Sur le chemin d’Ithaque, Ulysse et I Gemelli font escale à Nantes et y sont accueillis « comme à la maison »

Le Retour d’Ulysse dans sa patrie à la Cité des Congrès de Nantes

Porté par pas moins de quatre partenaires institutionnels – dont Angers Nantes Opéra et la Cité des Congrès – le festival Baroque en scène s’est imposé en quelques années comme un rendez-vous incontournable du début de la saison lyrique en région Pays de la Loire. Après une magique Alcina dirigée par Christophe Rousset dont nous avions rendu compte dans ces pages l’an passé, c’est au tour du Retour d’Ulysse dans sa patrie et de la jeune formation baroque I Gemelli d’enflammer le public nantais.

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Il y a quatre ans, une formidable exposition consacrée par le Louvre Lens à la figure d’Homère a contribué à rappeler combien la culture occidentale s’est longuement et patiemment abreuvée aux sources de L’Iliade et de L’Odyssée : peinture, sculpture et poésie ont de longue date trouvé en Pâris et Hélène, Achille et Hector ainsi qu’en Priam et Ménélas des personnages aux vertus héroïques et aux caractères mesquinement humains capables de nous être proches à toutes les époques.

Forme artistique à peine éclose au milieu du XVIIe siècle, l’opéra ne devait pas tarder à aller guigner lui aussi du côté des récits homériques : après le mythe d’Orphée mais avant Les Annales de Tacite où il a trouvé ensuite la matière de son ultime chef d’œuvre, l’Incoronazione di Poppea, Claudio Monteverdi s’est lui-aussi rapidement penché sur L’Odyssée pour y puiser l’inspiration de son Ritorno d’Ulisse in patria. Des trois grandes partitions qui constituent aujourd’hui le legs opératique monteverdien (sept autres opéras ont malheureusement été perdus), Ulysse est celle que le grand public connait le moins et celle qu’on estime, à tort, la plus ennuyeuse.

Il ne fallait pas moins que la pugnacité et le talent de Mathilde Etienne et d’Emiliano Gonzalez Toro pour tordre le cou à ces préjugés et replacer Le Retour d’Ulysse dans la lumière : une production scénique en 2021 au théâtre des Champs-Élysées, un enregistrement de studio avec les musiciens de la formation I Gemelli et un énormissime travail éditorial pour offrir au public, en cette rentrée 2023, un livre-disque de toute beauté (couvert de récompenses par toute la presse spécialisée), trouvent à présent leur aboutissement dans une tournée de représentations concertantes qui, après Bordeaux, Tours et Genève – et avant Toulouse, Bruxelles et Madrid – fait escale à Nantes pour la soirée d’ouverture du festival Baroque en scène.

Aux spectateurs qui ne connaissent pas la partition du Retour d’Ulysse dans sa patrie et qui n’ont jamais lu les derniers chants de L’Odyssée, les ultimes tribulations du voyage du rusé roi d’Ithaque rappelleront sans doute un vieux péplum de 1954 avec Kirk Douglas ou, peut-être, le 23ème épisode de la série d’animation franco-japonaise Ulysse 31 qui contribua tant à populariser les récits homériques auprès des enfants des années 80 ! De retour à Ithaque en dépit des embûches qu’ont semé sur sa route les dieux protecteurs de Troie, Ulysse doit affronter les prétendants qui se disputent la couche de Pénélope avant de recouvrer son trône et son épouse. Auparavant, il est successivement reconnu par sa vieille nourrice et par un porcher benêt (Monteverdi nous épargne la reconnaissance d’Ulysse par son chien !) dans un parcours initiatique qui n’est pas sans rappeler la manifestation du Christ à Marie-Madeleine et aux pèlerins d’Emmaüs avant que le miracle de la résurrection ne soit finalement admis par les Douze.

Pour donner à voir autant qu’à entendre ces heureuses retrouvailles – Monteverdi qualifiait d’ailleurs cet opéra de Tragedia di lieto fine in un prologo e tre attiMathilde Etienne a imaginé un dispositif dans lequel les musiciens de I Gemelli se font face (les cordes à jardin ; le continuo, les bois et les cuivres côté cour) sur des podiums qui délimitent, au centre du plateau, une arène où ne se tient, de dos, que Violaine Cochard qui assure à la fois l’accompagnement au clavecin et à l’orgue positif. Tout au long du spectacle, la quinzaine de solistes va donc aller et venir parmi les instrumentistes, se cachant derrière les uns, utilisant le coffre du clavecin comme un élément de décor et ne recourant qu’à quelques accessoires extrêmement symboliques : un tabouret de bar pour le trône de Pénélope, une pièce d’étoffe bise et un bâton noueux pour transformer Ulysse en vieillard et, bien sûr, l’arc retors du tournoi des prétendants. Économe et ingénieuse, cette mise en espace (couplée à la projection des surtitres) donne toute sa fluidité narrative à la représentation et rend immédiatement compréhensible les tribulations des personnages, y compris à la partie la plus novice du public qui se confronte à l’austérité de la manière monteverdienne pour la première fois.

Une autre porte d’entrée dans l’œuvre avec laquelle Mathilde Etienne a également su habilement jouer, c’est l’alternance – voire la cohabitation – tout au long du Retour d’Ulysse, de grandes scènes tragiques ou héroïques et de moments de bouffonnerie qui usent des codes populaires de la comedia dell’arte. En 1640, lorsque Monteverdi crée Il Ritorno d’Ulisse in patria pour la saison du carnaval vénitien, l’opéra a sensiblement évolué depuis Orfeo et le temps des divertissements lyriques donnés dans le cadre du mécénat privé a déjà cédé la place à une véritable économie du spectacle dans laquelle chacun des spectateurs paye son écot pour assister à la représentation. Pour attirer ce public populaire, il faut donc lui donner à entendre ce qu’il apprécie, d’où la cohabitation des genres qui caractérise si bien la partition d’Ulysse.

C’est peu dire que l’ensemble des solistes de ce projet joue à fond la carte de l’implication dramatique dans leurs personnages respectifs. Pour ce faire, chacun a dû apprendre par cœur l’intégralité de son rôle car il est évidemment inconcevable d’être crédible si l’on joue la comédie avec une partition entre les mains ! Il se dégage ainsi du spectacle une atmosphère sympathique de troupe où les hiérarchies sont abolies et où chacun, qu’il incarne un petit ou un plus grand rôle, prend d’abord plaisir à interagir et à faire de la musique avec ses camarades et avec le public.

L’absence de chef placé symboliquement dos à la salle, comme une interface nécessaire pour connecter les spectateurs aux musiciens, participe elle-aussi de la spontanéité rafraichissante de cette exécution de la musique de Monteverdi. Si Emiliano Gonzalez Toro, fondateur et directeur musical de I Gemelli, est présent sur la scène du début à la fin de la représentation, c’est la plupart du temps, lorsqu’il n’incarne pas le personnage d’Ulysse, pour se tenir de côté, un pas derrière ses musiciens qu’il a suffisamment coachés en amont du spectacle pour leur laisser la bride sur le cou. Ce regard bienveillant du chef posé sur son orchestre en dit long sur la fraternité d’arme qui lie tous ces artistes les uns aux autres et la dimension profondément humaine d’un projet comme celui-ci.

Dès les premiers accords primesautiers du prologue qui mêlent la suavité des cordes et la verdeur des flûtes baroques se reproduit sur la scène de la Cité des Congrès de Nantes le miracle de la captation de studio réalisée par les mêmes instrumentistes quelques mois plus tôt. Dans le répertoire monteverdien, I Gemelli ont réussi en peu de temps à trouver une authenticité de sonorité et une sincérité d’intention qui en font une formation désormais incontournable dans la riche nébuleuse des orchestres baroques. À chaque pupitre, Emiliano Gonzalez Toro est en effet parvenu à recruter des musiciens d’une virtuosité inouïe qui, toujours, font passer la beauté collective du son avant la démonstration technique individuelle.

Dans l’impossibilité de citer la totalité de la vingtaine d’instrumentistes de I Gemelli, qu’il nous soit cependant permis de retenir la richesse inouïe du continuo assuré par Violaine Cochard (susnommée), la harpiste Marie-Domitille Murez, le luthiste Vincent Flückiger et le théorbiste Nacho Laguna. C’est un véritable swing qu’ils parviennent à insuffler à la musique de Monteverdi et, en l’absence de chef, c’est à eux qu’il revient d’imposer le tempo de l’exécution musicale, ce dont ils s’acquittent avec une rigueur qui n’est jamais guindée. Quand les cuivres baroques sonnent si souvent aigres ou de manière trop verte, les sacqueboutes de Miguel Tantos Sevillano et de Fabio di Cataldo teintent vaillamment aux passages les plus héroïques de la partition comme pendant la rixe d’Ulysse et Iros. Louise Bouedo, enfin, réussit à tenir en haleine l’ensemble du public de la Cité des Congrès lorsqu’elle tire de sa trompette marine une série de sonorités rauques annonçant l’arrivée de Neptune. Tous ensemble, ces musiciens ont le talent de transformer le plomb en or et de rendre immédiatement parlante une musique pourtant savante et extrêmement codifiée.

Enfin, on saura gré à I Gemelli et à leur minutieux travail sur la partition du Retour d’Ulysse d’être parvenus à nous faire entendre que l’œuvre de Monteverdi porte en germe des idées dramatiques que des compositeurs plus tardifs se chargeront de développer – ou de parodier – au cours des siècles suivants. Comment en effet ne pas songer à Offenbach et au sabre du père de la grande-duchesse de Gerolstein lorsque Pénélope s’exclame avec grandiloquence, avant le duel des prétendants : « Voici l’arc d’Ulysse » ? Comment ne pas voir non plus en Iros, au début du troisième acte, les prémices du monstrueux Falstaff par lequel Giuseppe Verdi conclura sa carrière de compositeur lyrique à l’extrême fin du XIXe siècle ? Les khâgneux apprennent à surmonter certaines contradictions dialectiques en invoquant à tout bout de dissertation la citation passe-partout d’Alfred Capus : « Tout est dans tout, et réciproquement » ; mais force est d’avouer que cet aphorisme résume et contient toute la force d’une œuvre à la fois universelle par son sujet et profondément intime par les émotions qu’elle convoque chez le spectateur.

Ulysse 21

Opéra d’une modernité qui n’a rien à envier à celle de notre XXIe siècle, Il ritorno d’Ulisse in patria nécessite pas moins d’une quinzaine de solistes pour incarner et prêter leurs voix à toute une série de héros, de divinités et de mortels. Pour cette version de concert nantaise, Emiliano Gonzalez Toro réussit le tour de force de renouveler la moitié de la distribution de son enregistrement tout en préservant l’énergie tellurique et la vie de sa gravure de studio.

Parmi les nouveaux arrivés, David Hansen remplace rien moins que Philippe Jaroussky dans le rôle très bref de la Fragilité humaine qui n’intervient que dans le court prologue. Découvert au début des années 2000 en même temps que toute une jeune génération de contre-ténors, ce chanteur australien à la carrière désormais confirmée possède un timbre séduisant, un registre grave solide et une expressivité qui donnent immédiatement corps à ce personnage allégorique.

Jupiter, Neptune, Minerve et Junon : tous les rôles de dieux et de déesses voient eux-aussi leurs titulaires renouvelés par rapport au coffret récemment paru aux éditions Gemelli factory. Juan Sancho et Christian Immler donnent des frères Jupiter et Neptune un portrait aussi contrasté que leurs tessitures : le premier est un ténor au timbre autoritaire et c’est l’agilité de sa ligne de chant associée à la virtuosité de ses appogiatures qui lui confèrent le statut incontestable de maître des dieux. Le second déploie dans le rôle de la divinité océane une voix grave et bien assise qui convient idéalement à celui dont la rancune et la colère ont poursuivi Ulysse pendant dix ans ! Dans les rôles assez courts de Junon et de l’Amour, Lysa Menu peut faire valoir les aigus percutants de son joli soprano mais, au rayon des divinités, c’est surtout la Minerve de Mayan Goldenfeld qui marque les esprits et retient l’attention par l’aplomb de son incarnation et ses qualités musicales. En dépit d’une projection un peu courte, la soprano italo-israélienne convainc totalement dans son personnage de déesse prête à tout pour aider Ulysse à retrouver Pénélope et son trône. Les duos avec le roi d’Ithaque au premier acte et avec Télémaque au tout début du deuxième acte sont des moments de chant intense et émotionnellement habité mais c’est surtout dans la scène « Perir non può » qu’elle partage avec Ulysse que le métal en fusion de sa voix se fait émotion pure.

Dans le rôle du porcher Eumée, Nicholas Scott apporte une note de poésie lunaire qui convient idéalement à son personnage de serviteur fidèle bouleversé par le retour de son maître. Vocalement, le ténor britannique affiche une santé insolente et la simplicité naïve de son chant dissimule en réalité une technique solide et une parfaite adéquation avec le style monteverdien.

En remplacement de Rihab Chaieb qui est au disque une sublime Pénélope, Fleur Barron apporte au personnage de la reine esseulée une prestance aristocratique et une ligne de chant d’une beauté absolue. D’une souveraine élégance dans son fourreau de soie noire, la mezzo-soprano anglo-singapourienne compose sans pathos un personnage dévasté par l’absence de l’être aimé mais solide comme un roc pour lui rester fidèle et maintenir à flot la barque du royaume d’Ithaque. Précédée d’accords qui semblent venir d’outre-tombe, son apparition au début du premier acte et son lamento « Di misera regina » imposent immédiatement un personnage complexe à la voix souple, voilée de désespoir mais capable d’élans d’optimisme immédiatement réprimés par le poids du fatum. Dans son duo avec Télémaque, Fleur Barron sait aussi faire de Pénélope une figure de vestale outragée, à la fois gardienne du principe de fidélité conjugale et juge implacable de la légèreté d’Hélène qui a si facilement cédé aux charmes de Pâris, déclenchant la guerre de Troie. La scène finale de la reconnaissance d’Ulysse est interprétée par la chanteuse comme une entreprise de reconquête amoureuse de l’homme qu’elle croyait perdu : Fleur Barron y démontre que l’émotion juste – plus que les artifices vocaux – fait seule les grandes chanteuses.

Tout le reste du casting de ce concert nantais est composé de chanteurs qui ont participé à l’enregistrement du Retour d’Ulysse avec I Gemelli, à commencer par Mathilde Etienne et Alvaro Zambrano qui, en Mélantho et Eurymaque, forment un duo qui préfigure les personnages mozartiens de Zerlina et Masetto. Tous les deux possèdent des voix saines, une diction claire et une complicité qui fait sonner justes leurs déclarations d’amour enflammées. Dans le duo avec Pénélope « Donate un giorno », Mathilde Etienne essaie de convaincre la reine de céder aux avances des prétendants : son timbre se fait alors vénéneux et tentateur et témoigne ainsi d’un engagement dramatique particulièrement investi.

Quoique très bref, le rôle d’Euryclée va comme un gant à Alix Le Saux qui sait l’habiter avec beaucoup d’intériorité. Autant que son impeccable interprétation musicale, on retiendra aussi son jeu muet d’actrice lorsque la nourrice d’Ulysse hésite à révéler à Pénélope qu’elle a reconnu le roi à la cicatrice qui lui zèbre la cuisse. Zachary Wilder est aussi à son aise en Télémaque, personnage qui met particulièrement en valeur son timbre de ténor baroque. La scène qu’il partage avec Pénélope « Del mio lungo viaggio » est l’occasion de déployer en une sublime cantilène le récit de sa rencontre avec Hélène de Sparte et de dresser subtilement la description de la naissance du sentiment amoureux.

Personnage excessif et truculent, Iros trouve en Fulvio Bettini un interprète à la démesure de ce personnage gouailleur. Affublé d’une chemise de soie rouge mal boutonnée, feignant d’uriner contre la caisse du clavecin lorsqu’il fait sa première apparition sur scène, le baryton italien déploie toute sa science du chant bouffon pour incarner de manière crédible ce courtisan glouton. Il n’a pas son pareil pour ponctuer sa ligne de chant d’onomatopées tout en demeurant rigoureusement idiomatique dans la grande tradition des rôles comiques chers à Monteverdi, ce qui ne l’empêche pas non plus de savoir trouver des accents déchirants dans sa déploration « O dolor, o martir » au début du troisième acte.

Dans les rôles des prétendants Pisandre et Antinoos, Anders Dahlin et Nicolas Brooymans sont les principaux gagnants de l’applaudimètre à la fin de la représentation. Bien que son personnage ne chante qu’un nombre limité de répliques, le premier y met une tel vis comica que chacune des interventions de ce ténor suédois capable d’interpréter les rôles titres de Dardanus et de Platée est chaleureusement saluée par le public. Rendu ambigu par une utilisation particulièrement intelligente de sa voix de tête, l’instrument d’Anders Dahlin impressionne par la diversité de ses couleurs et la justesse de ses partis-pris dramatiques. Nicolas Brooymans a, lui, davantage d’occasions de déployer sa grande voix grave, que ce soit dans l’allégorie du Temps ou, plus encore, dans le personnage d’Antinoos. De son interprétation récente de Zuniga, à Rouen, dans Carmen, nous avions déjà écrit qu’elle était celle d’un grand seigneur mais il faut bien admettre que c’est dans ce répertoire baroque du seicento et dans la prosodie caractéristique de Monteverdi que la basse française est véritablement dans son élément le plus naturel. Le personnage du prétendant fat et imbu de lui-même convient idéalement à la silhouette athlétique comme au tempérament volontiers matamore du jeune artiste. Après l’entracte, tandis que la salle de la Cité des Congrès s’est à nouveau remplie et que tous les artistes ont repris place en scène, il suffit qu’il ouvre la bouche pour qu’instantanément le silence se fasse ! Mais c’est surtout dans la scène du concours d’archer que Nicolas Brooymans met le public dans sa poche : incapable, comme les autres prétendants, de bander l’arc d’Ulysse, Antinoos le brandit à hauteur de son entrejambe pour simuler une virilité triomphante qui n’a rien de très glorieux. Qu’il fasse rire à ses dépens ou qu’il incarne la veulerie, le chanteur délivre un chant rigoureusement tenu, techniquement impeccable et d’une beauté sonore inouïe.

Emiliano Gonzalez Toro, enfin, est sur la scène nantaise le même Ulysse superlatif que celui encensé par les critiques depuis la parution de l’enregistrement en septembre chez Gemelli factory. Du timbre ambré, expressif dans tous les registres, de la technique vocale parfaitement aguerrie au chant monteverdien ou du tempérament d’acteur qui lui permet d’être aussi crédible en roi exilé qu’en vieillard rusé ou qu’en époux soulagé de retrouver l’amour d’un foyer, le ténor d’origine chilienne entendu cet été à Vézelay dans un répertoire radicalement différent (il interprétait des chansons populaires de Violeta Parra) est incontestablement l’un des grands noms actuels du chant baroque. Après le rôle d’Orphée dans lequel il a triomphé il y a peu, le chanteur vient de trouver en Ulysse un personnage qui, par son humanité profonde, semble le toucher profondément et sincèrement. Roi sans trône, citoyen exilé loin de sa terre natale, père empêché de voir grandir son fils et mari tourmenté par les doutes sur la fidélité de son épouse, Ulysse inspire à Emiliano Gonzalez Toro un chant toujours pudique mais jamais désincarné, comme s’il vivait véritablement la musique qu’il interprète. La scène du duel avec les prétendants est en cela révélatrice : il suffit qu’Ulysse saisisse son arc pour que sa silhouette se redresse, que sa prestance de monarque soit restaurée et, surtout, pour que sa voix change, s’ouvre et sonne comme celle d’un véritable héros homérique.

La chaleur et la sincérité des applaudissements qui ponctuent la représentation témoignent incontestablement de la réussite de ce pari un peu fou : jouer et faire aimer par une troupe d’artistes survoltés comme des rockstars une partition méconnue et plutôt austère. Par son enthousiasme à accueillir ce Ritorno d’Ulisse in patria, le public nantais démontre une fois de plus son appétence pour le répertoire baroque ; le festival Baroque en scène serait par conséquent bien inspiré de réfléchir, pour une de ces prochaines saisons, à lui présenter une version scénique d’un titre de Lully, de Rameau ou de Haendel. Nul doute que le succès sera au rendez-vous.

Et si on allait en perm’ à Nantes ?

Si Le Retour d’Ulysse dans sa patrie marque le lancement de la onzième saison du festival Baroque en scène à Nantes et à Rezé, c’est un programme d’une extrême richesse qui, d’octobre 2023 à juin 2024, réunira le public nantais pour une douzaine de concerts proposés dans quatre lieux différents.

Parmi toutes ces manifestations, on retiendra notamment un grand week-end consacré à la figure de Jean-Sébastien Bach du 22 au 26 mars 2024 au cours duquel les amateurs de musique vocale pourront entendre une sélection de cantates interprétées par Rachel Redmond et la Passion selon saint Matthieu confiée à Damien Guillon, à son ensemble Le Banquet céleste et au chœur de chambre Mélisme(s).

Habitué des saisons lyriques d’Angers et de Nantes, le ténor Matthias Vidal se produira également en avril dans un programme de cantates de Leclair, Clérambault, Rameau et Couperin malicieusement intitulé Amour, gloire et beauté.

Enfin, dans le cadre de la saison culturelle À la découverte de la Mongolie, le Château des ducs de Bretagne / Musée d’histoire de Nantes présente jusqu’au 5 mai 2024 une exposition intitulée Gengis Khan, comment les Mongols ont changé le monde. Composée de plus de 300 objets du patrimoine mongol exceptionnellement prêtés par le Louvre, le musée Guimet, la BNF et le musée d’Oulan-Bator, cette grande rétrospective est la première exposition jamais consacrée en France au grand conquérant Gengis Khan.

Les raisons ne manquent donc pas pour programmer cet hiver ou au printemps un long weekend à Nantes.

Les artistes

Ulysse : Emiliano Gonzalez Toro
Pénélope : Fleur Barron
Mélantho : Mathilde Etienne
Télémaque : Zachary Wilder
Euriclée : Alix Le Saux
Eumée : Nicholas Scott
Iros: Fulvio Bettini
Pisandre : Anders Dahlin
Eurymaque : Alvaro Zambrano
Antinoos / Le Temps : Nicolas Brooymans
La Fragilité humaine : David Hansen
Anphinome / Jupiter : Juan Sancho
Neptune : Christian Immler
Minerve / Amour : Mayan Goldenfeld
Junon : Lysa Menu

Ensemble I Gemelli, dir. Emiliano Gonzalez Toro
Mise en scène :   Mathilde Etienne

Le programme

Il ritorno d’Ulisse in patria

Dramma per musica en un prologue et trois actes de Claudio Monteverdi, livret de Giacomo Badoaro d’après la fin de L’Odyssée d’Homère, créé en février 1640 au Teatro San Cassiano, à Venise.
Cité des Congrès de Nantes, concert du samedi 28 octobre 2023