Giacomo Puccini, Messa di Gloria, Cathédrale Saint-Etienne de Metz
Parmi les scènes lyriques françaises, l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz est probablement celle qui a, avec l’Opéra de Nice, fait preuve de la plus grande audace pour donner au centenaire de la mort de Puccini le lustre qu’il méritait. Après La rondine et Tosca inscrites au programme de ce début de saison – et déjà chroniquées dans les pages de Première Loge – le festival Puccini imaginé par Paul-Émile Fourny s’est achevé par la Messa di Gloria jouée le jour anniversaire de la mort du Maestro toscan dans le décor prestigieux de la cathédrale Saint-Etienne de Metz.
Une messe est possible
© Première Loge / Stéphane Lelièvre
Faire le pèlerinage de Lucques, visiter la maison natale de Giacomo Puccini sur la pittoresque piazza Cittadella et perdre ses pas autour de la petite église San Michele in Foro est une expérience particulière pour tout amateur de l’Art du compositeur originaire de ce coin de Toscane bien moins fréquenté que ne le sont Pise ou Florence. C’est là, dans une modeste cité de briques ceinturée de remparts, qu’a éclos le génie puccinien et que le jeune Giacomo a reçu ses premiers rudiments de solfège en accompagnant son père à la tribune de l’orgue paroissial dont tous les hommes de la famille ont été titulaires à partir du milieu du settecento.
Comme son arrière-grand-père Jacopo, Giacomo Puccini s’est d’abord destiné à la musique religieuse, aux improvisations dominicales et à l’accompagnement de la liturgie d’une petite cité de province jusqu’à ce qu’une représentation de Aïda vue à l’opéra de Pise alors qu’il n’avait que 17 ans ne décide de son destin et lui inocule la passion du drame en musique.
L’imagination saturée des mélodies verdiennes découvertes à l’insu de son père (une tradition tenace rapporte que le jeune Giacomo, dans un élan rimbaldien, aurait fugué et fait à pied la trentaine de kilomètres de Lucques à Pise pour y entendre Aïda), c’est pourtant sur un projet de musique religieuse que se porte le choix de Puccini lorsqu’il s’agit, en 1880, d’essayer de faire s’entrouvrir devant lui les portes de l’Istituto Musicale Pacini di Lucca.
Fort de l’héritage de cinq générations de musiciens qui ont tous composé pour les orgues de San Michele in Foro ou celles du Duomo San Martino, il s’attelle alors à l’écriture d’une messe construite sur le schéma classique Kyrie – Gloria – Credo – Sanctus – Agnus Dei. Créée à Lucques le 12 juillet 1880, cette messe pour ténor, baryton, basse et chœur à quatre voix mixtes est ensuite rapidement remisée dans les tiroirs du jeune compositeur qui, plutôt que de persévérer dans la veine de la musique religieuse, s’arrache aux fantômes encombrants de ses aïeux pour rejoindre Milan et s’inscrire au conservatoire dans la classe de composition lyrique d’Amilcare Ponchielli. On connait la suite !
Baptisée Messa di Gloria en raison d’un Gloria particulièrement brillant et étoffé (une vingtaine de minutes sur les trois quarts d’heure que dure l’œuvre) cette partition ne semble pas avoir occupé une place centrale dans la mémoire affective de son compositeur : Puccini s’en est même désintéressé assez vite, négligeant de la faire éditer, au point qu’on a cru la partition irrémédiablement perdue jusqu’à sa redécouverte en 1951 par un ecclésiastique du Duomo de Lucques. Enfin publiée et recrée à Chicago puis à Naples, la Messa di Gloria bénéficia d’une première gravure au disque en 1974 et jouit depuis lors d’une certaine audience auprès des mélomanes pucciniens qui chérissent tout particulièrement l’enregistrement de 2001 qui réunit Thomas Hampson et Roberto Alagna sous la baguette d’Antonio Pappano.
La bonne idée de Paul-Émile Fourny est d’avoir retenu cette messe festive pour honorer la mémoire de Giacomo Puccini le jour exact du 100e anniversaire de sa mort plutôt qu’un énième récital d’arie pour ténor et soprano. À défaut d’avoir composé un majestueux Requiem que ses thuriféraires auraient pu rejouer chaque année dans un silence recueilli, le Maestro de Lucques nous a donc légué une œuvre religieuse lumineuse qui fait merveilleusement écho à son amour de la vie, du vin toscan et des horizons embrumés de Torre del Lago dont il avait fait sa résidence et le lieu de ses compositions les plus ambitieuses.
Tout semblait donc concourir à faire du concert messin de ce 30 novembre 2024 un moment de recueillement festif, mais c’était sans compter sur quelques aberrations qui sont venues lourdement obérer l’intérêt de ce rendez-vous musical.
On passera rapidement sur la fausse bonne idée de donner la Missa di Gloria à la cathédrale de Metz : d’une majesté à couper le souffle, l’immense vaisseau glacé de la nef de Saint-Etienne ne se prête absolument pas à l’exécution d’une messe composée à l’extrême fin du XIXe siècle. Au-delà du dixième rang, l’acoustique devient cotonneuse, les différents pupitres se brouillent et la réverbération du son est absolument calamiteuse ainsi qu’en témoignaient des spectateurs déçus relégués au fond de la cathédrale. Installés dans les trois premiers rangs, les invités et les journalistes ont pu bénéficier d’une meilleure qualité d’audition mais c’était sans compter sur les flonflons du marché de Noël qui battait son plein sur le parvis du sanctuaire… Pour chacune de ces raisons, il aurait sans doute été plus opportun de donner ce concert dans la salle de l’Opéra-Théâtre, voire à l’auditorium de l’Arsenal.
Le deuxième sujet d’étonnement – et de déception – est d’assister à une version de la messe de Puccini réduite pour deux pianos en lieu et place de sa version originale composée pour grand orchestre. Le programme de salle n’apportant aucune justification à ce choix musicologique, on en est réduit à supposer que ce sont des considérations pécuniaires qui ont très probablement fait préférer à l’original cet arrangement de la partition réalisé par Ludovic Thirvaudey en 2007. Quand on connait la science orchestrale de Giacomo Puccini et l’importance que revêt l’orchestre dans sa manière de créer des atmosphères dramatiques propices à la mise en valeur des voix, on ne peut que déplorer cette proposition musicale a minima qui fait perdre une part significative de son intérêt à la Messa di Gloria.
Enfin, on reste étonné et perplexe devant la légèreté avec laquelle Nathalie Marmeuse triture la partition et déplace le Gloria en fin de concert au mépris de toute cohérence liturgique. On peut entendre que l’Agnus Dei qui conclut la messe n’est pas le morceau le plus brillant et qu’il s’agissait pour la cheffe de chœur de mettre à l’honneur, en ce jour anniversaire de la disparition du Maestro, l’ébouriffant Gloria qu’il a composé à l’aube de sa carrière, mais viendrait-il à l’idée de jouer Tosca dans le désordre pour terminer la représentation sur le Te Deum ? Oser une question aussi abracadabrantesque, c’est déjà y répondre…
Requiescat in gloria
Pour peu qu’on ait eu la chance d’y assister dans de bonnes conditions acoustiques, le concert anniversaire proposé à la cathédrale de Metz offrait malgré tout de somptueux moments musicaux et plusieurs motifs de satisfaction, à commencer par la brillante prestation du Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz renforcé par une vingtaine d’artistes des Chœurs de l’Opéra national de Lorraine.
Faire travailler ensemble des artistes issus de formations différentes relève souvent de la gageure mais force est de reconnaitre que la directrice musicale Nathalie Marmeuse est parvenue en quelques répétitions à homogénéiser les pupitres messins et nancéiens et à les faire sonner comme un chœur habitué de longue date à partager le plaisir du chant.
La construction fuguée de plusieurs morceaux de la Messa di Gloria permet en effet de faire circuler la musique parmi les chanteurs et c’est un plaisir pour l’oreille d’entendre la manière dont le son passe et rebondit d’un pupitre à l’autre, des basses aux ténors, puis aux altos et aux sopranos avec une fluidité naturelle.
Dès le Kyrie, il est permis d’apprécier le legato très expressif de la formation chorale réunie à la cathédrale de Metz mais c’est véritablement dans le Credo, et plus encore dans le Gloria, qu’explose l’expressivité de chanteurs sur qui repose – en l’absence d’orchestre – tout l’équilibre émotionnel du concert.
Si, dans les premières minutes, cette absence se révèle douloureusement frustrante, elle permet rapidement de mieux se concentrer sur la pâte vocale puccinienne dont on redécouvre alors les subtiles harmonies, les rythmes chaloupés et la morbidezza. Il faut effectivement admettre que l’acoustique ne sert pas particulièrement les deux pianistes Bertille Monsellier et Sergey Volyuzhskiy dont le jeu, même fortissimo, est fréquemment balayé par le torrent de décibels des chanteurs.
Composées originellement pour trois voix de ténor, de baryton et de basse, les parties solistes de la Messa di Gloria sont ce soir confiées à deux artistes français attachants au talent confirmé.
Il est assez habituel que les morceaux composés par Puccini pour les deux voix de baryton et de basse soient confiés à un même artiste ; Michel Corboz, Claudio Scimone, András Ligeti, Wilfried Maier et Antonio Pappano ont tous fait ce choix dans leurs différents enregistrements de l’œuvre, avec plus ou moins de réussite. Pour que le subterfuge donne satisfaction, il faut en effet trouver un chanteur-caméléon qui possède dans le gosier la noirceur lumineuse des notes les plus graves de la partition comme les aigus les plus brillants de la partie écrite pour baryton. Transcendé par l’enjeu de ce concert donné le soir même de l’anniversaire de la mort de Puccini, Jean-Vincent Blot (déjà fort apprécié récemment à Nantes dans une autre oeuvre puccinienne : Tosca) est très précisément l’oiseau rare qui réussit à s’approprier chacun de ses morceaux solistes avec une autorité d’intention et une somptuosité de timbre qui laissent pantois. Au cœur du Credo, il aborde le « Crucifixus » avec un aplomb de sénateur et une autorité marmoréenne qui donne soudain l’impression vertigineuse d’être face au baron Scarpia, la puissance de l’émission ne le cédant jamais à l’hédonisme du son. Plus tard dans la messe, Jean-Vincent Blot entonne « Benedictus » (la seconde partie du Sanctus) avec d’avantage de prudence, respectueux du tempo andantino expressément réclamé par Puccini : la voix se fait alors velours et réussit l’exploit de rester audible quand bien même certaines phrases sont murmurées sur le souffle.
Divinement composée par le jeune Puccini, la partie pour ténor de sa Messa di Gloria est confiée à Julien Dran dont on a déjà écrit dans ces pages tout le bien qu’on en pense. Rares sont effectivement les ténors français de sa génération aussi attentifs que lui aux nuances et à l’élégance de la messa di voce. Ce concert confirme cependant que l’instrument du chanteur bordelais n’est pas encore suffisamment mûr pour investir dans toute sa plénitude le chant puccinien. « Et incarnatus est » est abordé moderato cantabile, chaque syllabe ciselée comme une pièce d’orfèvrerie, mais l’acoustique de la cathédrale de Metz est assassine pour ce type de voix, hélas. « Gratias agimus tibi » se heurte aux mêmes difficultés, les notes aiguës peinant à parvenir à l’oreille du spectateur de manière ronde et entière. C’est finalement dans l’Agnus Dei – seul morceau de la messe qui fait dialoguer ensemble les voix des solistes – que Jean-Vincent Blot et Julien Dran sont à leur meilleur, retrouvant instantanément dès qu’ils sont côte à côte la complicité du duo des Pêcheurs de perles dont la vocalité convient si bien à leurs instruments respectifs.
D’abord imaginé par l’Opéra-Théâtre de Metz comme un temps de recueillement et le sommet du festival d’automne qu’il a consacré au centenaire de la disparition de Giacomo Puccini, ce concert permet paradoxalement de tirer des leçons pour l’avenir. On en retiendra donc que la cathédrale Saint-Etienne n’est définitivement pas l’église messine dont l’acoustique est la plus flatteuse pour la musique chorale, que Julien Dran a raison d’être prudent et de remettre à quelques années encore l’inscription des rôles de Rodolfo ou Pinkerton à son répertoire, et que la musique de Puccini n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle est jouée en la respectant dans toute sa géniale intégrité.
Direction musicale : Nathalie Marmeuse
Piano : Bertille Monsellier et Sergey Volyuzhskiy
Ténor : Julien Dran
Baryton-basse : Jean-Vincent Blot
Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz
Avec la participation d’artistes des Chœurs de l’Opéra national de Lorraine
Messa di gloria
Messe pour ténor, baryton et basse soli, chœur à quatre voix mixtes, de Giacomo Puccini. Créée à Lucques le 1 juillet 1880. Version pour deux pianos arrangée par Ludovic Thirvaudey, créée en 2007 à Annecy.
Cathédrale Saint-Etienne de Metz, concert du vendredi 29 novembre 2024.