La saison parisienne 2023-2024 est décidément on ne peut plus händelienne : rien que cette semaine, ce sont pas moins de quatre ouvrages scéniques du caro Sassone qui sont à l’affiche dans la capitale ! (Agrippina à la Seine musicale, Giulio Cesare à Garnier, Acis e Galatea salle Cortot, Rinaldo au Théâtre des Champs-Élysées). Et, après l’Ariodante et le Messie de la Philharmonie cet automne, on nous promet encore, pour les semaines et mois à venir, Berenice et Tolomeo au TCE. Sans compter, hors Paris – mais tout près –, la programmation versaillaise qui, outre l’inévitable Messie de Noël, programme également Giulio Cesare, Ariodante et Israël en Égypte ! Soit une bonne dizaine de grands ouvrages vocaux à l’affiche en une seule et même saison (sans compter les programmations de province) : quel autre compositeur lyrique pourrait se targuer d’une telle omniprésence sur les scènes du « Grand Paris » ? Absolument aucun, y compris parmi les plus prolifiques…
© Première Loge / Stéphane Lelièvre
De tous les spectacles cités ci-dessus, celui proposé par la salle Cortot présente a priori des proportions plus modestes que les blockbusters du Palais Garnier, de la Seine Musicale ou de l’Opéra de Versailles. Des proportions peut-être plus modestes, mais pour un spectacle non moins réussi, proposé par Philbarok Production. On est heureux tout d’abord de réentendre cet Acis et Galatée, moins couru que les habituels Giulio Cesare et Ariodante, d’autant que le concert ici présenté prend appui sur la rarissime version concoctée par le compositeur pour les reprises données à Covent Garden en mars 1736. Le choix a été fait de relier les pages musicales par des lectures de textes habilement sélectionnés parmi des œuvres d’Ovide bien sûr, mais aussi Maupassant, Hugo ou Truffaut. Ils échoient à la comédienne Jeanne Vitez dont la déclamation s’insère tout naturellement dans le déroulé musical du spectacle, permettant ainsi aux spectateurs de prendre connaissance des nouveaux méfaits du cyclope Polifemo : non content d’avoir fait en d’autres circonstances plein de misères aux compagnons d’Ulysse, il s’en prend ici à la douce néréide Galatea et au gentil Acis, refuse obstinément de comprendre que « Quand c’est non, c’est non ! », et se venge des refus qu’il essuie en écrasant le pauvre petit berger sous un rocher. Heureusement, la néréide conférera au malheureux une forme d’immortalité en le métamorphosant en un ruisseau, qui coule depuis des jours heureux à défaut d’avoir pu vivre le reste de son existance dans les bras de sa bien-aimée.
Sur ce canevas, Händel a concocté une ravissante partition, où les airs jaillissent avec la même spontanéité vivifiante que l’eau du rocher jeté par Polifemo !
C’est l’ensemble Mozaïque qui interprète la partie instrumentale de l’œuvre, avec une fraîcheur et une rondeur de son (que met en valeur la très belle acoustique de la ravissante salle Cortot) très appréciables : les dix musiciens (voyez leurs noms respectifs dans notre rubrique « Les artistes ») non seulement apportent à ce concert leur professionnalisme et les qualités qu’on leur connaît bien (ils accompagnaient déjà Alexandre Baldo dans son récital consacré à Caldera récemment paru), mais manifestent également un vrai bonheur d’être là et de jouer ensemble – un bonheur qui se lit sur leurs visages et contribue grandement à l’impression si agréable qui émane de cette soirée.
© D.R.
Marco Angioloni (lauréat des Fondations Royaumont, Cini et de l’Académie d’Ambronay) campe un Acis d’une réjouissante juvénilité (le personnage est censé n’avoir que deux fois huit ans !). Après un premier air (« Lontan da te ») où la voix, en dépit d’un récitatif très expressif, a encore un peu besoin de se chauffer, il délivre un délicat « Un sospiretto d’un labbro pallido » et surtout un très raffiné « Qui l’aguel da pianta in pianta », dont l’accompagnement à la flûte traversière (par Eva Ivanova) est de toute beauté !
Son rival est un Alexandre Baldo qui semble ne cesser de progresser, avec une voix bien placée, projetée avec aisance, disposant d’un large ambitus, d’une belle virtuosité (longueur du souffle, précision des vocalises). L’interprétation est par ailleurs très expressive, grâce notamment au soin tout particulier accordé à la diction. Il parvient même à rendre touchant ce monstre effroyable en conférant une touche d’humanité à son « Ferito son d’amor ».
© Yan Bua
© Theresa Pewal
C’est la première fois que nous entendions la soprano autrichienne Maria Ladurner et c’est une révélation : la voix est pure, d’une grande fraîcheur, virtuose, expressive… Son « Se m’ami, o caro », soutenu par l’accompagnement tendre et délicat du théorbe d’Elias Conrad et du violoncelle de Celeste Casiraghi, a été un pur moment de poésie. Une chanteuse que nous espérons pouvoir réentendre très vite !
Succès complet pour ce très beau concert, dont on espère qu’il pourra de nouveau être proposé aux spectateurs – ou faire l’objet d’un enregistrement ?
Galatea : Maria Ladurner
Acis : Marco Agioloni
Polifemo : Alexandre Baldo
Ensemble baroque Mozaïque
Gabriele Toscani et Simone Pirri : violons
Joanna Patrick : alto
Celeste Casiraghi : violoncelle
Chloé de Guillebon : clavecin
Elias Conrad : théorbe
Eva Ivanova : traverso
Martin Roux et Thomas Letellier : hautbois
Robin Billet : basson
Georg Friedrich Händel, Acis and Galathea HWV 49b, version de 1736
Paris, Salle Cortot, représentation du vendredi 2 février 2024.
2 commentaires
La voix de Marco Angiolini est certes correcte dans les récitatifs, il n’en est rien pour le reste où ce dernier paraissait complètement étouffé voire inexistant, surtout dans les trios.
Nous n’avons décidément pas écouté et surtout entendu le même concert… la voix de Marco Angiolini peine à trouver justesse de ton, beauté du timbre, équilibre avec ses partenaires (surtout face à l’exceptionnel Polifème, puissance dans les trios et les ensembles vocaux. Et ses attitudes sans aucune classe, mimiques et postures sont irregardables. Le visuel vaut bien l’audio et le résultat n’est guère enthousiasmant…