Dans la cour des Hospices de Beaune, l’oratorio haendelien Theodora remporte un indéniable succès. Sous la direction de Leonardo García Alarcón, le Millenium Orchestra, le Chœur de chambre de Namur et les chanteurs solistes sont restés vaillants pendant près de quatre heures.
Un oratorio ou un opera seria anglicisé ?
Cernée par les rutilantes toitures, la cour des Hospices est métamorphosée ce samedi 8 juillet. Loin de l’accueil des malades indigents (… au XVe siècle), l’espace est investi par les musiciens et le public lors de la seconde soirée du Festival international d’opéra baroque et romantique de Beaune. Moins connu que les précédents oratorios anglais de G. F. Haendel, Theodora parait ici dans sa version intégrale de 1750 (Covent Garden), sur un livret du révérend père Thomas Morell, complice du compositeur depuis Judas Maccabée. Son succès très réservé en 1750 peut s’expliquer par un scenario qui dérangeait les anglicans de l’Eglise réformée. Dans les territoires romains de l’Empire d’Orient, à Antioche, le martyre des premiers chrétiens – la princesse Theodora et Didyme, le centurion amoureux – s’inspire d’une légende exploitée par le romancier anglais R. Boyle et Corneille (Théodore, vierge et martyre). La lutte entre foi chrétienne et paganisme romain est le levier dramatique, exacerbé par le destin funeste des deux héros convertis, sacrifiés par le gouverneur romain, mais aussi par le peuple. En effet, le chœur joue alternativement le rôle des païens
Benjamin Constant, L'Impératrice Theodora (Buenos Aires, Museo Nacional de Bellas Artes)
romains (l’occupant) et des premiers chrétiens. Certes, l’oratorio déroule une panoplie de récitatifs / arie da capo au fil de trois longs actes, sur le modèle de l’opera seria que le compositeur a imposé au début de sa carrière londonienne (Royal Academy of Music). Un modèle d’autant plus évident que l’accent est mis sur une situation identifiée à l’opéra : les amants piégés par le destin. Cependant, le maître de la puissance chorale depuis Israel in Egypt dote le collectif de participations ciblées et d’une écriture luxuriante. Du côté des païens, citons la gigue populaire qui dynamise leur joyeux fanatisme (For ever thus stand fix the doom, acte I) ou bien la sarabande célébrant leurs divinités Flore et Vénus (Queen of Summer, II). Côté chrétiens d’Orient, la ferveur zélée des opprimés (All power in heav’n above, acte I) franchit les degrés au fil des trois actes pour atteindre l’apogée rassérénée du final (O Love divine, III). C’est d’ailleurs ce chœur qui est bissé d’une manière peu conventionnelle, puisque le chef d’orchestre suggère aux choristes de se répandre dans la cour des Hospices pour les dernières minutes du spectacle, bien après minuit. Une communion nocturne !
Du chœur et des solistes
Sous la direction de Leonardo García Alarcón au clavecin, en permanence réactif, le Millenium Orchestra est l’artisan de cette fresque haendelienne. S’en détachent les solistes flûtes, hautbois et bassons, ainsi que le violon solo (instrument obligé de nombreuses arias) et l’excellent continuo. Quelques approximations de justesse (violons), sans doute dues à la moiteur de l’air, n’entachent pas une prestation au long cours, qui s’enlise parfois dans l’uniformité des tempi de Lento. Un écueil qu’évite le récent enregistrement de Theodora (Il Pomo d’oro, CD Erato, 2022). C’est sans doute le Chœur de chambre de Namur qui assure la prestation la plus musicale et la plus aboutie. Les voix sont fraîches, nuancées, souples ou vigoureuses selon l’affect, cultivant la justesse lors des chromatismes. L’idée de spatialiser le chœur est un bonheur, pour l’œuvre comme pour la perception du public. Alignés au pied du plateau scénique, ou massés en grappe auprès du puits, ou bien garnissant les arcades illuminées du rez-de-chaussée ou du balcon à Cour (petit décalage avec l’orchestre éloigné), les choristes renouvellent leur direction sonore… et mobilisent l’intérêt de l’auditoire. Serait-ce une clé de dramaturgie qui pallie l’austérité d’un long oratorio (forcément non scénique) ?
Les deux héros sont parfaitement distribués, l’une à la soprano belge Sophie Junker (Prix du concours Händel de Londres, 2010), l’autre au contre-ténor montpelliérain Paul-Antoine Benos-Djian (remplaçant Christopher Lowrey sur le programme). Leurs deux duos amoureux sont d’une belle complicité et d’une émotion naturelle, osant les pianissimi aux confins du silence lors de leur commune acceptation du trépas (acte III). Avec un charisme certain, la soprano incarne la vierge martyre dont les doutes interrogent le libre arbitre. Sa maîtrise du pur son non vibré ou bien des vocalises sied aux arias, jusqu’aux feux de la cadenza (une fusée vers le contre ré). L’incarnation est dramatique comme en témoigne son bref (et unique) recitativo accompagnato (II), ou encore la manière d’habiter les silences qu’Haendel ménage au rôle (Fond, flatt’ring world, I).
Pour sa seconde apparition dans le rôle de Didymus (au TCE en 2021 et sur l’enregistrement signalé), Paul-Antoine Benos-Djian évolue avec aisance dans ce rôle subtil, pétri de générosité et de sincérité, si différent de celui de Giulio Cesare, ici tenu lors de l’édition 2022. Sa vocalité séduit par la douce clarté de voix de tête, la rondeur en voix de poitrine et, surtout, la variété des couleurs selon les voyelles chantées, tandis que ses vocalisations se lovent dans le tissu instrumental. La musicalité atteint son climax dans l’aria célébrant la libération des martyres vers l’immortalité – Streams of pleasure ever flowing (Des flots de plaisirs intarissables).
La jeune mezzo estonienne Dara Savinova incarne la suivante Irene, rôle fort doté par Haendel. Avec musicalité, elle délivre habilement les émotions même si la voix manque d’ampleur. Venons-en aux opposants des chrétiens. Le ténor Matthew Newlin (Septimus) joue réellement son rôle sur le devant de scène dévolu aux chanteurs, mais le soutien vocal nécessaire au chant vocalisant ou à l’ornementation manque. La basse Andreas Wolf (Valens, gouverneur romain) manifeste l’autorité éloquente d’un tyran par une émission assurée, mais souvent brute.
Après l’extraordinaire concert Purcell de l’ouverture du Festival, ce second opus promet de belles suites lors des soirées de juillet. Pour les 4 week-ends du Festival en juillet, consulter : https://www.festivalbeaune.com/programmation-2023/
Theodora : Sophie Junker
Irene : Dara Savinova
Didymus : Paul-Antoine Djian
Septimus : Matthew Newlin
Valens : Andreas Wolf
Chœur de chambre de Namur, Millenium Orchestra, dir. Leonardo García Alarcón
Theodora
Oratorio anglais en trois actes de Georg Friedrich Haendel, livret de Thomas Morell, créé le 16 mars 1750 à Covent Garden.
Festival international Opéra baroque & romantique de Beaune, représentation du samedi 8 juillet 2023.