Dans les hommages (très) mesurés au compositeur décédé à 79 ans, il y a tout juste un siècle, le 4 novembre 1924, le concert du Théâtre des Champs Élysées fut un moment hors du temps. La voix a eu sa part. Mais c’est pourtant la musique de chambre qui s’est taillée la part du lion dans ce concert hors norme, puisque les trois parties de plus d’une heure chacune ont proposé trois de ces œuvres emblématiques d’un compositeur intime.
Tout d’abord un 2e quatuor en sol mineur op.45, étrangement interprété par le quatuor I Giardini. Un violon bien terne, des cordes en retrait face à un pianiste bien trop puissant et démonstratif : un hiatus peu fauréen. Le 1er quintette en ré mineur op. 89, interprété par le Quatuor Tchalik, a proposé une tout autre vision, homogène et subtile, qualités que l’on a retrouvées avec bonheur dans le Quatuor à cordes en mi mineur op. 121, dernière œuvre de Fauré.
Quelques œuvres pour piano ont constitué l’autre versant privilégié du concert. C’est à Jean-Philippe Collard, au jeu poétique et inspiré, qu’est revenu l’honneur d’ouvrir le chemin fauréen de ce concert, dans une 3e Barcarolle en sol bémol majeur op. 42 toute en nuances, puis une Ballade en fa dièse majeur op. 19 dont les mélismes, les contrechants délicats, faisaient penser aux longues phrases d’un autre musicien – des mots : Marcel Proust.
La magie opéra, et s’accentua encore en fin de deuxième partie avec ce qui fut le très grand moment de ce concert : les 9 Préludes op. 103 (en création au Théâtre des Champs-Elysées), sous les doigts si sensibles d’un Jean-Claude Pennetier de 82 ans. Ce fut un moment hors du temps, inspiré comme rarement, d’une liquidité et d’une profondeur intime insondable. L’œuvre est bouleversante avec ses paysages intérieurs tour à tour liquides, aériens, évanescents – troublants. Jean-Claude Pennetier nous emmena dans des contrées où l’air se fait rare, au plus haut des cimes.
La troisième partie a offert un des versants vocaux de Fauré, son fameux Requiem. Avec un regret : ne manquait-il pas quelques mélodies, plutôt que le Cantique de Jean Racine donné ici ? L’horizon chimérique, dont le titre seul évoque un inaccessible que Fauré ne cessait d’approcher dans ses musiques si personnelles, aurait été emblématique d’une soirée rare et si originale.
Cantique et Requiem ont été proposés en petit effectif, gardant à cette soirée l’intimité recherchée (malgré les hordes de tousseurs impénitents…). Bernard Têtu a dirigé, avec un sens raffiné des demi-teintes, les huit musiciens : un violon, une alto, deux magnifiques violoncellistes, un contrebassiste, une harpiste, une corniste parfaite et un organiste trop présent (c’est le même instrumentiste qui jouait la partie de piano du quatuor op 45). Les deux moments de violon solo ont été assurés par le premier violon du quatuor I Giardini, au son malheureusement acide, étriqué. Le petit chœur de quatorze chanteurs fut dans son élément, avec une ferveur contenue, mais les tempos rapides choisis par le chef n’ont pas permis à l’œuvre de nous transporter in paradisium. D’autant que la voix du baryton n’était pas des plus planantes. Reste que ce Requiem était à l’image de ce marathon Fauré : touchant.
—————————————————–
PS : En une telle circonstance, on déplorait l’absence remarquée des micros de France Musique…
Camille Chopin, soprano
Pierre-Yves Cras, baryton
Ensemble vocal
Bernard Tétu, direction
I Giardini
Quatuor Tchalik
Dania Tchalik, piano
Jean-Philippe Collard, piano
Jean-Claude Pennetier, piano
Centenaire Gabriel Fauré – Concerts et enregistrement
Première partie
Ballade op. 19, Impromptu n° 2, Barcarolle n° 3, Quatuor avec piano n° 2 op. 45
Deuxième partie
Neuf Préludes op. 103 (Première au Théâtre des Champs-Elysées), Quintette n° 1 avec piano op. 89
Troisième partie
Cantique de Jean Racine op. 11, Quatuor à cordes op. 121, Requiem op. 48
Paris, Théâtre des Champs-Élysées, concert du dimanche 3 novembre 2024.