Musée d’Orsay : une heure de poésie en compagnie d’Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva

Première Loge avait déjà signalé il y a quelque temps les grandes qualités d’Adrien Fournaison : le concert donné mardi midi à l’auditorium du Musée d’Orsay vient d’en donner une très belle démonstration. Dans la logique des récitals proposés par les jeunes artistes de l’Académie Orsay-Royaumont, ce concert a de nouveau permis la rencontre d’œuvres musicales et picturales avec cette fois-ci, en « toile de fond », La Solitude du peintre américain Alexander Harrison (1853-1930).

Alexander Harrison, La Solitude (1893) – Musée d’Orsay

C’est précisément autour de cette solitude, qu’elle soit choisie ou subie, que s’articule un programme riche et très original, où quelques grands classiques (Brahms : « Der Tod, das ist die kühle Nacht » ; Schubert : « Der Zwerg », « An den Mond » D259) côtoient des pages nettement plus rares (« Acqua » de Respighi ; « Sleep » d’Ivor Gurney ; « Meerestille » de Nikolaï Medtner ; …).

Ce qui frappe d’emblée dans la prestation d’Adrien Fournaison, outre la grande beauté du timbre, c’est la « solidité » de la voix. Non pas que celle-ci soit dure, rigide, « résistante ». Au contraire : elle est d’une grande douceur et d’une belle souplesse. Mais la qualité de l’émission est égale sur toute la tessiture, donnant la très agréable impression qu’aucun accident ne peut arriver, le chant se déployant avec un grand naturel et une apparente facilité, faisant entendre une ligne vocale fluide, quasi liquide dans le célèbre « An den Mond ».  Le chanteur déploie par ailleurs un panel de nuances très riche, permettant de varier les ambiances et de capter constamment l’attention de l’auditeur – nuances rendues possibles par une grande maîtrise technique, avec notamment de superbes piani et pianissimi (quel beau diminuendo sur le « vergehn » de « Die stille Wasserrose » de Liszt !). L’attention aux mots est constante, ce que rend encore plus perceptible une diction superlative dans les quatre langues abordées : l’italien – même si la prononciation de cette dernière n’est pas (encore) tout à fait idiomatique, l’anglais, l’allemand et bien sûr le français (très belle déclamation des vers de Rilke, Gautier ou Verlaine, y compris dans « Cygne » de Rilke ou le « Seule ! » de Gautier, si profus en voyelles nasales !).

Si l’on ajoute à cela le fait que Natallia Yeliseyeva s’est distinguée, dans son accompagnement, par sa constante musicalité et sa grande adaptabilité stylistique, on comprendra que le public a vécu, en compagnie de ces deux artistes, de très belles émotions musicales et poétiques. Puisse ce duo se reformer souvent !

https://www.youtube.com/watch?v=1JxCzla_6KE

Hugo Wolf : Wer sein holdes Lieb verloren (Adrien Fournaison, Natallia Yeliseyeva) – Paris, Théâtre de l’Alliance Française, 2022

Les artistes

Adrien Fournaison, baryton
Natallia Yeliseyeva, piano

Le programme

Le triomphe de la mélodie et du lied Adrien Fournaison et Natallia Yeliseyeva

Samuel Barber, « Un cygne », op. 27 n° 2 [Rainer Maria Rilke] extrait de Mélodies passagères ;
Franz Liszt, « Die stille Wasserrose », S 321 ;
Gabriel Fauré, « Seule ! », op. 3, n° 1 ; « La chanson du pêcheur », op. 4 n°1 [Théophile Gautier] ;
Ottorino Respighi, « Acqua », P. 107 n°4 ;
Richard Strauss, « Im Spätboot », op. 56, n° 3 ;
Robert Schumann, « Requiem », op. 90, n° 7 extrait de Sechs Gedichte  von N. Lenau und Requiem ;
Igor Stravinsky, « Un Grand sommeil noir », op. 9 n° 1 [Paul Verlaine] extrait de Deux poèmes de Paul Verlaine pour baryton et orchestre de chambre ;
Hugo Wolf, « Um Mitternacht » [Eduard Möricke] extrait de Lieder nach Gedichten von Eduard Möricke ;
Ivor Gurney, « Sleep » [John Fletcher] extrait de Five Elisabethan songs ;
Franz Schubert, « Der Zwerg », D 771 [Matthaus Kasimir von Collin] ; 
Johannes Brahms, « Der Tod, das ist die kühle Nacht » pour voix et piano, op. 96, n° 1 [Heinrich Heine] extrait de 4 Lieder ; 
Nikolaï Medtner, « Meeresstille », op. 15, n° 7 [Johann Wolfgang von Goethe] extrait de 12 Goethe Lieder ;
Gabriel Fauré, « Cygne sur l’eau », op. 113 n° 1 [Renée de Brimont] extrait de Mirages ;
Franz Schubert « An den Mond », D 296 ; « Am See », D 746 ;
Ben Moore, « Adieu ! », n° 8 [John Keats] extrait de Ode to a Nightingale.

Paris, Musée d’Orsay, Concert du mardi 21 mai 2024.