Chelsea Marilyn Zurflüh remporte le Premier Prix du 78e Concours de Genève

Créé en 1939, le Concours de Genève est l’un des concours musicaux les plus prestigieux qui soient. Récompensant instrumentistes, compositeurs, chanteurs et chefs d’orchestre, il a jadis révélé, dans le seul domaine vocal, Teresa Berganza, Victoria de los Angeles, José Van Dam ou, plus près de nous, Marina Viotti. Les épreuves sont particulièrement polyvalentes, les artistes étant amenés à chanter opéras, opérettes, zarzuelas, musique sacrée, lieder, mélodies,… Mais ils doivent aussi, et c’est l’une des originalités de cette manifestation, présenter lors de la demi-finale un « projet artistique » à réaliser durant les deux saisons suivant l’éventuelle obtention d’un prix. Les lauréats, en sus des sommes perçues (20 000 CHF pour le premier prix), bénéficient d’un accompagnement de deux années (deux ans de management, enregistrements, tournées,…). Cette année, plus de 70 candidats se sont présentés , de 22 nationalités différentes, avec une moyenne d’âge de 27 à 30 ans. Au terme des différentes épreuves, trois candidats sont parvenus en finale : Barbara Skora, mezzo polonaise de 25 ans, Jungrae Noah Kim, baryton coréen de 30 ans, et Chelsea Marilyn Zurflüh, soprano suisse de 28 ans. Les prestations de ces candidats faisaient, pour la finale, l’objet d’un accompagnement orchestral, l’Orchestre de la Suisse romande (placé curieusement en fosse et non sur le plateau) étant dirigé par Alevtina Ioffe.

C’est Barbara Skora qui ouvre le concert, avec Charlotte de Werther, Sesto de La clemenza et Rosina du Barbiere. Les présentatrices de la soirée nous apprendront, après les trois airs interprétés par Barbara Skora, que la chanteuse est souffrante. Sans doute aurait-elle dû annuler sa participation à cette finale car ce soir, la voix ne cesse hélas de se dérober. Probablement décontenancée par les difficultés rencontrées, la jeune mezzo en vient à se tromper dans les paroles et la musique qu’elle interprète : à la fin de l’air des lettres, en lieu et place de « Tu m’as dit : à Noël », la mezzo chante le « Ô Charlotte ! Et tu frémiras » qui conclut la page, plongeant l’orchestre dans un certain malaise : les musiciens, de fait, finissent par s’interrompre et laissent la chanteuse terminer l’extrait de Werther a cappella… Impossible, dans ces conditions, de juger objectivement des moyens réels de Barbara Skora : attendons de la réentendre dans des circonstances meilleures pour nous faire un idée précise de sa voix et de son chant.

© Anne-Laure Lechat

Jungrae Noah Kim (qui n’est pas inconnu du public français : il a remporté le premier prix du concours de Marmande en 2023) se lance quant à lui dans un programme exigeant, intelligent et  courageux, faisant alterner le russe (La Dame de pique), l’italien (Le nozze di Figaro) et l’allemand (Die tote Stadt). La voix est de grande qualité, la technique sûre : les difficiles vocalises qui concluent l’air d’Almaviva sont habilement négociées, l’aigu final (« E giubilar mi fa ! ») fièrement projeté, le contrôle du souffle et le legato bien maîtrisés dans l’air de Fritz.  Surtout, le style de chaque œuvre est respecté et l’interprétation très soignée. Tout au plus manque-t-il à son Comte le côté carnassier que seule une fréquentation assidue du personnage sur scène lui permettra d’acquérir. Un artiste à suivre en tout cas !

Chelsea Marilyn Zurflüh, enfin, interprète le « Da tempeste » de Giulio Cesare, le « Ach, ich fühl’s” de Die Zauberflöte, et le « O luce di quest’anima » de Linda di Chamounix. Si le Händel est de belle facture, avec des sauts de tessiture et des vocalises précises, le Mozart touche par un phrasé délicat et un joli jeu de nuances. La chanteuse nous est présentée comme un « soprano léger », mais la voix, qui ne présente nulle trace d’acidité, possède une belle rondeur ainsi que de beaux graves qui ne sont habituellement guère l’apanage des chanteuses évoluant dans cette tessiture. Comme attendu, le Donizetti, enjoué, souriant, avec ses variations (un peu chargées) et ses aigus faciles lui permettra de rallier tous les suffrages, ceux du public mais aussi ceux des différents jurys :

© Anne-Laure Lechat

 la soprano fera une razzia sur les différents prix (12 au total) offerts par le concours. Le jury officiel (présidé par Patricia Petibon et au sein duquel on remarquait les présences de Waltraud Meier ou d’Aviel Cahn) choisira en effet de lui décerner le premier prix, et elle sera également récompensée par le public, les étudiants, la Fondation Richard Wagner et les diverses autres fondations soutenant le concours.

Une pluie de récompenses justifiées mais que nous aurions aimé plus équitablement réparties entre la soprano et l’excellent Jungrae Noah Kim, chantant certes dans une tessiture moins spectaculaire mais dont le programme, pour être peut-être moins immédiatement « payant » que celui de sa consœur, était tout aussi exigeant – et tout aussi remarquablement interprété.

Les artistes

Barbara Skora, mezzo
Jungrae Noah Kim, baryton
Chelsea Marilyn Zurflüh, soprano

Orchestre de la Suisse romande, dir. Alevtina Ioffe

Jury : Patricia Petibon (présidente), Aviel Cahn, André Comploi, Jean Denes, Sophie de Lint, Susan Manoff, Waltraud Meier

Le programme

Concours de Genève 2024

Extraits de Werther (Massenet), La clemenza di Tito (Mozart), Il barbiere di Siviglia (Rossini), La Dame de Pique (Tchaikovky), Le nozze di Figaro (Mozart), Die tote Stadt (Korngold), Giulio Cesare (Händel), Die Zauberflöte (Mozart), Linda di Chamounix (Donizetti).

Grand Théâtre de Genève, concert du mardi 22 octobre 2024.