Vissi d’arte – Gala Maria Callas, Palais Garnier, samedi 2 décembre 2023.
Un spectacle conçu par Robert Carsen autour de trois cantatrices pour rendre hommage aux multiples facettes de la carrière de la Divine, qui aurait eu 100 ans le 2 décembre 2023.
La Callas à Paris
Annoncé en début de saison comme un concert de Sondra Radvanovsky en hommage à Maria Callas, en ce jour du centième anniversaire de sa naissance et organisé par l’AROP-Les amis de l’Opéra, ce gala s’est finalement mué en un spectacle mis en scène par Robert Carsen et réunissant une pléiade d’étoiles issues pas seulement du firmament lyrique. Pour ce qui est du répertoire opératique, la cantatrice américano-canadienne s’est ainsi vue épauler par Pretty Yende et Eve-Maud Hubeaux (un temps annoncée sur le site de l’Opéra national de Paris, Elīna Garanča a déclaré forfait, voir nos brèves de novembre), ce qui permet au programme d’afficher trois des multiples facettes de la carrière de la Divine, les répertoires colorature et dramatique alternant avec le versant discographique.
Maria Callas a chanté à trois reprises au Palais Garnier : le 19 décembre 1958, il y soixante-cinq ans presque jour pour jour, elle y faisait ses débuts lors d’un autre gala, le fameux concert au bénéfice de la Légion d’honneur, retransmis par l’ORTF ; elle y revenait en mai-juin 1964 pour un cycle de représentations de Norma, puis en février-mars 1965 pour Tosca, les deux dans la conception scénique de Franco Zeffirelli, avant une ultime incarnation de la druidesse, en mai de cette même année.
C’est quand même Sondra Radvanovsky qui se taille la part du lion, avec quatre morceaux sur huit dont l’air de présentation de Norma et la prière de Tosca, justement les deux héroïnes abordées in loco par l’interprète hellénico-américaine. La première de ces deux pièces ouvre véritablement le concert, après un extrait du gala de 1958, colorisé, où, dans la sortita de Rosina du Barbiere di Siviglia, Maria Callas se singularise par l’originalité de ce célèbre « Ma », mettant l’accent sur la double personnalité du personnage. Ce n’est tout de même pas l’un des rôles majeurs de la cantatrice mais c’est court et cela plaît au public. C’est aussi l’occasion de réentendre cet autre fameux « Bravo ! », à l’issue de l’andante, question de nous rappeler que les habitudes des spectateurs n’ont guère changé : de nos jours, on applaudit surtout entre les cavatines et les cabalettes.
« Pas d’applaudissements », c’est justement le mot d’ordre du début de la pièce de Terrence McNally, Master Class, où Carole Bouquet endosse avec panache les habits du professeur de chant Maria Callas. La comédienne est d’ailleurs chargée de servir en quelque sorte de maîtresse de cérémonie, dans la mesure où c’est à elle que revient la tâche de relier les différents moments de la représentation. Elle lit tantôt quelques lignes d’une lettre de la cantatrice ou de Pier Paolo Pasolini, tantôt un extrait d’un article de Marguerite Duras, paru dans Les Nouvelles littéraires en 1965. On retient surtout, d’après une missive de 1975, la nécessité de donner une âme à cet instrument qu’est la voix.
« Le décor sera abstrait », nous dit Robert Carsen dans le programme de salle. « Dépouillé » aurait sans doute été plus adéquat : un piano, une table où s’empilent vraisemblablement des partitions, un pupitre, pour les extraits du monologue ; deux tapis rouges se croisant en croix en forme de tav pour le restant de la soirée. Tout cela étant agrémenté par des robes très élégantes, une pour chaque air ou scène, dans les tons noir, blanc et rouge.
Éblouissante Sondra
Se détache alors la blanche silhouette très charismatique d’une Sondra Radvanovsky souveraine dans « Casta Diva » dont elle sait varier prodigieusement les teintes. C’est bien dommage qu’on lui ait imposé de ne chanter que la cavatine, oubliant que, dans ces mêmes lieux, Maria Callas a abordé toute la scène, y compris le récitatif initial, le tempo di mezzo et, bien évidemment, la cabalette. Un sort semblable est réservé à la sortita de Lady Macbeth dont l’artiste américano-canadienne nous offre une approche percutante. Point de cabalettes chez Puccini, pas de coupures donc dans un poignant dernier air de Manon.
Le charcutage le plus surprenant reste néanmoins l’allegro du premier air de Violetta, précédé du tempo di mezzo mais amputé du récitatif et de l’andantino – alors que l’air conclusif d’Amina est à son tour privé de cabalette, une cabalette que le prix Nobel de littérature Eugenio Montale, en rendant compte des représentations scaligères de 1955, définissait comme un « carillon [qui] se libère dans le finale donnant libre cours à la richesse de tous ses timbres, de ses trilles et de ses puissantes voûtes sonores ». Deux héroïnes que Pretty Yende a déjà proposées au public parisien dans des versions scéniques, l’une ici même en septembre-octobre 2019 (en début de saison, elle avait été annoncée pour le 25 février 2024 dans la reprise de la mise en scène de Simon Stone à l’Opéra Bastille mais elle semble avoir été remplacée par Kristina Mkhitaryan), l’autre au Théâtre des Champs-Élysées en juin 2021. Entre-temps, la cantatrice sudafricaine ne semble pas avoir tout particulièrement peaufiné sa conception des deux personnages. Le timbre est joli, une suite de belles notes s’étalant sans hésitation. C’est peut-être justement une âme véritable qui manque à ce bel instrument.
Dans Carmen, on inflige à Eve-Maud Hubeaux des poses alanguies qu’aurait probablement refusées Maria Callas, tandis que son Eboli, au crescendo quelque peu contraint, est par moment fâchée avec l’élocution italienne (« *furror » ; « *mea beltà »). Quitte à faire du purisme, s’agissant d’un air du répertoire discographique et concertant, autant donner l’original en français. D’autant que, lorsque s’en va la dernière élève de la professeure Callas, c’est bien sur la diction qu’insiste la scène finale du play de Terrence McNally, maintenant donné dans sa version mise en musique par Jake Heggie, dans l’exécution de Kate Lindsey, accompagnée au piano par Florence Boissolle.
Incertitudes du programme
Par ailleurs, bien d’autres extraits viennent étoffer le programme. Le dernier air de Leonora du Trovatore, toujours capté en 1958, sans le Miserere néanmoins, d’abord signalé sur le site de l’Opéra national de Paris, ensuite disparu de l’annonce adressée aux spectateurs il y a une semaine. « Divinités du Styx », jamais annoncé, car, nous dit le metteur en scène, « Si le répertoire italien est majoritaire […], il était important que Gluck soit représenté en raison des nombreux liens entre le compositeur et la soprano ». Dès lors, le choix d’Iphigénie en Tauride eût été vraisemblablement plus judicieux, puisque c’est bien dans l’original viennois, en italien, que Maria Callas a porté à la scène l’héroïne d’Euripide. L’air de La Wally, non renseigné non plus, sans doute en guise de chaînon appelé à « montrer l’influence de La Callas sur le cinéma… ». Dommage que dans l’exploitation d’« Ebben ne andrò lontana » par le septième art, ce ne soit pas la Divine qui chante. Dans le même genre, « La mamma morta », d’après Andrea Chénier, aurait peut-être été plus approprié mais apparemment l’aria de Maddalena di Coigny devait moins se prêter à la chorégraphie apprêtée par Nicolas Paul pour Marie-Agnès Gillot. Medea de Pasolini vient conclure ce parcours cinématographique, dans sa version en anglais, la seule, il est vrai, où Maria Callas ne soit pas doublée. Et si cela fait quand même un peu péplum en technicolor, c’est que, comme le précise Pasolini lui-même, le film est de tout façon un faux car « Jamais la Callas […] n’aurait pu remonter le temps, ‘être Médée’, à savoir la vérité, l’authenticité ».
Parmi les témoignages parlés, Une heure avec Maria Callas où en 1964 l’interprète dialogue avec Bernard Gavoty, probablement non indispensable, puisque le public en rit et ne semble pas comprendre le propos de la cantatrice ; l’entretien en anglais avec Lord Harewood (1968) où Callas évoque la manière d’entendre et de préparer un personnage ; L’invité du dimanche où, avec Pierre Desgraupes en 1969, elle insiste sur le sens du devoir. Bien des documents très intéressants. Cependant, dans ce cadre, cela fait quelque peu désordre et improvisation, comme si on voulait atteindre à tout prix les deux heures au lieu de l’heure quarante prévue.
Heureusement, revêtue d’une ample robe rouge rappelant celle des concerts d’adieu des années 1973-1974, c’est à Sondra Radvanovsky de clore la soirée par le « Vissi d’arte » du titre de la représentation, dont elle sait doser à merveille pianissimo et crescendo.
Eun Sum Kim dirige l‘Orchestre de l’Opéra national de Paris avec compétence et sans jamais mettre en difficulté ses interprètes.
Si j’en crois ma voisine de loge, qui n’a pas arrêté de consulter son portable ou de fouiller dans son sac, une bonne partie des spectateurs était venue plutôt pour le cocktail de bienvenue, alléchant mais moins somptueux que pour le gala équivalent, organisé pour les 350 ans de l’Académie royale de musique, en 2019, et peut-être pour le dîner qui suivait le concert que pour rendre hommage à la mémoire de Maria Callas. Public des grands jours, en tout cas : nous y avons notamment aperçu madame la Première Ministre Élisabeth Borne, escortée du maître de maison, Alexandre Neef.
À revoir et réentendre sur France 5, le 8 décembre prochain.
Maria Callas, soprano
Sondra Radvanovsky, soprano
Pretty Yende, soprano
Eve-Maud Hubeaux, mezzo-soprano
Carole Bouquet, comédienne
Kate Lindsey, soprano
Florence Boissolle, pianiste
Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, dir. Eun Sum Kim
Conception, mise en scène, décors, lumières : Robert Carsen
Chorégraphie : Nicolas Paul
Gioachino Rossini – Il barbiere di Siviglia, « Una voce poco fa » (Rosina) Maria Callas
Terrence McNally – Master Class, Opening monologue (Maria Callas) Carole Bouquet
Vincenzo Bellini – Norma, « Casta Diva » (Norma) Sondra Radvanovsky
Giuseppe Verdi – La traviata, « Follie!… follie!… delirio vano è questo // Sempre libera degg’io » (Violetta Valéry) Pretty Yende
Georges Bizet – Carmen « Habanera » (Carmen) Eve-Maud Hubeaux
Giuseppe Verdi – Il trovatore, « D’amore sull’ali rosee » (Eleonora) Maria Callas
Giuseppe Verdi – Macbeth, « Vieni! T’affretta! » (Lady Macbeth) Sondra Radvanovsky
Christoph Willibald Gluck – Alceste, « Divinités du Styx » (Alkceste) Maria Callas
Vincenzo Bellini – La sonnambula, « Ah, non credea » (Amina) Pretty Yende
Giacomo Puccini – Manon Lescaut, « Sola, perduta, abbandonata » (Manon) Sondra Radvanovsky
Alfredo Catalani – La Wally, « Ebben ne andrò lontana » (Wally) Maria Callas
Giuseppe Verdi – Don Carlo, « O don fatale » (la principessa Eboli) Eve-Maud Hubeaux
Terrence McNally-Jake Heggie – Master Class, Final monologue (Maria Callas) Kate Lindsey, Florence Boissolle
Giacomo Puccini – Tosca, « Vissi d’arte » (Floria Tosca) Sondra Radvanovsky
Opéra national de Paris, Palais Garnier, concert du samedi 2 décembre 2023.
1 commentaire
Cette soirée de gala était d’un ennui mortel !
Mme Radvanovsky était effectivement la seule bonne chanteuse de cette soirée mais, en revanche, sa Norma d’entrée était extrêmement faiblarde, hésitante avec quelques aigus criés et une conclusion totalement ratée… Je le dis avec d’autant plus de peine que c’est une de mes chanteuses préférées et une des plus grandes Norma actuelles (cf. sa prestation sublime au Met avec DiDonato et Calleja). Heureusement, que la vraie Radvanovsky est revenue dès son deuxième aria.