Onirique et mystérieux, le programme que nous ont offert Raphaël Pichon et Stéphane Degout à la Philharmonie de Paris alterne chœurs, lieder et extraits orchestraux. Weber, Schumann mais surtout Schubert et la figure du Wanderer nous entrainent dans une recherche métaphysique abyssale où le pessimisme semblerait emporter tout sur son passage si ne subsistait pourtant l’espoir d’une inaccessible étoile, paisible et réconfortante. La mort rôde, l’au-delà interroge, mais quelques ilots de lumière et de paix existent encore.
Si chacun aura vécu ce vagabondage introspectif à la mesure de ses états d’âme, nul n’aura pu échapper à la grandeur, à la beauté et à l’intensité subjuguantes de ce voyage musical tout en couleurs et en transparences. Savamment construit, le programme concocté par Raphaël Pichon et Stéphane Degout nous embarque dès les premières notes dévolues au chœur (de femmes et de contre-ténors) de l’ensemble Pygmalion. Avec ce Coronach introductif, l’émotion nous étreint et ne nous quittera plus. Le chœur fait preuve d’un équilibre et d’une homogénéité rares. Le lyrisme schubertien se déploie ici avec une économie de moyens qui touche à l’épure, loin de toute emphase pseudo-romantique. Une sobriété et une simplicité dont fera également preuve Raphaël Pichon tout au long de la soirée et en particulier dans son interprétation des deux mouvements de la Symphonie n°8 dite Inachevée. Le Schubert de Raphaël Pichon, c’est un Schubert dégraissé, aux lignes nettes et aux phrasés longs et chantants. Des choix interprétatifs tout personnels magnifiquement rendus par un orchestre attentif et précis, aux bois et cuivres éminemment poétiques d’où se détache un pupitre de cors impressionnant de maîtrise et de tenue (Zur Jagd). La Harpe d’Anaïs Gaudemard est également à citer pour sa présence et sa finesse jusqu’à un Gott ist mein Hirt final, lumineux et apaisant.
Raphaël Pichon et Stéphane Degout se connaissent bien et partagent un talent dramatique certain associé à un sens du récit qui n’est plus à démontrer. Le baryton atteste encore une fois de l’immensité de ses moyens mais confirme surtout la congruence indéniable de son tempérament avec le romantisme allemand. Weber ne lui échappe pas mais c’est surtout chez Schubert et ses drames miniatures où il excelle et nous envoûte par son art de la demi-teinte et sa science du mots et du phrasé. La puissance n’est jamais prise en défaut et les tessitures les plus extrêmes sont plus que crânement assumées. Si nous ne devions retenir qu’un seul moment de cette soirée inoubliable, ce serait sûrement l’interprétation de Stéphane Degout de Der Doppelgänger. Par sa voix, les vers de Heine sonnent d’une vérité saisissante confinant à la folie auxquels l’orchestration de Liszt du piano schubertien procure, s’il en était besoin avec un tel interprète, une intensité supplémentaire.
Face aux incarnations sombres et habitées du baryton, les interventions du soprano lumineux de Judith Fa apportent un contrepoint touchant et juvénile bienvenu.
Les lumières sobres et inspirées de Bertrand Couderc finissent de nous plonger dans cet univers onirique emprunt de mystères, de peurs et d’espérances.
Triomphe pour ce Mein Traum à la Philharmonie de Paris où plus qu’un concert, c’était surtout l’occasion de vivre un moment unique et rare où l’égrégore du collectif devant tant de beauté se joint à l’introspection personnelle face à la mort, à l’amour et à la vie, tout simplement.
Pygmalion – chœur & orchestre
Raphaël Pichon, direction
Stéphane Degout, baryton
Judith Fa, soprano
Bertrand Couderc, lumière
PREMIÈRE PARTIE : THRÈNES
Franz Schubert
Coronach D 836 – orchestration Robert Percival
«Wo bin ich… O könnt’ ich » – extrait de Lazarus D 689
«Zur Jagd» – extrait d’Alfonso und Estrella D 732
«O sing’ mir Vater… Der Jäger» – extrait d’Alfonso und Estrella D 732
DEUXIÈME PARTIE : MIRAGES
Franz Schubert / Franz Liszt Der Doppelgänger D 957 – orchestration Franz Liszt
Franz Schubert Allegro moderato – Symphonie no 8 D 759 «Inachevée», mouvement I
Carl Maria von Weber «O wie wogt es sich schön auf der Flut» – extrait d’Oberon J 306
Franz Schubert Andante con moto – Symphonie no 8 D 759 «Inachevée», mouvement II
Robert Schumann Meerfey op. 69 no 5
Carl Maria von Weber «Wo berg’ ich mich… So weih’ ich mich » – extrait d’Euryanthe J 291
TROISIÈME PARTIE : MORT ET TRANSFIGURATION
Franz Schubert Introduction – extrait de l’acte III d’Alfonso und Estrella D 732
Franz Schubert / Johannes Brahms Gruppe aus dem Tartarus D 583 – orchestration Johannes Brahms
Franz Schubert «Sanft und still» – extrait de Lazarus D 689
Robert Schumann «Hier ist die Aussicht frei» – extrait de Szenen aus Goethes Faust
Franz Schubert Gott ist mein Hirt – Psaume 23 D 706
Bis : Richard Wagner, Romance à l’étoile : « Wie Todesahnung… O du mein holder Abendstern » (Wolfram) extrait de Tannhäuser / Acte 3