Somptueuses Vêpres de Monteverdi à Versailles

© Marc Dumont

À la fin du concert, Vincent Dumestre prit la parole pour expliciter ses choix musicaux, insistant sur la multiplicité des Vêpres de  la Vierge de Monteverdi, qui ne sauraient se réduire à celles de 1610. Car si ces dernières ont fait l’objet d’une édition les rendant célèbres par delà les siècles, chaque année, d’autres Vêpres étaient jouées, reprenant de multiples compositions différentes du compositeur. D’où le programme du jour, venu de la Selva morale de 1643, donnant à entendre de somptueuses partitions tirées de ce testament monteverdien.

Disons-le d’emblée : après le concert évènement des Vêpres de 1610 proposées par Leonardo Garcia-Alarcon en janvier dernier, ce fut une autre immense et grandiose réussite. Dès le Deus in adjutorium initial, le ton était donné par la puissance et la virtuosité des chœurs, tout comme par la vélocité et le goût des ornements du cornet à bouquin d’Adrien Mabire, d’une longueur de souffle sidérante. Une atmosphère capiteuse et flamboyante s’installait, qui ne cessa de rayonner tout au long de cette heure et demie de pur bonheur musical.

Le chœur du Poème Harmonique est ici un protagoniste de premier ordre. Le jeu sur les contrastes rend aux partitions toute la diversité du baroque : le Conquassabit du Dixit dominus passait de la fureur au plus infime pianissimo ; le déploiement d’une grandiose polyphonie magnifiait l’Amen final du Nisi dominus ; le Gloria du Laetatus sum sonnait dans une lumière irradiante, en se jouant des vocalises. Au contraire, dans le Stabat Virgo Maria, ouvert par les trois sacqueboutes auxquels se joignaient ensuite les deux cornets, les choristes créaient un moment suspendu dans un quasi a capella.

© Marc Dumont

L’orchestre n’était pas en reste, par ses couleurs, ses chatoiements, la diversité de ses interventions et la qualité de ses musiciens, très attentifs aux gestes du chef. Dans l’introduction de l’Ego flos campi, le violon de Louise Ayton et l’orgue positif d’Elisabeth Geiger rivalisaient d’ornements, quand l’Ave Maris Stella voyait le tendre échange entre Louise Ayton et le cornet d’Adrien Mabire, dialoguant avec les deux solistes féminines qui, là comme ailleurs, touchaient à la perfection par l’émotion distillée.

Car les voix solistes étaient au diapason de cette totale réussite musicale. Chez les hommes, les barytons Romain Bockler et Viktor Shapovalov, s’imposaient tour à tour, avec des timbres différenciés. Le ténor Paco Garcia, moins sollicité, montra parfois quelques tensions dans les aigus. Quant à Cyril Auvity, dont la voix ne cesse de s’arrondir et mûrir, sa présence est d’autant plus forte qu’elle n’est due qu’à son timbre, sa science musicale et à une aisance confondante de naturel. La puissance de son Amen final dans le Dixit dominus était sidérante. Si la Pianto della Madonna, chantée par la mezzo-soprano Eva Zaïcik, résonnait comme une déchirante déploration nous faisant retenir notre souffle, le moment le plus sublime restera pourtant ce Salve Regina Sv 284, qui est une des plus fortes pages de Monteverdi par sa simplicité de ligne, sa profondeur spirituelle et sa sensualité croisée dans des mélismes bien peu religieux. Un continuo fourni mais poétique, où la harpe de Sara Agueda Martin faisait merveille, enchassait les voix d’Eva Zaïcik et de la toujours rayonnante soprano Perrine Devillers. Elles ont su tisser un instant hors du temps, vers une extase musicale spirituelle en accord avec le soleil doré qui inondait alors la Chapelle Royale.

© Marc Dumont

Il est clair que Vincent Dumestre aime profondément ces musiques.  Il en a le sens des contrastes et les années de pratique musicale des partitions monteverdiennes lui ont permis de creuser une profondeur du geste et une intériorité qui s’entendent par l’attention aux mots et aux ruptures de ton. Il joue sur les silences et les résonances du lieu (Dixit dominus) ou sur le slancio du Laudate pueri Dominum, rapprochant ce psaume du balancement des musiques populaires.

Entendre un tel foisonnement musical lui donne raison dans son cheminement : il s’agissait bien d’un somptueux concert[1].

À noter : ce concert a fait l’objet d’un enregistrement : à découvrir d’ci quelques mois chez Château de Versailles Spectacles !

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[1] Le Poème Harmonique a joué ce programme le 26 mars à Cracovie, lors du Festival dont Vincent Dumestre est désormais le directeur : https://lepoemeharmonique.fr/spectacle/selva-morale/

Les artistes

Perrine Devillers : soprano
Eva Zaïcik : mezzo-soprano
Paco Garcia et Cyril Auvity : ténors
Romain Bockler et Viktor Shapovalov : barytons

Le Poème Harmonique, Chœur et orchestre
Vincent Dumestre, direction

Le programme

Selva Morale e Spirituale – Monteverdi Testamento

Versailles, Chapelle Royale, dimanche 28 avril 2024.