45e édition du festival d’Ambronay : la voix est libre
4e week-end 2024 : Journal du 4 octobre

Festival d’Ambronay : Concert Haendel / Lotti, Concert Bach, 4 octobre 2024.

Octobre, les feuilles tombent comme les températures, mais la récolte au Festival d’Ambronay (dans le Bugey) est toujours fructueuse et la chaleur des publics, intacte ! Avec la thématique « la voix est libre », cette 45e édition fait la part belle à la voix humaine que compositeurs et poètes ont cultivée sous tant de facettes. De la voix soliste (Philippe Jaroussky, Lea Desandre, Adèle Charvet, Paul Figuier…) au grand chœur (Cappella Mediterranea, Spirito) en passant par le madrigal (Les Cris de Paris, La Néréide…), la cantate (Les Arts Florissants ; Les Talens lyriques), l’opéra (Alcina) ou le conte (Gilgamesh), la programmation l’explore dans tous ses éclats.

Découvrir les cantates vénitiennes de Lotti et du jeune Haendel (1705-1710)

Grâce au programme « Ambronay jeunes talents » du Centre culturel de rencontre d’Ambronay (inséré dans EEEMERGING européen), des ensembles baroques émergents sont ici promus et accompagnés. Basé entre Lyon et Genève, l’ensemble Les Argonautes réunit de jeunes chanteurs et instrumentistes depuis 2019, et sortira en novembre son second album, dédié à Lotti et à Haendel (label Aparté).

À Ambronay, plutôt qu’une confrontation entre un maître, le réputé Antonio Lotti, et un émule germanique, G.F. Haendel, ce concert juxtapose leurs cantates vénitiennes de la période 1705-1710 tout en servant de formation pour le jeune saxon. Conçues pour les salons bourgeois ou nobles sous l’influence de l’Académie des Arcadiens (Rome), ces cantates profanes en duo témoignent du dynamisme culturel de la République lettrée de Venise. Selon Jonas Descotte, directeur musical des Argonautes et médiateur du concert, elles forment un baromètre sensible de l’influence de Lotti, premier organiste de San Marco sur le jeune saxon. Rappelons que celui-ci réalise ses premières fresques (oratorio et opera seria) dans la péninsule, sous l’influence des prestigieuses écoles vénitiennes, romaines et napolitaines. Le dispositif d’écoute du concert – distribuer le programme seulement à la sortie – invite les auditeurs à un jeu de pistes pour essayer d’attribuer telle ou telle cantate à l’un ou à l’autre ! Au fil des sept cantates, unies par la thématique amoureuse, ce sont les ressemblances qui frappent le plus. Formellement déjà, chaque triptyque de mouvements (vif-lent-vif) ou bien chaque aria da capo structurent le cadre. L’écriture vocale est souvent similaire par son alternance entre duo simultané des soprano/mezzo ou bien entrées en imitation pour dynamiser le parcours. Avec les deux jeunes chanteuses, les effets en miroir sont magnifiés par une écoute complice et par la nature différenciée de leur timbre. La ductilité et la fraîcheur de Camille Allérat (soprano) est confrontée à la matière dense et à la projection percutante d’Anouk Defontenay (mezzo-soprano). Au jeu des ressemblances, n’oublions pas la puissante ossature de la basse continue dont les instrumentistes (clavecin, théorbe, violoncelle, basson) varient les configurations en toute autonomie. 

Toutefois, quelques dissemblances se perçoivent, sans doute guidées par le registre poétique de chaque cantate. Pour exemple, le ton très enjoué d’une damigella précieuse est loin de l’émotion torturée que porte le duo avec sospiri, conclu par un pathétique morir. L’inventivité, la fantaisie et l’intention madrigalesque seraient les spécificités très séduisantes de Lotti : chromatisme ascendant ou descendant « alla Monteverdi » ou « à la Cavalli », mélodie suppliante de piange sono, culte de la dissonance. Tandis que le goût pour la vocalisation audacieuse et ardente caractériserait le futur compositeur de Rinaldo ou de Giulio Cesare, en même temps qu’un sens dramatique éloquent – cadence suspensive, vive opposition des tempi, virtuosité de la basse continue.

Pour introduire chaque partie de ce concert, deux Allemandes de G.F. Haendel (devinons-nous juste ?) dévoilent l’influence de la suite instrumentale et de la polyphonie sur ces cantates vénitiennes. Grand succès public pour ce concert.

Les cantates de J. S. Bach pour alto dans l’abbatiale d’Ambronay

L’engouement pour la voix de contre-ténor et la thématique de cette 45e édition – « La voix est libre » – suscitent ce programme consacré aux airs pour voix d’alto dans les cantates de J. S. Bach. Aussi, Christophe Rousset, à la direction des Talens Lyriques, conçoit une sélection de sinfonia et d’arias de la période à Saint-Thomas de Leipzig (1723-1728), en complicité du jeune contre-ténor alto Paul Figuier. Il s’agit de valoriser l’affect associé à cette couleur et ce registre. Selon les notes d’intention produites par le chef, « la voix de l’alto reflète toute l’ambiguïté de cette figure divine, à la fois rassurante et impressionnante, mais aussi celle de l’humanité, entre amour et souffrance. »

Une première partie explore la nature contemplative (« Was mein Herz von dir begehrt » BWV 108) ou le sommeil éternel de l’humain (« Ach schläfrige Seele ! » BWV 115), avant la sublime cantilène de hautbois de la cantate « Ich hatte viel Bekümmernis (BWV 21). L’instrumentiste Gilles Vanssons (hautbois solo) la déploie dans toute sa liberté mélodique. La seconde partie s’extrait de l’intériorité par deux arias joyeuses, dont celle « Gott hat alles wohlgemarcht » (Tout ce que Dieu a fait est bien fait, BWV 35). Sa ritournelle enjouée à l’orgue (tenu par C. Rousset) prélude aux vocalisations que Paul Figuier fait valoir avec souplesse, après avoir conduit de justes phrasés dans la partie initiale. On peut toutefois regretter que la tessiture grave sonne difficilement, contrairement à la plénitude du médium, et que son engagement dans le domaine religieux soit moins convaincant que ses nombreuses prestations lyriques saluées par la critique. Pour exemple récent, l’iconoclaste Achille de l’Orfeo de Sartorio (2023).

Autant le répertoire baroque et classique français distingue les Talens Lyriques au sein de la planète baroque, autant l’introspection des cantates allemandes ne convainc guère. L’uniformité des tempi et du continuo, le peu de variation de l’articulation et de l’ornementation (da capo) génèrent une certaine monotonie. Contrairement à la dramaturgie d’une cantate entière de Bach – architecture de récitatifs, airs, duos et chœurs -, le montage de cette sélection procure une sorte de lassitude. Elle ne se dissipe pas dans l’aria bissée « Wie Furchtsam wankte meine Schritte » (Que mes pas étaient chancelants, BWV 33).

En revanche, la place particulière qu’occupe la voix d’alto dans l’œuvre du Kantor est magnifiée par le partenariat avec le hautbois d’amour (cantates 197, 115), au timbre grave et rond. Dans l’acoustique de l’abbatiale d’Ambronay, leur dialogue musical approfondit la valeur spirituelle du message luthérien pour les uns, l’apaisement et l’allègement pour les autres. Ce qui conduit l’auditoire à acclamer les artistes aux saluts.

Les artistes

Concert Haendel / Lotti
Les Argonautes, dir. Jonas Descotte
Camille Allérat, soprano
Anouk Defontenay, mezzo soprano

Cantates de J. S. Bach
Paul Figuier, contre-ténor
Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction et orgue)

Le programme

Concert Haendel / Lotti : 
G.F. Haendel, Cantates I (Sono liete fortunate), II (Troppo cruda, troppo fiera) et IX (Conservate, raddoppiate) des Duos Arcadiens.
Antonio Lotti, 4 Duetti (extraits de Lontananza insopportabile, Giuramento amoroso, Querela amorosa, Scherzo d’amore)

Concert J. S. Bach
Extraits de sinfonia et d’airs pour alto solo issus des cantates BWV 42, 108, 197, 4, 115, 21, 33, 12, 156, 196, 170.