Au cœur de la Cornouaille, la 44e édition des Semaines musicales de Quimper choisit le cap des « Nuits italiennes » du 16 au 20 août. Sous les voûtes gothiques de la cathédrale Saint-Corentin, l’ensemble Zene fait partager les émotions des madrigalistes Monteverdi et Gesualdo. L’auditoire est captivé.
Un festival au cœur de la Cornouaille
Depuis quelques éditions, les Semaines musicales de Quimper se diversifient sous le directeur de programmation Andoni Aguirre . Du chœur citoyen au concert apéro au bar éphémère, des tarentelles traditionnelles au récital lyrique, tout public trouve son bonheur, y compris celui de se détendre lors d’un atelier « massages sonores ». D’autant que les lieux investis permettent de musarder dans le cœur historique de la cité, entre les Jardins de l’Evêché au pied des rives de l’Odet et les rues piétonnes bordées de demeures à colombages.
Première Loge assiste à deux concerts dont la qualité pourrait vous inciter à séjourner dans la fraîcheur finistérienne… et son brumisateur naturel !
Les madrigalistes avec l’ensemble Zene
Ce 18 août, l’ensemble Zene (« musique » en hongrois) – cinq chanteurs chanteuses, deux instrumentistes – explore les affects des madrigaux renaissants. Et ce, en toute autonomie après leur travail réalisé avec leur chef, Bruno Kele-Baujard, fondateur de Zene (2014). Lors de sa présentation, ce dernier précise que la formation est invitée pour la troisième fois par la manifestation quimpéroise. L’été 2022, Première Loge avait apprécié leur exploration made in Transylvanie aux Rencontres de Vézelay.
Consacrée à un florilège de madrigaux de Claudio Monteverdi et de Carlo Gesualdo (voir la rubrique Programme), la première partie dévoile l’expressivité soutenue du premier et les tourments du second. L’extatique Ecco mormorar l’onde (2e Livre), sur un poème de Torquato Tasso, offre une immersion sonore dans la polyphonie renaissante par ses respirations, ses ondoiements. Par la suite, les effets de figuralisme (madrigalismes) éclairent les émotions amoureuses qui parcourent les divers poèmes : « pietosa » pour l’un, « sospirando » pour l’autre, « dolorosa » du plaintif Ohimé se tanto amate (4e Livre) avant les lamentations chromatiques de Lasciate mi morire (6e Livre). Ouvrant le volet consacré à Carlo Gesualdo, prince ténébreux, Moro lasso al mio duole (6e Livre) est un itinéraire tortueux, quasi torturé, où la dissonance est cultivée au plus près des frottements, voire du cri. La difficulté du parcours chromatique est battue en brèche par les cinq madrigalistes. Tous concentrés, comme d’ailleurs l’auditoire qui remplit les travées gothiques où les chants dessinent de sonores ogives.
En seconde partie, deux instrumentistes – la gambiste Alice Trocelier et le théorbiste Diego Salamanca – se joignent aux chanteurs. Ce soutien de la basse continue étoffe l’expression poétique, tant profane que sacrée. Relevons la théâtralisation du Lamento della ninfa que Monteverdi fait évoluer vers la naissance de l’opéra en opposant la voix féminine au trio masculin. Et le public acclame l’ultime pièce, Duo Seraphim, dans laquelle l’entrelacs des voix de ténor et de basse devient un prétexte à leur surenchère virtuose. Celle-ci est d’autant plus réjouissante (comique ?) que l’ostinato des instruments est pulsé avec un swing entraînant.
Tous les interprètes partagent une complicité optimale par l’écoute et le cheminement expressif. La souplesse vocale qualifie l’aisance des deux soprani, capables de projeter d’éclatants aigus ou de dialoguer dans Pulchra es (Vêpres de la Vierge). Deux pièces permettent d’apprécier le pouvoir expressif de chacune. Soit Anne-Laure Hulin (soprano) dans le sublime recitar cantando de la Pianta della Madonna (contrafactum du Lamento d’Arianna). Soit Charlotte Bozzi (soprano) dans le véhément Lamento della ninfa. Du côté des chanteurs, le contre-ténor Léo Fernique tient son registre dans les madrigaux (en dépit d’un vibrato serré), tandis que le pivot de la basse René Ramos-Premier (au large ambitus) maintient l’assise du contrepoint exubérant. Bénéficiant de son expérience avec les Arts florissants (enregistrement des Madrigaux sous la dir. de Paul Agnew), le ténor Sean Clayton imprime les élans (entrées en imitation) et les ruptures de tempo au collectif des solistes chanteurs. Dans la pièce solo, Si dolce è il tormento, il joue du raffinement des nuances, à égalité de la viole de gambe, devenue mélodique.
La seule réserve concerne le programme de salle, inexistant … Dommage pour le titre et les poèmes des œuvres, sans compter l’absence du nom des interprètes (que nous avons repêché auprès des artistes, après le concert).
Prochain rendez-vous quimpérois lors de la soirée du 20 août : le baroque italien est à l’affiche avec l’ensemble I Gemelli.
Ensemble Zene, direction Bruno Kele-Baujard
Claudio Monteverdi, Ecco mormorar l’onde ; Svogava con le stelle ; Darà la notte il sol ; Volgea l’anima mia ; Ah, dolente partita ; Lasciate mi morire ; A un giro sol de belle occhi ; Ohime, se tanto amate ; Lamento della ninfa ; Si dolce è il tormento (madrigaux des 2e, 3e et 4e Livres). Pianto della Madonna ; Pulchra es ; Duo Seraphim.
Carlo Gesualdo, Morro lasso ; Io pur respiro.