T.C.E. – DIVO DIVA : l’alchimie joyeuse des grandes voix dans le Baroque

On se rend avec plaisir en ce mardi 14 mai 2024 au Théâtre des Champs-Élysées, pour ce Divo Diva organisé par Les Grandes Voix, lorsqu’on connaît d’Eva Zaïcik quelques chants superbes, que l’on a salué son Royal Haendel vraiment royal, son Nisi Dominus somptueux, et qu’il y a peu encore son Mayrig nous a enchantés avec une alliance de sonorités rares et précieuses d’une pureté inégalée. Elle est ici entourée de quelques autres grandes voix déjà connues et saluées, dont celle de Sophie Junker qui remplace Lauranne Oliva souffrante, celle de Bruno de Sà qui ajoute au registre des contreténor son soprano agile, ou de Christophe Dumaux qui dans une tessiture plus grave a donné par exemple un « Cara sposa » lumineux. Accompagnés des Accents de Thibault Noally, grand spécialiste du baroque, on s’attend à un régal musical de couleurs et de voix.

Eva Zaïcik – © D.R.

Bruno de Sà – © Marcos Hermes

On y entre avec Porpora, Carlo di calvo, et le « Voresti a me sul ciglio » par Bruno de Sà, qui nous accueille d’emblée dans ses vrilles véloces et cristallines, où l’on retrouve la surprise déjà bien connue de son soprano aigu dans un visage barbu. Il se déploie dans cette musique virevoltante comme un poisson dans l’eau. Avant qu’Eva Zaïcik vienne le rejoindre pour le merveilleux duo  « Madre ! Mia Vita ! » du Giulio Cesare de Haendel, et borde de sa chaude voix dorée à nulle autre pareille l’acuité sopraniste maintenant apaisée. Les Accents nous donnent ensuite le Concerto pour violon en ré majeur du « prêtre roux » où l’on mesure la sureté vibrante de cet ensemble aussi bien dans la structure que dans les volutes du violon solo.

Sophie Junker, elle-même enceinte, n’a aucun mal à faire oublier qu’elle remplace une absente tant son métier est solide, sa voix forte et limpide, sa tonalité heureuse, dans l’« Ama et suspira » de l’Alcina de Haendel. Et nous la suivons avec autant de bonheur lorsque Eva Zaïcik la rejoint pour la « Gioia ch’io sento » du Mitridate de Porpora, et longe de sa voix d’ambre cet aigu limpide sans stridence. L’on y voit là encore combien de grandes arias baroques font merveille à produire le choc heureux des voix l’une contre l’autre, le long de l’autre, cette alchimie prodigieuse qui en modifie la couleur et le sens.

Sophie Junker – © Christina Raphaëlle

Christophe Dumaux – © C.D.

Puis nous accueillons la voix de Christophe Dumaux dans un extrait d’Orlando de Haendel, plus ancré dans un sol de contreténor, en somme plus ténor que contre, ensuite rejoint par Bruno de Sà pour une merveilleuse aria du même auteur, tiré d’Ariodante, où une alchimie encore nouvelle repeint avec bonheur la couleur de ces deux voix jointes ensembles.

Après un entracte bienvenu tant ce programme est dense et nous retient, nous replongeons avec délice dans la longueur ailée de la voix d’Eva Zaïcik, seule cette fois, qui du Farnace de Vivaldi, module le « Gelido in ogni vena » somptueux, où l’inflexion diffère en chaque mouvement de l’aria comme une invention toujours renouvelée. Elle tend sa main avec sa voix, comme un archet, d’un vibrato léger et souple, chaque note est pensée et écrite avec ses doigts, elle roule le son doré de son chant, elle nous enchante. Après un magnifique concerto pour deux violons, Bruno de Sà revient pour une aria bienvenue de l’Olimpiade vivaldienne, où il danse un peu, annonçant les plaisirs qui nous sont promis avec cet opéra, dans les derniers jours de juin 2024, par ce même TCE.

Enfin de nouvelles compositions, à deux puis à trois, viennent coupler les voix encore autrement, pour en donner des versions aussi lumineuses dans les arias qui leur vont si bien. Sophie Junker et Christophe Dumaux valorisent un doux aria de Rodelinda, puis Bruno de Sà ajoute ses vocalises virevoltantes sur le « Temi lo sdegno mio » de Germanico in Germania de Nicola Porpora qui prête volontiers sa belle facture au trio du bouquet final.

On l’aura compris, cette soirée du TCE fut un bonheur, où l’amour du Baroque se voit célébré, reconduit et renouvelé par un grand orchestre et de grandes voix : une cérémonie que l’on accompagne ravis, à laquelle on participe avec joie.

Les artistes

Sophie Junker | soprano
Eva Zaïcik | mezzo-soprano
Bruno de Sá | contre-ténor
Christophe Dumaux | contre-ténor

Les Accents
Thibault Noally | direction

Le programme

DIVO DIVA

Georg Friedrich Haendel,  Agrippina, Sinfonia 

Nicola Porpora, Carlo il Calvo, « Vorresti a me sul ciglio »

Georg Friedrich Haendel, Giulio Cesare in Egitto, « Madre! Mia vita!… Son nata a lagrimar »

Antonio Vivaldi, Concerto pour violon en ré majeur, RV 212a

Georg Friedrich Haendel, Alcina, « Ama e sospira »

Nicola Porpora, Mitridate, « La gioia ch’io sento »

Georg Friedrich Haendel, Orlando, « Fammi combattere »

Georg Friedrich Haendel, Ariodante, « Bramo haver mille vite »

Antonio Vivaldi,  Farnace, « Gelido in ogni vena »

Antonio Vivaldi,  Concerto 2 violons en la mineur, RV 522  

Antonio Vivaldi, L’Olimpiade, « Tra le follie diverse… Siam navi »

Georg Friedrich Haendel, Rodelinda, « Non ti bastò consorte… Io t’abraccio »

Nicola Porpora, Germanico in Germania, « Temi lo sdegno mio »

 

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, concert du mardi 14 mai 2024.