Stabat mater de Rossini, Festival de Radio-France Occitnaie Montpellier, 17 juillet 2024
Sous la baguette de la maestra Clelia Cafiero, l’Orchestre national de Montpellier et un quatuor vocal prestigieux clôturent souverainement le cycle symphonique du Festival Radio-France Occitanie, en compagnie des chœurs des Opéras de Montpellier et de Toulouse. Une soirée dédiée à feu Benoît Duteurtre.
Sacrée et lyrique, la douleur de la Mater
Si Rossini a préféré délaisser la composition lyrique après 1830, cette rare entorse à son silence est particulièrement puissante. Entre la Missa Solemnis de Beethoven et le Stabat mater de Dvořák (1880), le Stabat mater de Rossini est loin d’être l’un de ses Péchés de vieillesse … Créé en 1842 à Paris, il réalise une jonction entre le sacré et le théâtre lyrique au prisme de la douleur de la Vierge Marie, debout aux pieds du corps supplicié de son fils. Composé en deux périodes distinctes (1831 en Espagne, 1841 pour Paris), l’œuvre explore les tercets liturgiques catholiques en une constellation de dix mouvements, et ce, sans recherche d’unité stylistique. Avec une orchestration inspirée, les forces vocales du quatuor de solistes et du chœur mixte se partagent les numéros dans des configurations variées qui n’excluent ni le bel canto (Cujus animam gementem), ni le style sévère d’église, ni la double fugue qui couronne le cycle latin (In sempiterna saecula). Le compositeur dramatique ose même le chant a cappella à deux reprises pour se référer aux glorieuses polyphonies de la Renaissance. Il investit en effet un mouvement choral – Eia mater, fons amoris (Ô mère, source de tendresse) ainsi que le sublime quatuor qui clôt les douleurs de la Vierge, Quando corpus morietur.
Imprégnée d’italianità, la maestra Clelia Cafiero fait ici valoir ses compétences d’ex cheffe de chant de la Scala de Milan et confirme sa valeur de premier plan après les succès de Marseille et d’Orange. Car elle prend véritablement en charge la direction chorale et orchestrale, soignant les préludes instrumentaux de belle facture, dépliant les modulations, maintenant les sections syncopées sous tension. Cependant, tout respire, et chaque nuance, chaque période s’élance avec une expressivité qui touche. La préparation des artistes du Chœur de l’Opéra national de Toulouse (par Gabriel Bourgoin) et de celui de l’Opéra national de Montpellier (Noëlle Gény) est de qualité. Moins précises dans le mouvement introductif, les deux phalanges affirment leurs capacités à s’unir a cappella avec la basse (Eia, mater fons amoris). Plus loin, l’alliance du chœur et des menaçantes fanfares de cuivre (Inflammatus et accensus) sonne efficacement au cœur du drame sacré.
Un prestigieux quatuor vocal
Sa distribution internationale magnifie l’interprétation de l’œuvre. Le duo Quis est homo soulève les émotions avec Pretty Yende (soprano) et Gaëlle Arquez (mezzo soprano), l’une par la dilatation qu’offre ses envolées aigües, l’autre par l’assise de bronze des médiums et graves. Lorsque le jeune ténor Magnus Dietrich (troupe de l’Opéra de Francfort) tutoie le belcantisme avec souplesse et sans affèterie (Cujus animan gementem), son confrère, la célèbre basse Michele Pertusi joue à égalité. Il transpose son savoir-faire rossinien et verdien dans les scansions de rébellion du Pro peccatis suae gentis. Notre coup de cœur pour la mezzo Gaëlle Arquez surgit de sa souveraine interprétation de la cavatine Fac ut portem Christi mortem (Du Christ, fais-moi porter la mort ). L’héroïne de Fervaal de d’Indy (Festival Radio-France Montpellier, 2019) se joue ici des sauts de registre que glisse Rossini pour traduire les tourments des plaies maternelles.
Le sommet de l’expressivité douloureuse est atteint dans le quatuor vocal Quando corpus morietur (à l’heure où mon corps meurt). Le tressage des voix solistes y sonne avec pureté en dépit des périlleuses intonations que cette polyphonie recèle ! Y compris celles des entrées en fugato que Rossini incorpore depuis le style religieux ancien. Aussi, la double fugue chorale de l’Amen qui s’enchaîne résonne comme une acceptation ou une élévation, selon nos propres vécus. D’autant qu’elle s’appuie sur l’ostinato fièrement martelé par le timbalier.
Quelle griffe marque le Festival Radio-France Occitanie Montpellier ?
Cette soirée est l’avant dernière du superbe cycle symphonique programmé au Festival Radio-France Occitanie, retransmis sur France Musique et sur plusieurs ondes européennes. Aussi, avant le Sensational Symphony (20 juillet), deux observations nous effleurent. Heureux constat, la splendeur des orchestres français – du Philharmonique aux Siècles, de l’Orchestre national de Toulouse à celui de Montpellier – est une réalité tangible, alors que la complémentarité des Chœurs toulousains et montpelliérains de ce concert est un heureux signal pour la manifestation.
La seconde est plus une interrogation qu’une observation. Quelle est la « griffe » du festival occitan comparée à celle de ses voisins ? Alors qu’Aix-en-Provence se renouvelle par la création lyrique depuis 2002, qu’Avignon se distingue cet été par des concerts créatifs avec danseurs, tandis que les Chorégies d’Orange attirent les masses par la configuration du site antique sous les étoiles. Ici, en dehors de l’inédit de Ravel en ouverture (9 juillet), le pluralisme des styles (les fleurons du classique, l’électronique et le jazz) suffit-il à créer une « ambiance » festivalière avec les publics qui se croisent peu ? A l’aube de fêter ses quarante ans, la manifestation montpelliéraine qui a vécu pléthore d’évènements depuis l’édition 1985 – dont l’exhumation de 22 œuvres lyriques[1] – saura sans doute se distinguer.
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[1] Lectrices et lecteurs de Première Loge peuvent consulter leur liste dans « Les Festivals après 1945 », Histoire de l’opéra français, vol. 3, Fayard, 2022, p. 776-778.
Pretty Yende, soprano
Gaëlle Arquez, mezzo-soprano
Magnus Dietrich, ténor
Michele Pertusi, basse
Orchestre national de Montpellier, Chœurs de l’Opéra national de Montpellier, de l’Opéra national de Toulouse, direction Celia Cafiero
Stabat mater de Rossini
Concert du mercredi 17 juillet 2024, Festival Radio-France Occitanie Montpellier