Philharmonie de Paris : JEANNE de Francfort à Paris !
L’Orchestre symphonique de la Radio de Francfort a entamé sa tournée à l’étranger en commençant par la Philharmonie de Paris, où il a présenté, le 13 décembre, l’oratorio dramatique relativement peu joué Jeanne d’Arc au bûcher du compositeur franco-suisse Arthur Honegger, sur un texte poétique de Paul Claudel. Le rôle principal (purement théâtral) de Jeanne d’Arc, interprété pour la première fois en 1938 par la légendaire Ida Rubinstein, a été repris ce soir par l’actrice parisienne oscarisée Marion Cotillard, qui l’a déjà interprété avec succès dans le passé lors de nombreuses collaborations avec de grands orchestres. L’Orchestre de la Radio de Francfort était dirigé par le chef d’orchestre franco-arménien Alain Altinoglu, actuel directeur musical de la Monnaie de Bruxelles, tandis que le célèbre Wiener Singverein et le Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris assuraient la partie chorale, aux côtés de solistes compétents sur le plan vocal.
L’ouverture orchestrale vaporeuse a été rapidement investie du ton sombre et dramatique requis par les chœurs du Singverein, parfaitement synchronisés, avec notamment des basses masculines exquises, aux sonorités moelleuses – des chœurs très efficacement préparés par leur chef principal de longue date, Johannes Prinz. Convaincante fut la narration, par l’orchestre, d’une errance sans issue, interrompue par le battement lointain du gong, introduisant la première scène de l’œuvre. La Jeanne de Marion Cotillard a fait entendre un dialogue éloquent, direct et intense avec le frère Dominique pertinent d’Éric Génovèse, récitant ses accusations sur les sons menaçants des bassons se joignant à ceux du chœur, pour finalement tonner dans l’éclat des tambours rédempteurs. La déclamation du discours fut d’une aisance et d’une précision rythmique impressionnantes, les violons de l’orchestre donnant l’impression de « chanter » également et de conduire le développement musical – même s’ils couvraient parfois la voix.
Les acteurs Jean-Baptiste Le Vaillant et Benjamin Gazzeri ont efficacement pris en charge la narration, dessinant de manière convaincante les contours du drame dans sa globalité, rendant compte de l’évolution de l’intrigue avec clarté en évitant tout excès de verve. Parmi les solos instrumentaux, les flûtes, aux sonorités transparentes et pleinement expressives, se sont distinguées. Ont également brillé les excellents bassons et les contrebasses, aux sonorités chaudes et terreuses, qui ont toujours assuré une forme de continuo naturel, requis pour une œuvre religieuse telle qu’un oratorio. Mais l’instrument ayant volé la vedette est certainement le plus curieux d’entre tous, lesondes Martenot, l’un des premiers instruments de musique électronique, aux sonorités si particulières et agréables, utilisé ici par Honegger à bon escient.
Excellentes furent les voix angéliques du chœur d’enfants (dirigé par Richard Wilberforce) : elles ont habillé la musique d’une source de fraîcheur et d’expressivité sobre, et encadré l’acmé du drame, agissant comme un appel céleste, telle la voix divine intérieure et extérieure de Jeanne. Marion Cotillard a interprété le rôle-titre, qu’elle connaît quasi par cœur, avec une poésie sans pareille, transmettant sans relâche au public l’angoisse et le danger que recèle son destin héroïque, tout en réussissant à souligner avec éclat l’aplomb inné, l’âme bouillante, l’esprit combatif qui caractérisent cette figure tutélaire de la nation française. Dans les moments intenses précédant l’incendie, l’actrice a suivi consciencieusement l’évolution de la dynamique orchestrale impulsée par Alain Altinoglu, faisant entendre de superbes éclats dominant l’atmosphère fulminante du finale. Enfin, les solistes vocaux ont apporté une merveilleuse contribution spectacle : au sein d’une distribution brillante (Julien Dran, Isabelle Druet, Svetlana Lifar), on a particulièrement apprécié la voix de la soprano belge Ilse Eerens (dans le rôle de Vierge), au chant souple et délié, et celle de la basse Nicolas Courjal, dont les interventions ont apporté un contrepoids plein de profondeur très appréciable.
Orchestre symphonique de la Radio de Francfort
Wiener Singverein
Chœur d’enfants de l’Orchestre de Paris
Alain Altinoglu, direction
Jeanne d’Arc : Marion Cotillard
Frère Dominique : Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française
Narrateur : Benjamin Gazzeri
Narrateur : Jean-Baptiste Le Vaillant
La Vierge : Ilse Eerens
Marguerite : Isabelle Druet
Catherine : Svetlana Lifar
Julien Dran, ténor
Nicolas Courjal, basse
Johannes Prinz, Chef de chœur
Richard Wilberforce, Chef de chœur
Jeanne d’Arc au bûcher
Oratorio dramatique en 11 scènes de Paul Claudel, musique d’Arthur Honegger
Philharmonie de Paris, concert du vendredi 13 décembre 2024.