Créé en 1988, le Concours Voix Nouvelles (qui a permis la révélation de talents tels ceux de Stéphane Degout, Karine Deshayes ou Natalie Dessay), connaît aujourd’hui sa cinquième édition. Parrainé par Agnès Jaoui, il est cette année organisé par Génération Opéra, une association regroupant les principaux directeurs et directrices d’opéras en France et dans plusieurs pays d’Europe (Suisse, Belgique, Allemagne).
Le concours s’assure la collaboration de l’ensemble des maisons d’opéra françaises (les premières sélections des candidats ont eu lieu en régions), auxquelles s’associent des relais en Belgique, en Suisse, au Canada, et les Instituts Français de grandes capitales européennes. Un partenariat a également été établi avec le concours Voix des Outre-mer.
Cette année, les candidats (tous âgés de moins de 32 ans) devaient chanter au moins un air d’opéra en français et une mélodie d’une compositrice. (Pourquoi, d’ailleurs, cantonner l’art des compositrices à la mélodie et ne pas imposer plus généralement « une page d’une compositrice » ? Cela permettrait d’entendre également des extraits d’opéras composés par des femmes, et ouvrirait plus large l’éventail du répertoire des mélodies, lieder et canzone…).
À l’issue de ces demi-finales, quelques constatations s’imposent :
- Si la parité est impeccablement respectée dans le jury, on remarque que le nombre de candidates est infiniment supérieur à celui des candidats (ceci s’expliquant sans doute par un nombre moindre de candidats s’étant présentés aux éliminatoires…) ;
- le répertoire français est très majoritairement représenté (il constitue presque les deux tiers du programme : outre l’air d’opéra français imposé, les mélodies retenues par les candidats était presque toutes chantées sur un texte français, et signées d’une compositrice française) ;
- parmi les airs ressortissant aux répertoires non francophones, l’Italie se taille la part du lion : les œuvres allemandes, anglaises, américaines, russes sont nettement moins présentes (même si l’Allemagne se rattrape un peu lors du deuxième concert !), voire font figure de raretés – pour ne rien dire des répertoires tchèque ou espagnol, absents des deux sessions.
- Il est bien sûr un peu lassant d’entendre trois fois « Madrid » de Viardot, ou de voir trois fois « passer l’hirondelle » (même volant à tire d’aile…) ; mais globalement, il y eut peu de redites dans un programme très copieux et quelque peu contraint.
- Ne furent proposés, en plus de huit heures de concert, qu’un seul Verdi et un seul Wagner : doit-on y voir une confirmation de la rareté des voix adaptées à ces répertoires, notamment des grands sopranos lyriques / lirico-spinto ?
- Le niveau des candidats est globalement très bon. Certains semblent déjà prêts à affronter l’épreuve de la scène (et c’est d’ailleurs déjà fait pour plusieurs d’entre eux : Claire Antoine vient de chanter Madame Lidoine à Liège, Julien Henric s’est déjà produit au festival d’Aix-en-Provence ou dans les opéras nationaux de Bordeaux ou Paris…). Tous sont arrivés très bien préparés, et rares ont été les erreurs constatées dans le choix des pages retenues : ainsi l’air d’Osmin ne semble pas le plus à même de mettre en valeur les qualités de Mathieu Gourlet, qui n’en possède pas (encore) le mordant ni les graves abyssaux ; certaines sopranos affrontent le répertoire belcantiste avec des voix trop légères au regard des rôles choisis (la créatrice de Fiorilla, Francesca Maffei Festa, qui chantait l’Armida, la Desdemona, la Cenerentola de Rossini, ou encore la Vitellia de Mozart, n’était pas, de toute évidence, un soprano léger).
Nous regrettons bien sûr de ne pouvoir parler de chacun des quelque 40 candidats entendus, et nous nous contenterons de relever le noms de ceux qui nous ont fait forte impression – sélection nécessairement subjective et peut-être injuste !
CONCERT DU MERCREDI 28 JUIN
Si le second air du duc de Mantoue trouve Julien Henric peu à son aise (avec quelques problèmes de justesse dans le chant mezza voce), le « Rêve d’un soir » de Cécile Chaminade révèle de grandes qualités de phrasé et une réelle habileté à passer naturellement en voix mixte. Juliette Mey impressionne par la précision de ses vocalises (Juditha triumphans de Vivaldi) et fait preuve d’un certain abattage en Lazuli. Claire Antoine, Lila Dufy (sopranos) et Mathilde Ortscheidt (mezzo) disposent dans leur voix de couleurs très personnelles. La première fait entendre une ligne de chant très soignée – même si le second air de Mimi gagnerait à proposer un plus large panel de nuances et un clair-obscur plus prononcé. La seconde dispose d’une voix longue, souple, agile, habilement nuancée. Mathilde Ortscheidt se distingue par le caractère chaud et velouté de ses graves, mais l’aigu est un peu court, et les vocalises (air de Juno de Semele) pourraient gagner en assurance et en fermeté. La « Berceuse cosaque » de Viardot est en revanche un beau moment de poésie ! Pierre-Yves Cras (baryton) fait entendre un chant élégantissime et une diction de grande classe. Il reste cependant encore un peu sur la réserve quant à l’interprétation, surtout pour l’air du Comte des Noces de Figaro, qui requiert une maturité que ce talentueux baryton ne demande qu’à acquérir. Si le rondo final de Cenerentola est encore un peu surdimensionné pour le mezzo de Martina Myskohlid, la chanteuse délivre une interprétation impeccable des couplets de Stéphano (Roméo et Juliette), pleins de virtuosité, de présence et d’arrogance. On apprécie le beau legato et la ligne de chant soignée de Marie-Dominique Ryckmans, qui brille surtout dans l’émouvante scène de folie d’Ophélie, dont la chanteuse ne propose qu’un extrait (elle ne commence qu’à la chanson « Pâle et blonde », dont elle ne chante par ailleurs qu’un couplet). Si l’air d’entrée de Lucia trouve Emy Gazeilles un peu avare de couleurs (son interprétation n’en demeure pas moins satisfaisante, malgré un départ raté dans la cadence finale, habilement rattrapé par le pianiste), elle délivre une valse de Juliette vraiment brillante, légère, virtuose et pleine de charme.
Un mot enfin de la prestation de Livia Louis-Joseph Dogué : si l’émission vocale souffre ici ou là de quelques irrégularités, la projection est d’une facilité et d’un naturel confondants, et la diction est particulièrement claire. Un talent prometteur, que la candidate, très jeune (19 ans), a tout le temps de faire mûrir et de peaufiner !
Enfin, Lauranne Oliva, Axelle Saint-Citel, Louis Morvan et Claire de Monteil et se sont selon nous particulièrement distinguées lors de ce premier concert. Lauranne Oliva, soprano de 22 ans, dispose d’une voix d’une grande fraîcheur, projetée avec naturel, et fait entendre un chant soigné et nuancé. Après une Blanche de la Force très émouvante, elle affronte crânement la scène finale de La Sonnambula, cabalette incluse, dont elle restitue avec talent toute la nostalgie – et tout l’enjouement dans un « Ah, non giunge » bien maîtrisé. Nous plaçons également la basse Louis Morvan dans ce « peloton de tête » : certes la ligne de chant gagnerait encore à être polie ici ou là. Mais il s’agit d’une vraie personnalité, avec une présence et un chant qui « empoignent » immédiatement l’auditeur. Les trois airs retenus par le chanteur sont par ailleurs plutôt originaux : si celui de Ralph (La Jolie Fille de Perth) est assez souvent proposé dans le cadre des concours (mais il est ici particulièrement habité), le lied de Clara Schumann et l’air de Bartolo des Noces de Figaro sont des choix heureux mettant bien en valeur l’art du chanteur.
Axelle Saint-Cirel, déjà lauréate du concours des Voix des Outre-Mer 2023, séduit également : le timbre captive immédiatement, et le chant est probe et constamment soigné. L’air de Nicklausse, notamment (« Vois sous l’archet frémissant »), est une très belle réussite.
Comme lors du concert du Fonds tutti donné en décembre 2022 à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille, Claire de Monteil propose l’air d’entrée de la Leonora du Trovatore : les longues lignes de la cavatine sont élégamment dessinées, et les moyens vocaux, très importants, s’allègent habilement pour rendre justice à la virtuosité d’une cabalette amputée de sa reprise. Dans la très touchante mélodie de Cécile Chaminade « Ma première lettre », la chanteuse fait valoir de superbes qualités de diction, mais c’est surtout l’air de Chimène qui marque les esprits, Claire de Monteil offrant peut-être ici le moment le plus authentiquement tragique de la soirée.
CHANTEURS
Sopranos
Claire Antoine, Margaux de Valensart, Lauranne Olivia, Livia Louis Joseph Dogue, Claire de Monteil, Alexandrine Lerouge Monnot, Anaïs Merlin, Marlène Chevalley Knoepfler, Lila Duffy, Marie-Dominique Ryckmans, Emy Gazeilles
Mezzo-sopranos
Juliette Mey, Mathilde Ortscheidt, Martina Myskohlid, Axelle SaintCirel
Contre-ténor
Rémy Bres Feuillet
Ténor
Julien Henric, Valentin Thill
Baryton
Pierre-Yves Cras
Basse
Mathieu Gourlet, Louis Morvan
PIANISTES
Rodolphe Lospied, Ayaka Niwano, Edward Liddall, Cyril Kubler
Demi-finale du concours Voix Nouvelles 2023 (1/2)
Opéra de Massy, mercredi 28 juin 2023