Comme toutes les grandes salles lyriques, le San Carlo possède son Académie chargée de faire travailler de jeunes artistes prometteurs et de favoriser leur entrée dans le métier. 11 jeunes artistes, parmi les 400 qui ont candidaté, ont ainsi la chance de travailler à Naples sous la houlette de Mariella Devia et d’une équipe pédagogique de qualité, délivrant des cours de chant (technique et interprétation) ainsi que des cours d’approfondissement musicologique et culturel. Cinq chanteurs, sur les onze de l’Académie, ont fait le voyage à Paris pour présenter au public français un aperçu de leur talent. Préparés par Luca Spinosa, ils ont interprété quelques-uns des plus grands « tubes » du répertoire lyrique.
Assister à un concert donné par de jeunes artistes en formation constitue toujours une expérience passionnante : outre le fait qu’on peut y entendre celles et ceux qui, peut-être, deviendront les grands solistes des années à venir, l’expérience présente aussi le mérite de nous rappeler à quel point l’art du chant est difficile : au-delà de leurs très grandes qualités, les chanteurs que l’on découvre en ces occasions sont encore des artistes en devenir, et ce n’est pas leur faire injure que de dire que leur maîtrise du chant reste encore à parfaire… ce qui permet de relativiser notre jugement par rapport aux chanteurs confirmés, envers lesquels on a parfois tendance à se montrer un peu sévères !
Des qualités, les jeunes artistes de l’Académie du Teatro San Carlo en possèdent de très solides : un timbre très personnel (le ténor chinois Sun Tianxuefei), naturellement émouvant (superbe scène de la folie d’Elvire par l’Ukrainienne Maria Knihnytska, l’un des plus beaux moments de la soirée), un solide bagage technique (l’Arménienne Maria Sardaryan dans Lucia), une projection aisée (l’Italienne Désirée Giove en Liù et Tosca, malgré une émission vocale un peu « en arrière »), une belle assurance interprétative (avec le baryton Maurizio Bove, qui séduit le public avec l’amusant « Ho un gran peso sulla testa » de L’Italienne à Alger).
Au nombre des points perfectibles, notons que l’aigu de Maria Sardaryan est encore un peu court (effet du trac ?) ; après le « Perche Signor ? » de la prière de Tosca, Désirée Giove peine quelque peu à maîtriser le contrôle du souffle ; si le timbre de Sun Tianxuefei est agréable dans la nuance piano et le mezzo-forte, la voix doit encore apprendre à se déployer plus librement, comme le fait entendre une « Donna » de Rigoletto un peu limitée en termes de projection et d’arrogance. La voix de Maria Knihnytska montre quant à elle quelques limites dans l’aigu, surtout perceptibles dans l’air de Gilda ; Maria Sardaryan, enfin, semble plus à son aise dans l’écriture belcantiste de Lucia que dans les vocalises de la Reine de la nuit, légèrement approximatives – tout comme certains suraigus.
L’interprétation enfin, comme souvent, demande à être peaufinée, le contrôle de la technique pouvant dans un premier temps constituer un frein à l’expression de l’émotion…
Ces petits bémols n’ôtent rien à la haute tenue générale du concert ni aux qualités des interprètes, particulièrement fêtés par le public qui réclame et obtient deux bis : la Danza de Rossini et le brindisi de La traviata, habilement adaptés pour l’occasion en quintettes vocaux !
La surprise de la soirée, enfin, réside dans la présence, à la baguette, non pas d’un simple accompagnateur, mais d’un véritable chef : Giacomo Sagripanti, fin connaisseur du répertoire belcantiste, ce qui nous vaut, contre toute attente, un « Vien diletto » des Puritains ou un « Spargi d’amaro pianto » de Lucia non amputés de leur reprise ni de leur coda, et ornés de variations sobres et de bon goût. Sous la baguette de Giacomo Sagripanti, l’orchestre du San Carlo se montre parfaitement dans son élément dans des extraits ressortissant tous à l’ottocento italien, à l’exception de La Flûte enchantée. Bravo aux cuivres particulièrement éclatants et aux violoncelles, particulièrement mis à l’honneur dans les trois pages symphoniques programmées : les ouvertures de Don Pasquale et des Vêpres siciliennes, et l’Intermezzo de Manon Lescaut.
Jeunes chanteurs de l’Académie du Teatro di San Carlo (Naples) :
Maria Knihnytska, Maria Sardaryan, Désirée Giove, sopranos
Sun Tianxuefei, ténor
Maurizio Bove, Baryton
Orchestre du Teatro di San Carlo, dir. Giacomo Sagripanti
Gaetano Donizetti
Don Pasquale, Ouverture
Vincenzo Bellini
Les Puritains, “O rendetemi la speme… Qui la voce… Vien diletto”
Soprano: Maria Knihnytska
Gaetano Donizetti
L’Elixir d’amour, “Una furtiva lagrima”
Ténor : Sun Tianxuefei
Wolfgang Amadeus Mozart
La Flûte enchantée, “Der Hölle Rache”
Soprano : Maria Sardaryan
Giuseppe Verdi
Les Vêpres siciliennes, Ouverture
Rigoletto, “La donna è mobile”
Ténor : Sun Tianxuefei
Rigoletto, “Caro nome”
Soprano: Maria Knihnytska
Giacomo Puccini
Turandot, “Tu che di gel sei cinta”
Soprano : Désirée Giove
Manon Lescaut, Intermezzo
Tosca, “Vissi d’arte”
Soprano : Désirée Giove
Gioacchino Rossini
L’Italienne à Alger, “Ho un gran peso sulla testa”
Baryton : Maurizio Bove
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor, « Ardon gli incensi«
Soprano : Maria Sardaryan
(Bis)
Gioacchino Rossini
La danza
Maria Knihnytska, Maria Sardaryan, Désirée Giove, Sun Tianxuefei, Maurizio Bove
Giuseppe Verdi
La traviata, “brindisi”
Maria Knihnytska, Maria Sardaryan, Désirée Giove, Sun Tianxuefei, Maurizio Bove