Lentement mais sûrement, le nom de Jacques de La Presle (1888-1969) s’insinue dans l’esprit des mélomanes, et en particulier des amateurs de mélodie française, grâce aux efforts accomplis par quelques chanteurs. Dans sa série de disques consacrés aux musiques de la Première Guerre mondiale, le label Hortus a plus d’une fois inclus ses compositions, notamment le stupéfiant « Heureux ceux qui sont morts », écrit en 1916 sur un célèbre poème de Charles Péguy, dont Cyrille Dubois, avant de l’enregistrer, avait donné une mémorable interprétation lors d’un concert aux Invalides en 2015. En 2014, Stéphanie d’Oustrac a elle aussi eu à cœur d’honorer la mémoire de celui qui est en fait son arrière-grand-oncle, en gravant quatre de ses mélodies sur le disque Invitation au voyage. Et la Compagnie de l’Oiseleur a elle aussi tenu à glisser régulièrement dans ses programmes des pages de Jacques de La Presle.
Cette fois, c’est à un concert entièrement consacré à ce compositeur que le public était convié, dans ce Temple du Luxembourg où les mêmes artistes avaient déjà révélé tant de partitions méconnues du répertoire français.
Grâce à la participation – non annoncée initialement – du violoniste Stéphane Rougier et de la pianiste Lorène de Ratuld, qui a fait paraître en 2021 chez Salamandre un disque consacré à la musique pour piano et incluant quinze mélodies du compositeur, ce concert aura permis de donner un panorama très diversifié de l’œuvre de Jacques de La Presle, même si la musique vocale y occupe la place dominante. Trois pages pour violon et piano, une pièce pour piano et une transcription à quatre mains d’un des mouvements du quatuor à cordes intitulé Suite en sol, voilà qui donne un bon aperçu de ce dont l’homme était capable, depuis le tout début de sa carrière – il a 17 ans lorsqu’il compose l’Elégie qui ouvre le programme – jusqu’aux années 1930, après lesquelles il semble avoir un peu ralenti son activité. Les mélodies vont, elles de 1907 à 1937, avec un saut exceptionnel en 1964, pour une pochade composée par Jacques de La Presle pour sa fille (« Nicolas, Nicolette et le petit chat »). Des années 1930 n’ont été retenues que les « deux valses » sur des textes – parodiques ? – de Charles Forge, sorte d’hommage à la valse lente des années 1900, et le « Cocorico » sur un poème d’Edmond Rostand. L’essentiel du corpus présenté appartient en fait aux deux premières décennies du compositeur qui, après l’avoir tenté en 1913, 1914, et 1920, décrocha finalement le Premier Grand Prix de Rome en 1921. Par ailleurs, Jacques de La Presle sut toujours choisir admirablement les textes qu’il mettait en musique : Du Bellay, Verlaine, Francis Jammes… sans hésiter à écrire lui-même ses poèmes, souvent.
Deux voix alternent pour rendre justice à ces œuvres. Par un heureux hasard, Jacques-François Loiseleur des Longchamps s’est réservé quelques-unes des plus belles compositions de Jacques de La Presle : le très tristanesque « Nocturne » (sur un poème assez convenu d’Henri de Régnier), « Une douceur splendide et sombre », qui mérite les mêmes qualificatifs, deuxième des Trois Elégies sur des poèmes d’Albert Samain, ou « Par le jardin », où le symbolisme de Verhaeren prend de superbes accents dramatiques. Enguerrand de Hys, pour sa part, fait valoir la fraîcheur de son timbre, distillant avec raffinement les textes qui lui sont confiés, comme l’exotique « Extrême-Orient » ou la surprenante mise en vers rimés du « Notre-Père », intitulée « Père éternel ». Les deux chanteurs unissent finalement leurs voix pour « Sirène », envoûtant duo prévu pour soprano et mezzo-soprano, mais qui fonctionne parfaitement pour ténor et baryton. Pendant tout ce concert, le pianiste Paul Beynet aura soutenu efficacement les artistes, certaines mélodies comme « Le Vent » ou « Le Vanneur de blé » lui donnant l’occasion de mettre en avant sa virtuosité. On espère donc que le projet d’enregistrement annoncé par l’Oiseleur verra le jour, et que l’espoir d’un financement participatif pourra se concrétiser : à en juger par l’enthousiasme avec lequel le public a chanté le refrain de la mélodie « Chantez » (la partition figurant au revers du programme), il ne devrait pas être difficile de convaincre les bonnes volontés.
Jacques François Loiseleur des Longchamps, baryton
Enguerrand de Hys, ténor
Stéphane Rougier, violon
Lorène de Ratuld, Paul Beynet, piano
Concert Jacques de la Presle au Temple du Luxembourg, le mercredi 8 février 2023.