« Le Messie ? C’est donc déjà Noël ! Elijah (Elias, Élie en français), alors voici bientôt Pâques ». C’est le genre de remarque qui pouvait s’entendre chez le public britannique ou les membres des sociétés chorales du royaume jusqu’à la Grande Guerre, tant l’alternance régulière de ces deux oratorios, le grand genre anglais depuis Handel, semblait en rythmer les saisons. Wagner se moquait de la véritable addiction des Britanniques au modèle Handelssohnien de l’oratorio, mot valise pour caractériser un genre jamais inégalé par les compositeurs qui suivirent ces deux géants, malédiction que rompit enfin Edward Elgar en 1900 avec son Dream of Gerontius, auquel il refusa l’appellation redoutée d’oratorio, créé au festival de Birmingham où fut créé celui de Felix Mendelssohn en août 1846.
Le compositeur était devenu la coqueluche des Britanniques et en 1846 les édiles de l’industrieuse Birmingham en avaient fait le directeur de leur festival de musique, fondé en 1784. Ils mirent leur orgueil à lui commander un oratorio qui soit créé dans ce temple de la musique qu’était devenu leur gigantesque Town Hall. Elijah, puisqu’il s’appelle ainsi dans la Bible de Jacques Premier (1611) (et la langue de Shakespeare, qui meurt en 1613) qui servit à l’adaptation en anglais du livret allemand de Julius Schubring. À sa création, abandonnant leur flegme légendaire, les deux mille spectateurs firent à Elijah un succès phénoménal que confirma sa version révisée à Londres en avril 1847, avant qu’il ne soit rapatrié en Allemagne pour devenir Elias et continuer sa brillante carrière. Il existe un enregistrement superbe de cette version anglaise avec Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre, Janet Baker dans celui de Jézabel et Nicolaï Gedda dans celui d’Abdias, dirigée par Rafael Frühbeck de Burgos qui souligne le caractère dramatique de l’œuvre et le romantisme de son héros, sans parler des somptueux coloris de l’orchestre de Mendelssohn qui a toujours suscité l’admiration de Berlioz.
L’œuvre offre une synthèse parfaite du génie de Mendelssohn, grand admirateur de Handel et de Bach, grand symphoniste habile à la conduite sensible et spectaculaire de masses chorales et à l’expression des passions humaines, et s’il n’a pas fait de carrière d’opéra, son Elias en vaut bien un par son dramatisme. C’est ce que Raphaël Pichon s’est plu à nous révéler ce vendredi soir à la tête de son Chœur et orchestre Pygmalion comme il l’avait fait sept ans auparavant. Sans que ce soit visuellement gênant, le chef danse littéralement cette partition pour obtenir de ses musiciens le meilleur d’eux-mêmes, que ce soit dans l’énergie, la colère ou la douceur, la ferveur ou le mystère, avec des nuances du chœur à couper le souffle, et de très beaux coloris d’orchestre, entraînant un public rapidement conquis et attentif dans l’évocation fougueuse et sensible de ce héros biblique et profondément romantique.
Cette adhésion a été aussi le fruit de l’interprétation magistrale de Stéphane Degout, dont l’autorité s’est manifestée dès son prologue. Campant d’abord un héros tout d’une pièce, il s’humanise progressivement au cours de ses quatre grands airs : humble dans sa supplique pour ressusciter l’enfant de la Veuve, terrible dans sa colère contre les prêtres de Baal, pitoyable car craignant pour sa vie et proche du désespoir lorsqu’il fuit au désert la colère de Jézabel, puis touchant dans l’expression de sa foi, jouant de ses graves charnus et de ses aigus lumineux. Il était accompagné par trois solistes alternant des figures désincarnées de narrateurs (des Anges) ou des personnages à peine esquissés auxquels leur interprétation, et leurs remarquables moyens vocaux, ont donné chair et âme. Siobhan Stagg, soprano, émouvante dans son chagrin de veuve éplorée, Ema Nikolovska, hiératique et tendre puis Jézabel haineuse, Thomas Atkins, ténor velours et miel, tout trois en accords parfaits dans leurs duos ou trios. Du grand art qui vous laisse pantelant et bouleversé devant tant de beauté.
Elias : Stéphane Degout
La veuve / Un ange : Siobhan Stagg
La reine Jézabel / Un ange : Ema Nikolovska
Abdias/ Achab : Thomas Atkins
L’enfant : Julie Roset
Chœur et orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Elias, op. 70
Oratorio en deux parties de Felix Mendelssohn, livret de Julius Schubring, créé à Birmingham le 26 août 1846.
Philharmonie de Paris, concert du vendredi 15 décembre 2023
1 commentaire
A propos de Rapahel Pichon, on peut se souvenir de son Fidelio à l’Opéra Comique il y a deux ans, le voir diriger depuis un premier rang près de l’avant scène fut un pur bonheur