Les Talens Lyriques sont partout et partout chez eux. Après le concert et l’enregistrement de Fausto de Bertin, ils étaient à la Seine Musicale pour accompagner une soirée Mozart chantée – et de quelle façon ! – par le baryton Benjamin Appl[1]. Dommage que la couverture du programme de salle n’ait pas même mentionné le baryton…
Bien sûr, il y avait aussi quelques moments purement instrumentaux. Avec une ouverture de la Clémence de Titus d’une belle énergie et surtout une renversante Symphonie Linz. Une formidable surprise avec un orchestre en très grande forme, heureux de jouer un premier mouvement incisif, jubilatoire, un final vivacissimo pris avec une maîtrise confondante et surtout un second mouvement inquiet, ouvrant des abîmes presque crépusculaires.
Quant au baryton, Première Loge a déjà eu l’occasion d’en dire le plus grand bien[2]. La voix est somptueuse. Le travail du texte est confondant – sauf peut-être dans l’air de Vicente Martin y Soler tiré d’Una cosa rara, bien plus en retrait. Cette attention aux mots, au sens, aux nuances n’est pas sans lien avec un travail mûri auprès de grandes voix comme celles de Dietrich Fischer-Dieskau (dont il fut le dernier élève durant trois années) et Christian Gerhaher ou Thomas Hampson et Peter Schreier. Ces rencontres et un chemin personnel ont laissé les traces d’un perfectionnisme qui n’enlève rien au naturel. Du grand art !
Le programme était d’autant plus alléchant qu’il était vraiment original par ses mises en miroir, ses contrastes entre des musiciens célèbres à Vienne dans les années 1780. Mais il n’était pas totalement inédit puisqu’en 1996, Christophe Rousset avait gravé un magnifique enregistrement avec la plupart de ces partitions confiées à la voix d’un autre baryton, Roberto Scaltriti[3]. Or ce programme n’ayant jamais fait l’objet de concert, le chef a eu la bonne idée de reprendre le concept un grand quart de siècle après.
Réécouter l’enregistrement avec Scaltriti est d’ailleurs édifiant. Sa voix est davantage celle d’un baryton « traditionnel ». Celle d’Appl fait entendre plus de nuances et une incarnation des rôles plus différenciée, plus subtile. Une jeunesse, une fraicheur, un engagement de chaque mot et chaque note.
Le programme ne cherchait donc pas le plus connu, jusqu’aux deux bis de Haydn proposés : les brillants « Mille lampi », tiré d’Orlando Palatino et « Mai non sia inulto » de l’Anima del filosofo. Le concert s’était ouvert avec trois airs de concert de Mozart, presqu’aussi rarement donnés que les airs signés Sarti, Soler ou Salieri. La soirée débutait avec le superbe « Rivolgete a lui lo sguardo », venu tout droit de la version originelle de Cosi fan tutte, enchaîné à l’air « Mentre ti lascio, o figlia ». Et immédiatement, toutes les qualités vocales de Benjamin Appl se révélaient dans la bravoure, l’éloquence, la confidence. L’air de Sarti, « Come un agnello », se faisait trompeur, avec ses effluves reprises dans le final de Don Giovanni, mais version bouffe. Partout, le sens de la phrase, du souffle, de l’intonation et du sens du texte grâce à une diction parfaite. Avec un moment de pure grâce : l’air de Mozart « Io ti lascio… », murmuré, sur le souffle. Temps suspendu dans ce magnifique concert.
Tout juste manque-t-il peut-être à Benjamin Appl une plus grande présence dramatique, plus assumée. Mais en même temps, son attitude nous introduisait dans un univers retenu, intime – complice.
Un vrai regret, toutefois, pour ce magnifique concert-récital : il se tenait devant une salle très peu fournie. Comme se le demandait Benjamin Appl lui-même à la sortie, est-ce par ce que nous ne sommes pas à Paris intra-muros ? Une fois encore, les absents ont eu vraiment tort.
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[1] Ce concert avait lieu dans le cadre du Festival annuel « Mozart Maximum », où se produisaient, entre autres, le Concentus Musicus et l’Insula Orchestra avec un concert à trois chefs (Stefan Gottfried et Ottavio Dantone et Laurence Equilbey.
[2] Voir les critiques de son récent concert du 19 juin, et de ses lieder de Wolf et de son Winterreise.
[3] Amadeus et Vienne, Disque Oiseau Lyre, paru en 1998.
Benjamin Appl, baryton
Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
Mozart lyrique
Wolfgang Amadeus Mozart La Clémence de Titus, ouverture ; Symphonie n° 36 « Linz ».
Airs de concert et d’opéras de Wolfgang Amadeus Mozart, Giuseppe Sarti, Joseph Haydn, Vicente Martín y Soler, Antonio Salieri.
La Seine musicale, Boulogne-Billancourt, concert du mardi 27 juin 2023.