Les jeunes artistes de l’Académie de l’Opéra de Paris ouvrent leur saison par un très beau concert dix-huitièmiste
Le succès des concerts donnés par les membres de L’Académie de l’Opéra de Paris semble aller grandissant : en témoigne la soirée du 27 septembre, avec un amphithéâtre Messiaen plein comme un œuf et, au moment des saluts, des applaudissements particulièrement longs et chaleureux. Il est vrai que le cadre se prête idéalement à cet exercice (une salle aux dimensions humaines et à l’acoustique très agréable, dont le seul défaut est de laisser entendre la cloche qui signale la fin des entractes aux spectateurs de la grande salle. Ce soir, c’est Sofiia Anisimova qui en fera les frais, pendant l’air de Sesto). Par ailleurs, le programme conçu pour l’occasion s’est révélé parfaitement équilibré : entièrement consacré au XVIIIe siècle, il a permis, aux côtés des indispensables Mozart et Gluck, de (re)découvrir Joseph Bologne de Saint-George (décidément très à l’honneur ces temps-ci) dont le beau Quatuor à cordes n°4 en do mineur a été interprété avec finesse et sensibilité par Alexandra Lecocq et Aï Nakano (violon), Leonardo Jelveh (alto) et Auguste Rahon (violoncelle). Enfin, les jeunes artistes s’étant produits ce soir ont proposé un concert de haute tenue et ont fait preuve, de toute évidence, d’une excellente préparation.
Comme souvent (c’est aussi quelque chose que l’on constate lors des concours de chant), le vivier des chanteuses – et spécialement des sopranos – est plus important que celui des hommes (cinq sopranos, deux mezzos, deux ténors, un baryton, deux barytons-basses). Ce soir, les hommes ont cependant fait preuve de qualités certaines. Le français Thomas Ricart dispose d’un très beau matériau vocal (timbre frais, belle variété de couleurs et de nuances, émission facile et naturelle dans le médium), qui demande à être encore un peu peaufiné afin notamment de gagner en assurance dans le registre aigu. Il faudra veiller également à ne pas négliger la prononciation, certaines consonnes étant parfois légèrement escamotées (peut-être afin de ne pas briser le legato ?), ce qui est surtout dommageable aux œuvres allemandes (air de Tamino), où leur netteté et leur incisivité sont particulièrement requises. Si la voix de Luis Felipe Sousa peut encore gagner en puissance, son Papageno, heureusement dénué de tout cabotinage, est chanté dans un style très pur. Le « Nun wohlan », interprété avec pudeur, est d’une très belle émotion. (Quelle bonne idée d’avoir préféré cette scène aux deux airs de l’oiseleur, qui n’autorisent qu’un panel d’émotions très restreint !). Second baryton-basse de la soirée, Ihor Mostovoi fait déjà preuve d’une très belle assurance vocale mais aussi scénique, peut-être acquise lors de sa formation première, consacrée au théâtre et à la chanson populaire.
Andres Cascante – © Vincent Lappartient – Studio j’adore ce que vous faites
Le baryton Andres Cascante et le ténor Kevin Punnackal ont parfaitement convaincu en Oreste et Pylade (Iphigénie en Tauride). La voix du premier pourra sans doute se déployer encore plus librement dans quelque temps, mais le chanteur fait d’ores et déjà preuve d’une belle autorité. Le ténor quant à lui dispose d’un timbre naturellement émouvant et sa ligne de chant, dans « Unis dès la plus tendre enfance », se révèle particulièrement soignée. Reste au chanteur américain à varier un peu plus les couleurs et à soigner la prononciation du français, qui, sans être indigne, reste perfectible.
Côté femmes, c’est Sima Ouahman qui ouvre le concert avec Blonde de L’Enlèvement au sérail : le timbre chaleureux de la soprano française nous change de façon très bienvenue des timbres un peu acides et des voix pétulantes auxquels on confie parfois le rôle. Même rondeur dans la voix chez Boglárka Brindás qui propose également une Servilia plus corsée que celles que l’on entend habituellement. N’a manqué à son chant qu’un souffle un peu plus long qui lui aurait permis de mieux tenir les aigus filés qui concluent son air. La voix de Sofiia Anisimova, au grain très particulier, possède un petit vibrato serré qui la rend immédiatement émouvante. L’air de Sesto qu’elle propose en première partie serait quasi parfait, n’étaient les longues vocalises finales légèrement approximatives (il faut dire qu’elles sont chantées sur un tempo très rapide !) et que la chanteuse doit interrompre pour reprendre souffle.
Margarita Ponlonskaya a étonné le public par la facilité et l’assurance avec laquelle elle projette sa voix et par la qualité d’une ligne vocale jamais mise en péril par l’écriture pourtant très tendue de l’air du second acte d’Iphigénie (qui a donné du fil à retordre aux plus grandes !). Dans Orphée et Eurydice, Teona Todua est une émouvante Eurydice, dans son chant probe et stylé mais aussi dans son maintien en scène, très élégant. Seray Pinar, un peu en retrait quand elle chante en duo ou en trio, lui donne une splendide réplique en Orphée : le timbre est superbe, le style très pur, l’attention aux mots et aux nuances constante. L’ultime reprise piano de « J’ai perdu mon Eurydice » est particulièrement émouvante.
Teonu Todua
Seray Pinar
Margarita Ponlonskaya
© Vincent Lappartient – Studio j’adore ce que vous faites
Enfin, Lisa Chaïb-Auriol est une délicieuse Pamina. Si son « Ach, ich fühl’s » peut sans doute gagner encore en émotion, elle s’y montre remarquablement préparée techniquement, avec une qualité de timbre égale jusqu’aux deux extrêmes de la tessiture, un legato extrêmement soigné, de très beaux aigus piano ou pianissimo, et une élégante messa di voce sur le « Im Tode sein » final.
Il convient enfin de ne pas oublier Raphael Jacobs qui, après une scène d’ouverture moyennement convaincante et assez peu originale (les artistes, pendant l’ouverture de L’Enlèvement au sérail, traversent la scène en tous sens d’un pas décidé), règle un spectacle sobre d’où se distinguent le soin apporté à la direction d’acteurs et aux transitions entre les différentes scènes, mais aussi l’ensemble des musiciens, pianistes (les pianistes Guillem Aubry, Mariam Bombrun, Robin le Bervet et Paul Coispeau ; la violoniste Keika Kawashima ; l’altiste Perrine Gakovic ; le violoncelliste Gabriel Bernès ; la contrebassiste Sulivan Loiseau), artisans à part entière du succès remporté par ce concert.
En bis, les artistes, rejoints par d’anciens membres de l’Académie, ont interprété un bouleversant Youkali de Kurt Weill (dans un arrangement de Benjamin Laurent), en hommage à la pianiste, pédagogue, coach vocal Margaret Singer, récemment disparue, déchaînant les ovations d’un public conquis.
Sopranos : Sima Ouahman, Boglárka Brindás, Margarita Polonskaya, Teona Todua, Lisa Chaïb-Auriol
Mezzo-sopranos : Sofiia Anisimova, Seray Pinar
Ténors : Thomas Ricart, Kevin Punnackal
Baryton : Andres Cascante
Barytons-basses : Luis Felipe Sousa, Ihor Mostovoi
Piano : Guillem Aubry, Mariam Bombrun, Robin le Bervet, Paul Coispeau
Violon : Keika Kawashima, Alexandra Lecocq, Aï Nakano
Alto : Perrine Gakovic, Leonardo Jelveh
Violoncelle : Gabriel Bernès,Auguste Rahon
Contrebasse : Sulivan Loiseau
Mise en espace : Raphael Jacobs
Extraits d’œuvres de Wolfgang Amadeus Mozart, Joseph Bologne de Saint-George, Christoph Willibald Gluck.
Concert du mercredi 27 septembre 2023, Opéra de Paris (Amphithéâtre Olivier Messiaen).