porté aux récitatifs assurent la continuité de l’intrigue et maintiennent la tension jusqu’au triomphe final des héros.
L’équipe de chanteurs réunie par Ottavio Dantone a connu bien des vicissitudes ! On avait dans un premier temps annoncé la présence de Carlo Vistoli au sein de la distribution. Le seul contre-ténor finalement présent aura été Filippo Mineccia, interprétant le rôle de Goffredo, celui de Rinaldo étant chanté par Delphine Galou. Enfin, quelques jours seulement avant la représentation, Sophie Rennert et Federico Sacchi, initialement prévus en Almirena et Argante, ont dû déclarer forfait. Ils ont été remplacés par Francesca Aspromonte et Luigi De Donato. Le fait que ces deux chanteurs aient récemment gravé ces mêmes rôles sous la direction d’Ottavio Dantone pour HDB Sonus a dû, fort heureusement, simplifier les choses…
La distribution finale bénéficie de deux « méchants » éclatants, qui embrasent le plateau à chacune de leur apparition : Arianna Vendittelli est une Armida flamboyante, à la projection vocale impressionnante, et dont le timbre très personnel retient immédiatement l’attention, que ce soit dans l’expression de la furie (« Vo far guerra ») ou de la douleur amoureuse (« Ah, crudel »). Luigi De Donato ne fait qu’une bouchée de ses deux airs, et délivre notamment un magistral « Sibillar gli angui d’Aletto »), autoritaire, arrogant, effrayant à souhait. Bravo également pour le soin qu’il apporte à ses récitatifs, et qui permet de dessiner un vrai personnage malgré la relative brièveté du rôle.
Handel - Rinaldo - Sibillar gli angui d'Aletto - Luigi De Donato (Argante), dir. O. Dantone
C’est un Filippo Mineccia en très bonne voix qui incarne Goffredo, dont la tessiture, assez centrale, s’inscrit dans ses meilleures notes. Ses deux airs du début du deuxième acte comptent parmi les très beaux moments de la soirée, avec, pour le premier (« Siam prossimi al porto ») un beau legato porté par un souffle parfaitement maîtrisé, et pour le second une belle virtuosité et un engagement dramatique fort. Le rôle du magicien est bref mais bien défendu par un Federico Benetti impliqué et soignant particulièrement son air du dernier acte.
Francesca Aspromonte est une fort belle Almirena, à la voix ronde et chaleureuse. Elle brille particulièrement dans le difficile « Bel piacer » de l’acte III, et délivre un très beau « Lascia ch’io pianga », d’une sobriété émouvante, orné de délicates et élégantes variations lors de la reprise. Enfin, Delphine Galou séduit en Rinaldo. On a déjà entendu projection vocale plus impressionnante, mais la mezzo compense habilement cette légère limite par une belle autorité dans l’accent et un fort engagement dramatique. Enfin, si la virtuosité n’est jamais prise en défaut (le « Or, la tromba » final et ses vocalises ébouriffantes sont très bien maîtrisés), la chanteuse privilégie le côté tendre et amoureux du personnage plutôt que son côté viril et belliqueux, proposant ainsi un portrait original et convaincant du héros.
Le public, venu très nombreux, fait un triomphe à l’ensemble des interprètes au rideau final !
Goffredo : Filippo Mineccia
Almirena : Francesca Aspromonte
Rinaldo : Delphine Galou
Le magicien : Federico Benetti
Argante : Luigi De Donato
Armida : Arianna Vendittelli
Les sirènes : Arianna Vendittelli, Francesca Aspromonte
Accademia Bizantina, dir. et clavecin Ottavio Dantone
Rinaldo
Opera seria en trois actes de Georg Friedrich Haendel, livret de Aaron Hill et Giacomo Rossi d’après la Jérusalem délivrée du Tasse, réé au Haymarket de Londres le 24 février 1711.
Les concerts d’automne, Tours, concert du samedi 15 octobre 2022.