Le poignant Voyage d’hiver de Cyrille Dubois

Après le Théâtre de Corbeil-Essones le 21 novembre dernier, Cyrille Dubois et Anne Le Bozec poursuivent la présentation de leur enregistrement du Voyage d’hiver avec un concert donné cette fois-ci à Paris, dans une salle atypique : l’ECUJE, située dans le 10e arrondissement. Une pièce à l’acoustique très sèche, dépourvue de toute  réverbération, donc impitoyable pour la voix (et le piano). Mais finalement, cette acoustique, et peut-être aussi la pénombre dans laquelle s’est déroulé ce concert (éclairé à la bougie) auront permis au public, attentif et très respectueux, de se concentrer comme jamais sur la technique et les nuances de l’interprétation.

Avant le concert lui-même, Anne Le Bozec propose une petite présentation de l’œuvre, très pertinente, personnelle, et judicieusement didactique pour celles et ceux qui découvriraient le cycle de Schubert à cette occasion.

Cyrille Dubois est un grand admirateur de Ian Bostridge, qui grava l’œuvre avec Leif Ove Andsnes il y a vingt ans (Warner Classics). On peut sans hésiter affirmer que le ténor français soutient la comparaison avec son homologue anglais ! Il se montre peut-être encore plus expressif, avec des graves plus assurés, et surtout délivre une interprétation du cycle schubertien en tout point personnelle. La technique est superlative (superbe maîtrise de la respiration !), l’émission toujours claire et nuancée, le phrasé et la diction allemande extrêmement soignés, ce qui lui permet une lecture hyper dramatique des poèmes de Müller, laquelle se double d’un engagement physique impressionnant.

https://www.youtube.com/watch?v=bU8BDjTzxC0

« Gute Nacht » (Cyrille Dubois, Anne Le Bozec)

On mesure tout le travail (sur le texte, sur la musique) effectué de toute évidence en amont de cette interprétation : elle permet une magnifique caractérisation de chaque lied, avec de surprenants changements d’atmosphère et de sentiment, parfois au sein d’une même phrase. Le « Gute Nacht » initial captive d’emblée l’auditeur, qui se laisse ensuite guider dans les méandres de ce « voyage immobile », au fil duquel il découvre un magnifique « Lindenbaum », un « Rückblick » porté par une tension remarquable ; le mystérieux « Irrllicht » constitue sans aucun doute un sommet stylistique, et le ténor traduit par ailleurs à merveille les différents mouvements d’humeur qui traversent « Frühlingstraum »…

À partir du 12e lied, une (très) légère fatigue vocale se fait sentir (mais peut-être le chanteur subissait-il aussi les effets d’un léger rhume ?). Non seulement cela n’est guère gênant, mais cela contribue presque au sentiment d’accablement qui pèse sur la fin du cycle. Les 5 derniers lieder sont absolument poignants : le cycle s’achève sur un « Leiermann » hagard, impressionnant, chanté par un Cyrille Dubois « rincé », donnant l’impression d’avoir absolument tout donné !

L’accompagnement d’Anne Le Bozec contribue, dans une entente profonde et naturelle avec le chanteur, à la grande expressivité de l’interprétation, et les deux artistes sont salués à la fin du cycle par un public saisi et réellement admiratif.

Pour prolonger l’émotion de ce concert – ou si vous n’avez pu y assister –, écoutez le CD tout récemment paru chez NoMadMusic : dans votre collection de Voyages d’hiver, ce disque figurera assurément aux toutes premières places – et pas seulement au sommet des versions pour ténor !

Les artistes

Cyrille Dubois, ténor

Anne Le Bozec, piano

Le programme

Die Winterreise

Cycle de mélodies de Franz Schubert,  poèmes de Wilhelm Müller. composées en 1827.

Paris, l’ECUJE, concert du mercredi 13 décembre 2023.
1 CD NoMadMusic, décembre 2023.