En ce mardi 13 février, bien plus qu’à un simple récital, nous avons assisté à un concert à la programmation savamment agencée, permettant de rappeler opportunément que rien ne naît ex nihilo mais qu’un créateur est toujours peu ou prou tributaire de ceux qui l’ont précédé, qu’il s’inscrive clairement dans leur sillage ou qu’il manifeste à leur égard une méfiance – voire parfois une opposition – plus ou moins explicitement formulés. C’est ainsi un large panorama musical qui a resurgi à nos yeux et à nos oreilles, couvrant une période incluant la fin du XVIIIe siècle (Mozart, Gluck) et un grand XIXe siècle (de Rossini à Massenet et Saint-Saëns) et rappelant certaines filiations bien connues (celles de Mozart et Rossini par exemple, ou de Gluck et Berlioz), et d’autres moins immédiatement perceptibles. Il est ainsi plaisant de faire se succéder au cours de la soirée Berlioz et Donizetti, Hector s’étant, comme on sait, copieusement plaint de l’omniprésence d’un Gaetano (qu’il n’estimait qu’assez peu) sur les scènes lyriques parisiennes ! Belle occasion, pourtant, de se rappeler comment Donizetti plia, avec La Favorite (entre autres ouvrages), son écriture aux exigences et aux attentes du public français…
© D.R.
© D.R.
Mais le programme permet également de faire valoir les qualités bien connues du Cercle de l’harmonie d’une part, de Marina Viotti d’autre part. Dès l’ouverture des Noces de Figaro, le ton est donné : l’urgence dramatique (quelle irrésistible fébrilité dans le crescendo qui conclut la page !) et la vérité de l’expression ne le cèderont pas au plaisir hédoniste de la pure beauté sonore. Non que la pâte orchestrale ne soit d’une séduisante homogénéité, avec des cordes virtuoses à souhait (l’immatériel frémissement des premières mesures du Songe d’une nuit d’été est une grande réussite ; bravo également au premier violon pour sa « Méditation » de Thaïs, d’une émouvante sobriété),
des bois aux coloris tendres et raffinés (superbe flûte dans la « Danse des esprits bienheureux » d’Orphée), des cuivres d’une belle précision… L’ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn aura été à elle seule l’occasion d’un véritable festival de couleurs chatoyantes ! Mais ce qui saute avant tout aux oreilles ce soir, c’est la volonté très nette, de la part de l’orchestre et de son chef Jérémie Rhorer, de faire oublier à l’auditeur le caractère artificiel que peut revêtir la succession de morceaux plus ou moins disparates pour mieux le plonger, dans les quelques minutes qui leur sont allouées, au cœur du drame. Un exploit d’autant plus méritoire que, sauf peut-être dans la belle « Scène d’amour » du Roméo berliozien, la construction dramatique ou l’établissement d’une atmosphère poétique ne peuvent guère s’appuyer sur un déploiement temporel conséquent…
Sur ce tapis sonore d’exception, la voix de Marina Viotti déploie les sortilèges que nous lui connaissons bien et qui, rappelons-le, ne trouvent jamais mieux à s’exprimer que sur scène, le micro ne rendant selon nous qu’une partie du talent et du charisme de la chanteuse. Les pages choisies permettent à celle-ci de déployer le vaste éventail de ses possibilités techniques : perfection du chant legato (le « Voi che sapete » mozartien, l’un des plus purs et des plus délicats qu’il nous ait été donné d’entendre ; la cavatine de Léonore dans La favorita ; « Mon cœur s’ouvre à ta voix » où le chant de Dalila s’appuie sur un parfait contrôle du souffle ) ; maîtrise des ambitus les plus larges (le « Divinités du Styx » d’Alceste) ; précision des coloratures (le redoutable « Amour, viens rendre à mon âme » d’Orphée, très applaudi, ou encore le rondo final de Cenerentola, offert en bis).
© D.R.
C’est cependant par son expressivité que le chant de Marina Viotti séduit le plus, la chanteuse se glissant avec la même aisance dans les habits de l’adolescent tout ému et surpris de vivre ses premiers émois amoureux que dans ceux de la bohémienne dévoreuse d’hommes – dont elle traduit tout le charme vénéneux sans une once de vulgarité –, ou de la courtisane acceptant douloureusement de renoncer à un amour qu’elle sait impossible. Avec cet air de La favorite, offert en clôture de concert (et fort heureusement avec une cabalette non amputée de sa reprise !), Marina Viotti remporte un véritable triomphe. Comme nous l’avions constaté à l’occasion de la parution de son CD rendant hommage à Pauline Viardot, le rôle semble écrit pour elle… Puisse un directeur d’opéra offrir bientôt à la chanteuse ce rôle dans son intégralité… avec, pourquoi pas, le Cercle de l’harmonie et Jérémie Rhorer à la baguette !
Une soirée excitante, accueillie avec enthousiasme et reconnaissance par un public venu nombreux.
————————————————
Retrouvez Jérémie Rhorer en interviex ici, et Marina Viotti là !
Marina Viotti, mezzo-soprano
Le Cercle de l’harmonie, dir. Jérémie Rhorer
Amor furor
Wolfgang Amadeus Mozart
Le nozze di Figaro
Ouverture; « Voi che sapete » (Chérubin)
Christoph Willibald Gluck
Orphée et Eurydice
Danse des esprits bienheureux
« Qu’entends-je ? … Amour vient rendre à mon âme » (Orphée)
« J’ai perdu mon Eurydice » (Orphée)
Danse des furies
Alceste
« Divinités du Styx » (Alceste)
Felix Mendelssohn
Le Songe d’une nuit d’été, Ouverture
Camille Saint-Saëns
Samson et Dalila
« Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Dalila)
Jules Massenet
Méditation de Thaïs
Georges Bizet
Carmen
« Près des remparts de Séville » (Carmen)
Hector Berlioz
Roméo et Juliette, Scène d’amour
Gaetano Donizetti
La Favorite
« L’ai-je bien entendu ?… Oh mon Fernand » (Léonore)
Bis
Gioachino Rossini
La Cenerentola
« Non piu mesta »