Une semaine après l’incroyable concert de L’Orfeo de Monteverdi dirigé par Stéphane Fuget, le salon d’Hercule versaillais offrait une tout autre musique pour une tout autre ambiance. L’humeur était à l’amour pour ces deux œuvres presque contemporaines. Si l’une est (relativement) célèbre, l’autre fut une découverte. Jusqu’ici en effet, Pierre Iso n’est qu’un nom au cœur de la querelle des bouffons : c’est lui qui répondit à la fameuse lettre de Jean-Jacques Rousseau.
Sa Zémide est un acte de ballet de 1745, mettant en scène trois personnages, alternant récitatifs et airs enchaînés, incluant deux duos, avec des danses et un orchestre coloré, où l’ombre de Rameau plane sans cesse. Une part belle est faite aux flûtes, ici le basson évoque fugitivement le célèbre air ramiste « Tristes apprêts, pâles flambeaux » de Castor et Pollux (1737), là piccolos et tambourins font penser à quelques moments des Indes galantes (1735). Pour autant, la partition a de multiples qualités, voire de l’originalité, comme ce moment suspendu où la viole plaintive semble arrêter le temps alors que Zémide murmure « Quel trouble me saisit ! ».
L’histoire est anecdotique. L’Amour promet à Phasis de faire son bonheur. Il est épris de la froide Zémide. Celle-ci, voyant l’Amour endormi, lui vole ses attributs mais une flèche la perce au cœur, la trouble et la fait céder. Ainsi, les deux cœurs des amants vont pouvoir « s’enchaîner à jamais » grâce au tendre amour..
Photo Marc Dumont
Cette petite heure de musique charmante était portée par une distribution du plus haut niveau. L’amour de Gwendoline Blondeel faisait chatoyer son timbre et sa voix qui ne cesse de prendre de l’ampleur, malgré une diction perfectible. Le Phasis du baryton Philippe Estèphe[1], impressionnait par sa diction, sa projection, la beauté du timbre et sa présence scénique.
Le rôle-titre de Zémide était campé par la mezzo Ema Nikolovska qui impressionnait par son jeu très impliqué, sa diction claire et sa voix somptueuse, passant de la fureur vengeresse à la tendresse heureuse avec panache.
La seconde partie du concert proposait un autre acte de ballet dû cette fois à Rameau. La trame de son Pygmalion est encore plus ténue : Céphise, amoureuse du sculpteur Pygmalion, constate amèrement sa froideur. Celui-ci est tombé amoureux de sa statue qui, grâce aux dieux, sous ses yeux, prend vie. Et, logiquement, l’amour pouvait chanter sa victoire par la grâce de Gwendoline Blondeel.
© Senne Van der Ven
En Céphise, nous retrouvions la voix capiteuse d’Ema Nikolovska et la statue de Virginie Thomas ne pouvait nous laisser de marbre, tant la beauté du timbre, la précision des mots et des notes charmaient. Quant au héros de cette petite saynète, c’était le grand vainqueur de la soirée. Le Pygmalion de Reinoud Van Mechelen fait plus qu’impressionner.
Ses trois grands airs, où il développe toute une palette de nuances, de résonances, sont l’acmé de la soirée. Il bouleverse dans son air d’entrée « Fatal amour… ». Le souffle est sans fin, les vocalises superlatives dans « Règne amour… », l’air final qui fait rayonner sa voix. La puissance de son timbre semble emplir l’immense salon d’Hercule.
© Photo Marc Dumont
Il est heureux de constater l’évolution d’un artiste de cette qualité. Rameau[2] ou Gluck[3] n’ont pas de secret pour celui qui est passé de l’autre côté du miroir en dirigeant, quand il le faut, son ensemble avec lequel une se fait une véritable osmose.
Dans ce Pygmalion, le haute-contre passe donc de la place de chef à celle de chanteur en se tournant vers le public. Après avoir dirigé avec fougue et subtilité Zémide, puis une ouverture toute en contraste, il laisse alors son orchestre livré à lui-même et qui continue avec le même bonheur et entrain. Le travail en amont se sent, là tout comme avec le chœur de chambre de Namur, toujours aussi excellent, quel que soit le répertoire.
Cette soirée correspondait bien en tous points à ce que chantait Pygmalion repris par le chœur : « L’amour triomphe, annoncez sa victoire ! »
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[1] Retrouvez ici le baryton Philippe Estèphe en interview ! Et écoutez-le en Églée dans le Thésée de Lully dirigé par Christophe Rousset (3 CD Aparte, 2023)
[2] Citons sa participation aux récentes Boréades. Ses enregistrements autour des grands noms du chant du XVIIIe siècle sont tous précieux.
[3] En Orphée de Gluck à Beaune en juillet dernier.
Zémide et Céphise : Ema Nikolovska
L’Amour : Gwendoline Blondeel
Phasis : Philippe Estèphe
La Statue : Virginie Thomas
Pygmalion : Reinoud Van Mechelen
Chœur de chambre de Namur; A Nocte temporis – Reinoud Van Mechelen, haute-contre et direction
Zémide
Acte de ballet de Pierre Iso, livret du Chevalier de Laurès, créé en 1745 à l’Académie Royale de Musique. Recomposition des parties manquantes par Benoît Dratwicki (Centre de musique baroque de Versailles).
Pigmalion de Jean-Philippe Rameau (1748)
Acte de ballet de Jean-Philippe Rameau, livret de Ballot de Sauvot, créé le 27 août 1748 à l’Académie royale de musique (Opéra de Paris).
Château de Versailles (Salon d’Hercule – concert du 2 décembre 2024