Premier grand événement lyrique de la nouvelle saison montpelliéraine, le Gala qui vient de se tenir au Corum/Opéra Berlioz a remporté un très grand succès. Le public est venu nombreux, sans doute impatient tout à la fois de découvrir de jeunes artistes à l’orée de leur carrière, mais aussi d’entendre des pages du grand répertoire : la saison 23-24, riche en musique de chambre, musique baroque, musique symphonique, sera en effet cette année moins généreuse en événements lyriques qu’à l’accoutumée (à ne pas manquer cependant une nouvelle Bohème, la création française, très attendue, du « conte documentaire » Negar de Keyvan Chemirani, mettant en scène trois jeunes iraniens cherchant à se créer des espaces de liberté dans une société régie par les interdits, et une reprise de La Vie parisienne vue par Christian Lacroix).
Premier motif de satisfaction : le programme, dont la première partie est consacrée à Verdi, le second aux compositeurs dits « véristes ». Le Verdi qui a ici retenu l’attention du chef et des artistes est le Verdi sombre de la maturité et de la vieillesse (celui du second Simon Boccanegra, de Don Carlo, d’Otello) plutôt que celui des jeunes années – à l’exception d’I Lombardi et de Nabucco, dont le chœur « Gli arredi festivi » ouvre le concert en lieu et place du « Una vela, un vessillo » d’Otello, annoncé dans le programme. Si l’on ne peut dire que le concert permet de faire entendre de vraies raretés, du moins sort-il des sentiers battus. C’est encore plus vrai des pages proposées en seconde partie, le répertoire italien fin de siècle faisant l’objet d’un certain désamour de la part des programmateurs et directeurs de théâtre.
Au chœur maison s’est joint, à l’occasion de ce concert, celui de l’Opéra de Nice Côte d’Azur. Après quelques attaques un peu imprécises dans le tout premier chœur de Nabucco – des petites imprécisions que l’on perçoit aussi ici ou là à l’orchestre –, les choses se mettent très vite en place et l’équilibre attendu entre rigueur et musicalité a bien lieu, le public saluant chaleureusement les artistes, choristes et instrumentistes, à l’issue du concert, conquis par leur implication sans faille. Une mention spéciale aux cordes de l’orchestre (capables d’une très belle transparence dans les pages orchestrales proposées en seconde partie, ou encore dans les dernières mesures de l’Ave Maria de Desdémone) et notamment aux violoncelles, superbes de chaleur et de sensualité dans l’ouverture des Vêpres siciliennes. Une ouverture dont le chef Francesco Angelico souligne à juste titre, dans sa direction nerveuse et empreinte de violence, les accès de sauvagerie, encore accentués par le jeu des éclairages réglés par Mathieu Cabanes, donnant à la scène du Corum les couleurs fauves d’un incendie. Le chef, par ailleurs, aura à cœur au cours de la soirée de souligner, avec talent et efficacité, la richesse de la texture orchestrale et les contrastes qui émaillent telle ou telle page – même si, ici ou là, un surcroît de tension dramatique était possible (par exemple dans le halètement des cordes qui accompagne le chant désespéré de Carlo : « Tristo me! tu stesso,tu stesso, / mio Rodrigo, t’allontani da me?… »).
Le trio de chanteur a fait un tabac auprès du public ! Gëzim Myshketa qui fut sur cette même scène Bartolo en 2020 et Rigoletto en 2021, rate quelque peu son entrée avec un « Credo » de Iago qui le cueille à froid : le chanteur a du mal à maîtriser le vibrato et la justesse n’est pas toujours parfaite dans certains forte. Mais très vite la voix se chauffe et se stabilise, le baryton albanais délivrant un « Va, Tosca ! » glaçant d’autorité et se montrant surtout très émouvant en Boccanegra, avec une scène de l’empoisonnement et une invocation à la mer sollicitant de façon très poétique la voix mixte.
Oreste Cosimo, récemment applaudi à Nice dans Lucia di Lammermoor et La bohème, fait valoir une belle maîtrise de son instrument et fait entendre une ligne de chant élégante parce qu’attentive aux mots et aux nuances. L’interprète est fougueux (il en perd même parfois ses repères rythmiques, comme dans le duo Rodrigo/Carlo : « Io l’ho perduta! Ei sua la fe’! Gran Dio! » ; il faut dire que les chanteurs sont ici placés devant l’orchestre et le chef, et ne peuvent donc se « raccrocher » à la battue de ce dernier en cas de légers décalages !) et la chaleur qui émane de son chant lui vaut un très beau succès, notamment après un lamento de Federico (L’Arlesiana) chanté sur le souffle et empreint d’émotion.
Yumuet Laguna, enfin, a fait figure de révélation. Cette jeune artiste d’origine mexicaine, qui se produit pour l’heure surtout en Amérique, dispose d’une belle voix de soprano lyrique, longue et richement colorée. Si ses premières interventions la montrent un peu sur la réserve, sa Leonora de La forza del destino remporte tous les suffrages : l’émission est souveraine, les graves sonores sans être appuyés, les aigus éclatants. Devant des moyens si imposants, on se demande si elle parviendra à émettre piano le difficile aigu de « Inva la pace »… Elle fait mieux : la note est émise à pleine voix, avant de s’éteindre délicatement sur un superbe diminuendo ! Une artiste à suivre, assurément.
Un mot enfin sur la mise en espace de Franciska Éry. Lorsqu’apparaît sur scène, pendant le premier chœur, un homme en jean et baskets, smartphone à la main, filmant les musiciens et les choristes (il joue visiblement le rôle d’un « naïf » arrivé par hasard sur le plateau et découvrant le concert au fur et à mesure de son déroulement), on prie Saint Roch, patron des montpelliérains, pour que sa présence ne soit pas trop appuyée pendant tout le concert et ne parasite pas notre attention. De fait, le rôle de l’acteur restera plutôt discret (il participe parfois à l’action en tendant aux personnages certains accessoires), et les vues qu’il filme, projetées sur un écran derrière les choristes, apporteront un point de vue parfois intéressant sur les chanteurs comme sur les musiciens de l’orchestre. Si la mise en espace a comporté par ailleurs selon nous une ou deux maladresses (l’émotion véhiculée par le lamento de Federico se suffit à elle-même, inutile de détourner l’attention du spectateur par la vision d’un couple d’amoureux s’enlaçant pendant que chante le ténor), elle règle élégamment les entrées et sorties des personnages et propose une direction d’acteurs efficace, notamment dans les belles et longues scènes de Simon Boccanegra.
Le public, très enthousiaste, aurait sans doute aimé un bis… mais pas facile d’en proposer dans le cadre d’un récital « à trois » ! Prochain rendez-vous lyrique, cette fois-ci à l’opéra Comédie : un concert Mozart (Mozart, l’enfant prodige, 27 et 28 octobre), au cours duquel Philippe Jaroussky dirigera (pour la première fois) l’Orchestre national Montpellier Occitanie, et Marie Lys chantera des airs de concert, ainsi que des extraits de Mithridate et de Lucio Silla.
Yunuet Laguna, soprano
Oreste Cosimo, ténor
Gëzim Myshketa, baryton
Grégory Cartelier, comédien
Orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Francesco Angelico
Chœur Opéra national Montpellier Occitanie, dir. Noëlle Gény
Chœur de l’Opéra de Nice Côte d’Azur, dir. Giulio Magnanini
Mise en espace : Franciska Éry
Lumières : Mathieu Cabanes
Gala lyrique
Extraits de Nabucco, I Lombardi, Otello, Simon Boccanegra, L’Amico Fritz, L’Arlesiana, Tosca, Adriana Lecouvreur, I pagliacci, Mefistofele.
Corum/Opéra Berlioz, Montpellier, concert du samedi7 octobre 2023.