Les festivals de l’été –
Semaines musicales de Quimper : inclusives !

Des « Nuits andalouses » au cœur de la Cornouaille ? La 45e édition des Semaines musicales de Quimper (Finistère) le réalise ! La programmation interculturelle reflète la démarche du festival, associant musiques classiques et du monde avec des ateliers inclusifs pour les amateurs.

Journal du 14 août 2024

Nuits andalouses : la thématique est facilement identifiable par les publics. L’avant-première donnait le ton avec un ciné-concert projetant Le chien andalou de Luis Buñuel et Salvador Dali. Sous le signe de la découverte, l’inauguration du festival programme un duo guitare violoncelle, avec Maitane Sebastian et Sébastien Llinares (le présentateur de Guitare, guitares sur France Musique). Sous le barnum du jardin de l’Evêché, au pied des flèches élancées de Saint-Corentin, ce duo virtuose se métamorphose au fil des prestations. Car plusieurs « surprises » se succèdent : apparitions ponctuelles de la danseuse flamenca Fanny Ara, pièces chantées grâce à la double compétence de la violoncelliste. La floraison de pièces restitue une transmission des cultures savantes et de l’âme populaire, le tout sans frontière (voir notre rubrique Programme). L’expression tragique des musiques collectées et arrangées par le poète García Lorca habite la modeste scène décorée de lampions colorées. La connivence entre la bailaora flamenca et les musiciens est optimale : rythmique vigoureuse contre cambrure, basso ostinato en contre-plongée de glissements de cape, pizzicati contre claquements de talon. Ailleurs, la plainte du chant séfarade ou le feu de la Danza finale de Gaspar Cassadó complètent la mosaïque en restituant le triple héritage de l’Andalousie du temps des califats : arabo-musulman, juif et espagnol. Un tissage indéfectible et multiséculaire, toujours véhiculé par les artistes, et dont notre actualité politique peine hélas à se souvenir …

En soirée, place à la tradition ghernati (de Grenade sous le Califat) avec La Diva de l’Orient. Cette musique arabo-andalouse est pratiquée par la chanteuse marocaine Bayane Belayachi et trois instrumentistes (luth, guitare, derbouka). S’accompagnant également à la gwitra (proche de la mandoline), l’artiste déploie une féconde ornementation vocale au gré de cinq longs morceaux traditionnels, dont la nouba. Le dialogue raffiné entre le luthiste et sa voix mélismatique au long souffle valorise notamment l’art de la variation. La clarté de son timbre est en affinité avec le grain cristallin de ses acolytes cordes. Cette similitude valorise les dialogues incessants entre voix et instruments, avant le retour du refrain. L’interactivité de quelques « youyous » modulés dans l’auditoire pimente ces retours parfois lancinants (?) malgré les variations de la derbouka. Les auditeurs sont d’ailleurs invités à entonner le refrain d’une séquence : la participation est spontanée ! Il est vrai que le Chœur citoyen (atelier) répète chaque matin durant le festival quimpérois.

Certes, le jardin de l’Évêché n’est pas le jardin du Real Alcázar de Séville, et la pointe Bretagne n’a peut-être pas autant brassé de cultures que la Méditerranée. Mais aux Semaines musicales de Quimper, l’esprit d’ouverture et la fréquentation optimale sont au rendez-vous.

Journal des 16 & 17 août

Les fantaisies de Carmen

Construire un parcours hispanique autour de l’iconique Carmen de Bizet est un défi relevé par les trois chanteuses d’Opéra Fémina et leur pianiste, Aurélien Richard. La mosaïque de pièces des XIXe et XXe siècles est introduite par une Ciacona baroque, polyphonie chantée depuis les coulisses jusqu’à la scène. Esquissé par une mise en espace, leur cheminement explore ensuite les soli et de rares duos remplis de charme : de Paul Puget (Chanson andalouse), Jules Massenet (extrait de Don César de Bazan) et de Pauline Viardot (Habanera) dont le refrain finement galbé traduit « laisse-toi charmer ». L’Espagne y est une source d’inspiration ou de fantasmes pour les contemporains de Mérimée. Si le public savoure les extraits « joués » de Carmen de Bizet (« Près des remparts de Séville », le trio des cartes, la habanera), nous sommes davantage séduits par l’authenticité vigoureuse des Siete canciones populares españolas (« Sept chansons populaires espagnoles ») de Manuel de Falla. Tandis que les chanteuses s’y relaient de manière collégiale, on peut apprécier l’homogénéité et la souplesse du legato de Roxane Chalard (soprano), l’expressivité troublante de Cécile Pierrot (soprano) et le grain charnu de Laia Córtes Calafell, mezzo-soprano. La virevoltante Jota d’Aragon et la douleur criée par la victime de Polo traduisent bien le geste de recréation populaire que tente de Falla. Plus loin, une mélodie espagnole de R. Chapi (encore une rareté) clôt la fresque lyrique avec panache, grâce à Roxane Chalard. Aux taquets pour chaque accompagnement, le pianiste Aurélien Richard est un partenaire attentif dont les attaques staccato et l’ornementation sont martelées d’une manière parfois abusive.

Les récitals instrumentaux

Les rivages de l’Andalousie forment un continent imaginaire sous les doigts de la pianiste franco-espagnole Julie Alcáraz dans son récital Terres d’Espagne, une sélection de pièces de M. de Falla, d’E. Granados et I. Albéniz. Aragonaise et fandango des deux premiers compositeurs préludent à la sélection de 6 pièces extraites d’Iberia (cahiers 1 et 2 de 1906). Si Albéniz, alors exilé à Paris, rêve son Andalousie natale dans ce cycle, l’interprète « entraîne l’auditeur dans une bulle de couleurs, sons et parfums virevoltants » (note d’intention), et ce, par cœur. En mettant tout le clavier du Steinway en vibration, en jouant la dualité interne à chaque pièce, la pianiste explore les rêveries d’Evocación, chahute dans El Puerto en complicité de la danseuse flamenca Fanny Ara, mêle attaques sèches et nonchalance dans Almería. Le point culminant de l’envoutement est atteint dans El Corpus Christi en Sevilla par ses carillons obsédants et son audacieux halo harmonique. Le futur enregistrement du cycle est d’ailleurs à l’ordre du jour de l’interprète. Le clin d’œil virtuose du bis – la Marche turque dans l’arrangement de Fasil Say – déchaîne une ovation du public.

Le second récital hispanique met en lumière l’œuvre de Pablo de Sarasate, violoniste et vedette internationale à la fin du XIXe siècle. Grâce à l’interprète Pablo Rapado, lauréat du prestigieux Prix P. de Sarasate de Pampelune, la virtuosité violonistique devient aussi un jeu expressif au gré des pièces tsiganes, bohémiennes ou ibériques dont les variations médusent l’auditoire. Fusées mélodiques, doubles cordes, sons harmoniques et pizzicati s’envolent dans les Zigeunerweisen op. 20 (Airs bohémiens) qui accueillent les deux tempi et pathos contradictoires du lassan et du friska de la tradition tsigane. Quant à la frénésie du Zapateado, ou les volutes du Capricho vasco, elles caracolent avec fantaisie sous son archet, tandis que le pianiste Andoni Aguirre tient parfaitement la barre au piano. Leurs rôles sont mieux répartis dans les danses issues de La Vida breve de M. de Falla, d’autant qu’une troisième comparse se glisse sur l’estrade, la bailaora flamenca Fanny Ara virevoltant sous son châle rutilant.

Pour aller plus loin sur le festival quimpérois qui programme une réplique au cœur de l’hiver : https://www.semaines-musicales.com/

Les artistes

  • Concert d’inauguration :
    Maitane Sebastian, violoncelle, voix
    Sébastien Llinares, guitare
    Fanny Ara, danseuse
  • La diva de l’Orient :
    Bayane Belayachi, voix et gwitra
    Amine Belayachi, guitare
    Miloudi Benslimane, percussions
  • Récital piano du 16 aout :
    Julie Alcáraz (piano)
  • Soirée lyrique du 16 aout :
    Ensemble Opéra Fémina
    Roxane Chalard, soprano
    Cécile Pierrot, soprano
    Laia Córtes Calafell, mezzo soprano
    Aurélien Richard, piano
  • Récital violon piano du 17 aout :
    Pablo Rapado (violon), Andoni Aguirre (piano), Fanny Ara (danseuse)

Le programme

  • Concert d’inauguration : pièces en duo de Garcia Lorca, G. Sanz, G. Cassado, J. Rodrigo, E. Granados, P. Peña, F. Guerau, M. Sebastian, S. Llinares, pièces traditionnelles.
  • La diva de l’Orient : musique traditionnelle gharnatie
  • Récital piano du 16 aout : 1re pièce espagnole de M. De Falla , Danses espagnoles n° 2 & 5 d’E. Granados, sélection de 6 pièces d’Iberia105 d’Isaac Albéniz (cahiers 1 et 2)
  • Soirée lyrique du 16 aout : mélodies et duos de P. Puget, E. Granados, J. Ibert, J. Massenet, I. Albeniz, M. de Falla, X. Montsalvatge, P. Viardot, R. Chapi. Extraits de Carmen de G. Bizet
  • Récital violon piano du 17 aout : œuvres de Pablo de Sarasate, M. de Falla