Nous avions été ébloui par la prestation de Julien Chauvin et son ensemble le Concert de la Loge dans l’Iphigénie en Aulide proposée en octobre dernier au Théâtre des Champs-Élysées. L’éblouissement allait-il se reproduire dans la basilique de Saint-Denis ? Les dimensions de l’orchestre ne seraient-elles pas trop modestes pour La Création de Haydn donnée dans ce vaste vaisseau ?… Pas du tout : le résultat s’est révélé superbe en tout point. Le chef et ses musiciens ont au contraire parfaitement apprivoisé l’acoustique compliquée de la basilique. Tous les pupitres de l’orchestre sont remarquables, avec un résultat toujours juste, entre solennité et théâtralité, pittoresque et émotion. Du pur bonheur, de bout en bout !
La Création fut donnée pour la première fois à Paris le 24 décembre 1800[1], une soirée restée dans les mémoires en raison de l’attentat auquel échappa Bonaparte alors qu’il se rendait au concert. Le pianiste Steibelt avait rapporté en France la partition de Haydn, découverte à l’occasion d’un voyage en Allemagne. Il procéda à certaines adaptations (la partie d’Adam fut notamment confiée au ténor) et chargea Joseph-Alexandre de Ségur de mettre en vers français le livret allemand. Ce n’est pourtant pas exactement cette version du 24 décembre 1800 que nous avons entendue hier soir à Saint-Denis : le concert a pris appui sur une nouvelle édition critique réalisée par Julien Dubruque & Thomas Tacquet, basée sur l’édition publiée en 1801. Si la partie d’Adam est de nouveau confiée à la basse, on remarque quelques différences avec la partition originale, notamment dans le finale de la dernière partie, ou encore dans la disparition des récitatifs « secs ». Mais c’est bien sûr la langue française qui interpelle le plus. En fait, le choix d’une version française trouve une double justification : d’une part le texte allemand provient lui-même d’un livret originellement écrit en anglais (les paroles anglaises et allemandes figurent toutes deux sur la partition de l’édition originale) ; d’autre part, le compositeur a affirmé à plusieurs reprises (notamment dans sa correspondance) qu’il souhaitait que l’œuvre soit chantée dans la langue du pays dans lequel elle était jouée, ceci afin que les auditeurs puissent suivre sans difficulté le déroulement des événements bibliques. Quoi qu’il en soit, le texte français fourni par Ségur est habile, d’une bonne tenue et sonne toujours très juste.
L’excellent Chœur de Chambre Namur est parfaitement à son aise dans ce répertoire et ce qu’on distingue de son interprétation est beau et précis… mais malheureusement, il est la première victime de l’inévitable réverbération sonore propre à l’église, et les belles fugues qui lui reviennent donnent plus d’une fois une impression de confusion – sans qu’il en soit bien sûr en rien responsable !
La distribution vocale se révèle quant à elle quasi idéale. Les trois chanteurs font preuve d’une parfaite diction, et chacun propose une interprétation bien caractérisée, portée par un style parfait.
Julie Roset est tout simplement éblouissante ! Tout est là : beauté du timbre, souplesse de la ligne vocale, sensibilité, virtuosité… Sa première intervention (air avec chœur au 2e jour) est splendide, l’air du printemps plein de fraîcheur et de gaieté, celui des oiseaux d’une très grande agilité. Elle formera par ailleurs un très beau duo (Ève /Adam) avec la basse dans la troisième partie.
Nahuel Di Pierro, précisément, possède une voix chaude, profonde mais aussi un français absolument parfait qui rendent ses interventions magistrales dans tous les récitatifs (celui du 2e jour !) et carrément impressionnantes dans celui de l’introduction. La basse gardera également toute sa prestance dans le récitatif des animaux.
Stanislas de Barbeyrac s’est quant à lui montré pleinement convaincant, avec un magnifique medium, une superbe projection dans chacune de ses interventions et une réelle agilité dans les vocalises. La narration accompagnant le magnifique lever de soleil de l’orchestre est absolument splendide, et le ténor se révèle remarquable dans le grand trio du 5e jour. C’est pourtant dans l’air de la création de l’Homme qu’il s’est sans doute montré le plus impressionnant…
Une soirée magnifique, qui aurait selon nous mérité un accueil plus chaleureux encore de la part du public. Fort heureusement, un enregistrement est annoncé : on l’attend avec impatience !
———————————————–
[1] Pour en savoir plus, voyez Jean Mongrédien, La Musique en France des Lumières au Romantisme, Paris : Flammarion, 1985, p. 183.
Ange Gabriel & Eve : Julie Roset –
Ange Uriel : Stanislas de Barbeyrac
Ange Raphaël & Adam : Nahuel Di Pierro
Chœur de Chambre de Namur, Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin
La Création
Oratorio de Haydn (1798) dans la version française Daniel Steibelt/Joseph-Alexandre de Ségur, édition critique de Julien Dubruque & Thomas Tacquet.
Concert du mardi 6 juin 2023, Festival de Saint-Denis