L’Enlèvement au sérail : le Singspiel de Mozart donné en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées
Die Entführung aus dem Serail, Théâtre des Champs-Élysées, 11 décembre 2023
Un vent de jeunesse vient souffler sur le plateau du Théâtre des Champs-Élysées !
Une très grande complicité se dégage entre les cinq interprètes
Si nos sources sont bonnes, ce qui caractérise cette version de concert de L’Enlèvement au Sérail réside tout d’abord dans la prise de rôle de la part de chacun des intervenants, sauf pour le chef, Julien Chauvin, qui l’avait déjà dirigé en 2018. Avec son lot de trac et de flottements, cela implique aussi un vent de jeunesse qui vient souffler sur le plateau du Théâtre des Champs-Élysées où les numéros musicaux se succèdent dans un esprit de camaraderie se révélant au final très salutaire à la cohésion de l’ensemble.
Ainsi, Levy Sekgapane n’a-t-il pas la tâche facile d’ouvrir les hostilités. Légèrement hésitant au début de son air de présentation, le ténor sudafricain se distingue d’emblée par une ligne remarquable que vient seconder un timbre solaire et une diction exemplaire dès sa deuxième aria de l’amoureux transi. Les espoirs de l’acte II et son hymne à l’amour à l’acte III confirment – en était-il besoin ? – que ce maître du chant rossinien a plus que son mot à dire chez Mozart aussi. Et si son duo avec l’Osmin de Sulkhan Jaiani sonne quelque peu mécanique à son attaque, les deux interprètes font preuve d’une très grande complicité qui ne se dément guère dans leur trio du finale I, avec le Pedrillo de Sahy Ratia, enflammé à souhait. Pour sa part, dès son Lied d’entrée, la basse géorgienne fait état d’un très beau grave, ténébreux à l’envi, avant d’en imposer par une excellente élocution dans l’air qui suit, devant susciter la crainte, quoique dans la drôlerie. Exubérant dans le duo avec Blonde, il crée un contraste saisissant avec le tenorino de Sahy Ratia, dans leur chanson à boire. Caverneux, dans l’air du triomphe de l’acte III, il déploie toute sa verve dans un esprit de vengeance qui atteint son paroxysme dans la colère se manifestant lors du vaudeville final, en net contraste avec la synthèse moralisante opérée par les autres personnages. Malgré quelques limites dans le haut du registre, le ténor malgache est un valet désopilant, sachant enjoliver sa romance de la captive et du chevalier, au dernier acte.
Des débuts prometteurs
D’abord programmée en Blonde, Florie Valiquette avance de quelques mois ses débuts en Konstanze qu’elle abordera dans la conception scénique de Michel Fau au mois de mai prochain à l’Opéra royal de Versailles. Elle remplace ainsi Albina Shagimuratova, initialement annoncée. Elle emporte la mise haut la main. L’émotion qui se dégage de son air de présentation se conjugue à des vocalises superlatives et à de belles roulades rondes et bien assurées. Déchirante dans l’air de l’éloignement, à l’acte II, elle en varie sciemment les couleurs, avant d’affronter les pyrotechnies de « Martern aller Arten » dans un crescendo optimal, soutenu par un souffle à toute épreuve et par une ampleur des plus solides. Son entente est éblouissante avec le Belmonte de Levy Sekgapane, d’abord dans le quatuor des retrouvailles, des doutes et de la réconciliation, où le couple se distingue davantage face à celui des domestiques, ensuite dans leur poignant duo du sacrifice qui sait allier une déclamation limpide à des notes cristallines. Prenant donc le relais de Florie Valiquette, Florina Ilie incarne une Blonde enjouée, dont ressort le beau legato de son premier air, l’ivresse du second.
Des récitatifs adaptés
Le Selim d’Éric Ruf, dont on connaît bien les affinités qui le lient au monde de l’opéra, a un sens aigu de la nuance, privilégiant la douceur et un ton paisible, à l’image de l’hospitalité magnanime du pacha. Il joue avec conviction l’adaptation en français des récitatifs allemands opérée par Ivan Alexandre où l’on relève bien des libertés, notamment l’allusion à la Habanera de Carmen, « si je t’aime, prends garde à toi !… », en guise de commentaire à l’hymne à la joie de Blonde ; puis, au début de l’acte III, l’invitation à l’adresse du public de tousser sans bruit, afin de ne point déranger le sérail qui dort. Revêtu d’un superbe kaftan à la turque, il se démarque, avec Osmin, des occidentaux (en costume et robe de concert), apportant ainsi la petite touche de couleur locale qui sied à la narration du livret.
Assumant à la fois le rôle de chef et de premier violon, Julien Chauvin dirige avec compétence son Concert de la Loge, malgré quelques dérapages chez les cuivres et les percussions, parfois même chez les cordes, frôlant presque l’accident. Janissaires idiomatiques défendus par le Chœur Fiat Cantus.
Public enthousiaste au baisser de rideau ! Pour les amateurs, à retrouver prochainement sur TCE live.
Konstanze : Florie Valiquette
Belmonte : Levy Sekgapane
Blonde : Florina Ilie
Osmin : Sulkhan Jaiani
Pedrillo : Sahy Ratia
Selim : Eric Ruf
Adaptation des textes allemands en français : Ivan Alexandre
Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin
Chœur Fiat Cantus, dir. Thomas Tacquet
Die Entführung aus dem Serail
Singspiel en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Johann Gottlieb Stephanie, créé au Burgtheater de Vienne le 16 juillet 1782.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du 11 décembre 2023.
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, lundi 11 décembre 2023