C’est un concert pour le moins original qui a eu lieu samedi 5 octobre à l’auditorium Paganini de Parme. Au programme, des pages de Luigi Nono, Arnold Schönberg et Giuseppe Verdi dirigées par le chef français Maxime Pascal.
L’auditorium Paganini est une grande et belle salle conçue par Renzo Piano et inaugurée au début du XXIe siècle. Aménagée dans le parc urbain où se trouvait jadis l’usine de raffinage du sucre Eridania, elle joue sur le dépouillement et la transparence, offrant de beaux volumes dont on pourrait croire qu’ils seront néfastes à l’acoustique (la hauteur de plafond est vraiment très importante), mais il n’en est rien si l’on en croit les impressions ressenties lors de ce concert du 5 octobre.
Parallèlement aux grands opéras, aux concerts divers et récitals qui émaillent la programmation du Festival Verdi, une série de manifestations, regroupées sous le titre un peu « fourre-tout » de « Ramifications », propose de faire entendre « l’héritage », au sens très large du terme, de Verdi. Ce sont, ce soir, quatre pièces assez rares qui nous été offertes : A survivor fron Warsaw de Schönberg (œuvre dodécaphonique créée en 1948), Il canto sospeso de Nono (1956) et deux des Quatro pezzi sacri de Verdi (le Stabat mater et le Te Deum), qui sont loin d’être les plus populaires du compositeur italien. Esthétiquement, culturellement, l’écriture de Verdi (même dans les compositions tardives les plus novatrices) est évidemment on ne peut plus éloignée des langages musicaux de Schönberg ou de Nono. L’entracte, placé juste après l’exécution du Survivant de Varsovie et du Canto sospeso permet d’ailleurs judicieusement à l’auditeur de se préparer à ce changement d’esthétique. Pourtant, à l’issue du concert, on est surpris de trouver, au-delà des différences de langage, le même humanisme vibrant dans chacune des œuvres programmées. Si l’œuvre de Schönberg est un appel à ne pas oublier la barbarie nazie (le narrateur est assailli par des « vagues de mémoire », dont le caractère fragmentaire, incomplet s’explique par le traumatisme qu’il a subi), le texte du Canto sospeso a été écrit à partir de lettres de condamnés à mort de la Résistance. Dans ce contexte, le Stabat mater verdien semble condenser les expressions de toutes les douleurs face aux morts que rien ne justifie, et le Te Deum chante malgré tout l’espoir en une force spirituelle qui permettrait de dépasser le sentiment de révolte devant l’absurdité de la condition humaine – les paroles du texte liturgique sonnant presque comme un écho aux paroles de la prière (le Shema Israël chanté par le chœur d’hommes) par laquelle s’achève l’œuvre de Nono. Pendant le Canto sospeso est projeté un film de la vidéaste et photographe iranienne Shirin Neshat dont les images, évitant l’illustration littérale du texte, distillent une émotion qui offre comme un contrechant plus ou moins sibyllin à celle exprimée par la musique.
Les solistes réunis pour ce concert impressionnent tous par leur engagement, du narrateur du Survivor, le ténor Christopher Lemmings (remplaçant Thomas Allen initialement annoncé), dont le Sprechgesang est d’une précision et d’une puissance d’émotion remarquable, jusqu’aux trois chanteurs sollicités par le Canto sospeso de Nono : la mezzo Katarzyna Otczyk fait valoir un beau timbre chaud, même si elle n’a pas l’occasion de briller individuellement. Le ténor Raffaele Feo et la soprano Chantal Santon Jeffery sont beaucoup plus exposés et déjouent brillamment les embûches qui émaillent leurs parties, notamment Chantal Santon Jeffery qui doit délivrer de difficiles aigus filés, dont certains doivent être émis pianissimo.
Bravo enfin aux chœurs du Teatro Regio de Parme (préparés par Martino Faggiani), bien loin de leur répertoire habituel, et à l’orchestre Filarmonica Arturo Toscanini pour leur engagement, leur précision, leur versatilité stylistique. Dirigés par un Maxime Pascal habité, ils délivrent une superbe performance qui sera chaleureusement applaudie aux saluts finals. Le chef français, quant à lui, excelle dans la première partie du programme, mais on l’attendait moins dans le répertoire verdien… qu’il dirige pourtant avec une fougue et une conviction qui emportent l’adhésion !
Une soirée très réussie, grâce à des propositions artistiques originales et un engagement sans faille des interprètes.
A survivor from Warsaw
Récitant : Christopher Lemmings
Il canto sospeso
Soprano : Chantal Santon Jeffery
Mezzo-soprano : Katarzyna Otczyk
Ténor : Raffaele Feo
Filarmonica Arturo Toscanini, chœur du Teatro Regio de Parme (chef de chœur Martino Faggiani), dir. Maxime Pascal.
Vidéo : Shirin Neshat
A survivor from Warsaw (Arnold Schönberg) ; Il canto sospeso (Luigi Nono) ; Stabat mater et Te Deum (Verdi)
Auditorium Paganini de Parme, concert du vendredi 5 octobre 2024.