Deuxième étape d’une mini-tournée qui a déjà fait escale à Luxembourg, avant d’atteindre Hambourg
Excellente soirée sous tous les points de vue !
Des choix très pondérés
D’abord programmé dans cette même salle pour janvier 2021, distribuant le même chef et la moitié des interprètes de ce soir, annulé à cause de la pandémie, ce concert s’inscrit dans une mini-tournée qui a fait escale à la Philharmonie de Luxembourg, le 22 mars, avant d’atteindre Hambourg le 27.
Plus que d’un concert, on peut parler d’une version semi-scénique, « Halbszenische Aufführung », nous dit-on sur les bords de l’Elbe, tant est variée la mise en espace de Salome Im Hof, annoncée comme metteure en scène dans le Grand-Duché. L’orchestre est néanmoins installé sur le plateau et les décors sont réduits au strict minimum : une longue table dressée pour le dîner – le festin de Don Giovanni ? – à l’arrière-scène où apparaît Don Alfonso, lisant un épais volume, une table à repasser sur le devant d’où se déroule le voile d’une robe de mariée que s’apprête à repasser Despina, une cigarette aux lèvres. Entrent les couples pour des séances de selfie. Habillés d’une sorte de survêtements améliorés, ils affichent deux couleurs : bleu très clair pour Fiordiligi et Ferrando, rose pour Dorabella et Guglielmo, question sans doute de signifier qu’ils sont dépareillés et de préparer la scène du faux mariage à l’épilogue. Don Alfonso et Despina, quant à eux, sont respectivement en queue de pie et en tenue de camériste. Le jeu sur les teintes se poursuit lors du déguisement, nos visiteurs albanais arborant de belles tuniques et des perruques assorties, de même que, au moment de boire le poison, ils sortent chacun leur thermos – tout était prévu !!! – respectivement… bleu et rose… Ainsi, le fer à repasser de la domestique devient à son tour la « pietra mesmerica », cet aimant devant servir d’antidote. Des colliers de fleurs, portés par tous les personnages et par les membres du chœur, enjolivent les scènes de séduction, puis la noce interrompue. Des tulles sont censés accompagner l’évolution des deux dames, de la réticence vers l’abandon. Des choix très pondérés, donc, pour une soirée des plus agréables.
De beaux contrastes
Côté voix, le public est également aux anges. Puisque l’on commence par les hommes, suivons la partition. Alasdair Kent est un Ferrando aux inflexions des plus juvéniles qui soient. Son air de l’acte I, « Un’aura amorosa » est un enchantement : abordé de manière angélique, il étale des pianissimi prodigieux, alors que son phrasé est superbe dans la cavatine de la désillusion, « Tradito, schernito ». Vraisemblablement à ses débuts dans le rôle, Tommaso Barea fait sensation en Guglielmo. Son grave caverneux et son timbre d’airain créent un beau contraste avec la voix très claire de son acolyte. Son premier air, « Non siate ritrosi », brille d’une diction superlative et est un moment des plus joyeux, tandis que le haut du registre est amplement sollicité pour la colère de « Donne mie, la fate a tanti ». Très belle projection aussi dans le duo avec Dorabella, « Il core vi dono ». Sûrement le plus décevant du trio masculin, Konstantin Wolff campe un Don Alfonso fatigué et engorgé, à l’élocution parfois peu idiomatique. Il apporte cependant sa pierre à l’édifice, notamment dans un terzettino ensorceleur, « Soave sia il vento », avec les deux sœurs, dans un sextuor à l’unisson et dans un finale I au cordeau, d’où ressortent notamment les éclats percutants de ces mêmes héroïnes.
Des interprètes qui gagnent en mordant au fil de la partition
Sur le papier, la variété des couleurs n’est pas la première qualité de Julia Lezhneva. Si son premier air « Come scoglio immoto resta » reste quelque peu figé et relativement peu nuancé, malgré de beaux trilles, sa Fiordiligi gagne en mordant dans le courant de la soirée et le rondò de l’hésitation, « Per pietà, ben mio, perdona » est très poignant, la ligne très savamment conduite et le recours au vibrato magistralement exploité. On lui pardonne donc très facilement les quelques rares stridences du duo initial, « Ah, guarda, sorella », et on se délecte de ses aigus lors de l’ultime rencontre avec son séducteur, « Tra gli amplessi in pochi istanti ». Pas toujours idiomatique, notamment dans son aria de l’acte I, « Smanie implacabili », la Dorabella d’Emőke Baráth a fière allure dans sa défense des droits du sentiment, « È amore un ladroncello ». Despina espiègle à souhait, Sandrine Piau fait état d’une excellente articulation dès son premier air, « In uomini, in soldati », puis d’une grande aisance, dans l’andante de l’acte II, « Una donna a quindici anni ».
Coutumier de la trilogie dapontienne de Mozart, Giovanni Antonini dirige d’une main de maître les Kammerorchester Basel et Basler Madrigalisten. On retiendra notamment la soudaineté des roulements de tambour, lors du retour des fiancés. Mais pas seulement.
Excellente soirée sous tous les points de vue.
Fiordiligi : Julia Lezhneva
Dorabella : Emőke Baráth
Despina : Sandrine Piau
Ferrando : Alasdair Kent
Guglielmo : Tommaso Barea
Don Alfonso : Konstantin Wolff
Kammerorchester Basel, Basler Madrigalisten, dir. Giovanni Antonini
Mise en espace : Salome Im Hof
Così fan tutte
Dramma giocoso en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, créé au Burgtheater de Vienne le 26 janvier 1790.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, vendredi 24 mars 2023