Dans le cadre des Lundis Musicaux, sous la direction artistique d’Alphonse Cemin, Elsa Dreisig et ses acolytes, Romain Louveau au piano et Nikola Nikolov au violon, mettent l’amour au premier plan avec une interprétation toute en sensibilité des Dichterliebe de Robert Schumann.
Un pari relevé avec succès par Elsa Dreisig, habituée des prises de risque avec, entre autres, sa Salomé au Festival d’Aix-en-Provence, et bien sûr son album « Mozartx3 » où, avec vaillance, elle reprenait presque tous les rôles de soprano des collaborations de Mozart et du librettiste Lorenzo Da Ponte. Ce soir, en bonne compagnie avec Nikola Nikolov au violon et Romain Louveau au piano, avec lequel elle a déjà pu enregistrer des airs de Rita Strohl, la soprano s’engage dans une œuvre réservée presque uniquement aux hommes.
Pourtant dédicacés à la soprano allemande Wilhelmine Schröder-Devrient, les Dichterliebe ont en effet le plus souvent été chantés par des interprètes masculins, tels Dietrich Fischer-Dieskau accompagné par l’éternel Alfred Brendel, mais aussi Fritz Wünderlich, dont l’enregistrement live au Festival de Salzburg résonne encore aujourd’hui à nos oreilles comme étant quasi « définitif ». Quelques chanteuses, comme la soprano Barbara Bonney et la mezzo Brigitte Fassbaender s’y sont risquées avec succès, parfois en modifiant les tonalités pour plus de facilité, revendiquant la prédominance de la poésie et de l’amour sur un genre en particulier, pour apporter ainsi plus de profondeur et de relief à cette œuvre – peu importe en définitive qui la chante…
En effet, cycle de lieder reconnu, les Dichterliebe ne manquent ni d’enregistrements ni d’exécutions en concert. Comme on le lit dans un des lieder : « C’est une vieille histoire, mais qui reste toujours nouvelle ». Toujours nouvelle lorsque, lors d’un concert, le chanteur parvient à faire siennes ces amours brisées, trouvant leur fin dans la nature magnifiée par les descriptions idéalisées qu’en fait le poète Heinrich Heine. Or le défi permanent des récitals de lieder, et ce même pour les chanteurs aguerris, réside non pas dans le chant mais dans l’incarnation. Des notes cristallines ou une diction impeccable ne sont rien si le chant reste désincarné et sans substance. Cette présence, Elsa Dreisig l’apporte totalement, en projetant sans difficultés apparentes une voix chaude et claire, parfois affligée, parfois suppliante, et finalement rayonnante dans les derniers lieder du concert. Avec une élocution exemplaire, on assiste à une interprétation musicale plutôt qu’à un récital, et malgré quelques graves un peu maigres, la chanteuse fait résonner avec un beau vibrato les aigus les plus dramatiques du programme. Les lieder s’enchaînent, jouant d’une excellente combinaison entre la soliste et Romain Louveau, le pianiste ne restant pas au second plan mais parvenant au contraire à dialoguer avec la chanteuse. C’est cette même posture qui va se profiler tout au long du récital, aussi bien entre Romain Louveau et Nikola Nikolov dans les passages instrumentistes, qu’entre Louveau et Dreisig, chacun s’épaulant et racontant à l’autre les histoires contenues dans ces lieder.
La complicité des artistes permet ainsi d’assister à des moments particulièrement émouvants, comme « Aus meinen Tränen sprießen » et surtout le « Am leuchtenden Sommermorgen » où les notes effleurées avec délicatesse par la voix d’Elsa Dreisig restent suspendues comme en équilibre sur les accords du piano.
La Romance pour piano et violon de Clara Schumann vient rompre le déroulé ordinaire des lieder, et clore la partie dont la tonalité romantique résonne beaucoup plus fortement que dans les quatre derniers du cycle, où le drame semble finalement l’emporter. Pour tempérer cette chute, et apaiser les « Amours du Poète », s’enchaînent plusieurs passages instrumentaux issus de la Sonate opus 121 de Robert Schumann, où Romain Louveau et Nikola Nikolov font ressortir avec finesse les élans sentimentaux de la partition, avec notamment le premier mouvement où les coups d’archet de Nikolov s’achèvent comme des questions…
Peut-être prévus, précisément, comme des réponses, interviennent trois lieder de Clara Schumann, dont le dernier va suivre un extrait d’une Fantaisie de Schumann et clore le récital.
Elsa Dreisig finit ainsi le concert avec le très beau « Beim Abschied » où avec peu d’effets et sans avoir besoin de forcer, le phrasé délicat et l’expressivité naturelle de la chanteuse invitent tristement les spectateurs à lui dire adieu. La chanteuse conclut alors ce cycle de lieder porté sur les tragédies et déceptions amoureuses par un « encore » rassurant : « Morgen » de Strauss « Morgen wird die Sonne wieder scheinen » : demain le soleil brillera à nouveau…
Elsa Dreisig – Soprano
Romain Laveau – Piano
Nikola Nikolov – Violon
Robert Schumann : Dichterliebe op 48
- Im Wunderschönen Monat Mai
- Aus meinen Tränen sprießen
- Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne
- Wenn ich in deine Augen seh’
- Ich will meine Seele tauchen
- Im Rhein, im heiligen Strome
- Ich grolle nicht8. Und wüßten’s die Blumen, die kleinen
- Das ist ein Flöten und Geigen
- Hör ich das Liedchen klingen
- Ein Jüngling Liebe ein Mädchen
- Am leuchtenden Sommermorgen
Clara Schumann : Romance op 22 n. 1 pour piano et violon
Robert Schumann : Dichterliebe (suite)
- Ich hab’ im Traum geweinet
- Allnächtlich im Traume
- Aus alten Märchen
- Die alten, bösen Lieder
Pause
Robert Schumann, Sonate pour piano et violon op 121
- Ziemlich langsam ; Lebhaft
- Leise, einfach
Clara Schumann, Lieder op 13
- Ich stand in dunklen Träumen
- Sie liebten sich beide
Robert Schumann, Fantasiestücke op 73
- Zart und mit Ausdruck
Robert Schumann, Sonate pour piano et violon op 121 (Suite)
- Bewegt
Clara Schumann, “Beim Abschied” WoO 22
Athénée – Théâtre Louis Jouvet, concert du 15 avril 2024.
2 commentaires
…les notes effleurées avec délicatesse par la voix d’Elsa Dreisig restent suspendues comme en équilibre sur les accords du piano
Magnifique Commentaire
Une critique sensible et fine de grandes oeuvres du romantisme allemand, qui nourrissent nos rêves…Bravo!