L’Académie de l’Opéra de Paris au Palais Garnier : en français dans le texte !
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Outre les concerts donnés régulièrement dans l’amphithéâtre Messiaen à Bastille, les artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra de Paris donnent aussi, annuellement, une grande soirée au palais Garnier, avec un accompagnement de l’orchestre au grand complet. Cette année, ce concert, dirigé par Patrick Lange, a eu lieu vendredi 17 janvier 2025 et, intitulé « Bizet et ses contemporains », a permis d’entendre des pages composées par l’auteur de Carmen (dont certaines relativement peu connues), mais aussi des extraits d’œuvres de Gounod et Massenet. Belle occasion pour les artistes, qui interprètent donc ce soir exclusivement des pages extraites du répertoire français, de remercier le pays et l’institution qui les accueillent – mais aussi de montrer au public le travail qu’ils accomplissent avec leurs professeurs sur la langue, la diction, le style français.
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Si certaines pages permettent ponctuellement à tel ou tel artiste de faire valoir individuellement ses qualités propres (les extraits de Djamileh, Manon, Don Procopio par exemple), le programme ne propose aucun air, mais offre une succession de duos, trios ou ensembles. L’intérêt de la formule est double : douze chanteurs et chanteuses se produisant sur scène (cinq sopranos, deux mezzos, deux ténors, deux barytons, un baryton-basse), cela évite un programme qui serait sans doute trop long si chacun devait, en plus de quelques indispensables duos ou ensembles, chanter individuellement ; mais cela permet aussi de mettre en valeur la capacité, chez ces jeunes artistes, de s’écouter, se répondre, moduler son interprétation en fonction des partenaires qui interviennent avec eux.
Une première constatation : même si la maîtrise du français est encore parfois perfectible pour plusieurs interprètes, leurs prestations témoignent d’un travail évident sur la diction, et les efforts pour être intelligibles sont (presque) toujours couronnés de succès !
La mezzo Amandine Portelli fait entendre, en Djamileh, un matériau prometteur : la ligne vocale, pas toujours suffisamment déliée, gagnerait certes à être un peu assouplie ; mais la voix est ample et fort aisément projetée (attention, de ce fait, au nécessaire équilibre avec les partenaires…). La seconde mezzo est l’Ukrainienne Sofia Anisimova, dont on apprécie le phrasé et le chant nuancé dans le joli duo de Don César de Bazan, ainsi qu’un réjouissant tempérament comique dans le quatuor de l’omelette extrait du Docteur Miracle. Dans Don César, sa Maritana est une Boglárka Brindás dont le chant est admirablement soigné et nuancé : des qualités que l’on retrouve dans sa Leïla et l’extrait de Manon (quelle belle idée d’avoir choisi la jolie scène de l’acte III, entre l’héroïne éponyme et le vieux Comte Des Grieux – et non pas le jeune Chevalier, comme l’indique par erreur le programme), où cette jeune artiste hongroise donne aussi à voir une physionomie très expressive : elle nous a semblé déjà prête à tenir des rôles de premier plan, avec également Isobel Anthony, soprano américaine faisant preuve d’une remarquable préparation en Leïla des Pêcheurs de perles : le français est clair, le timbre fruité, le panel de nuances varié, l’expressivité convaincante… Dommage que le duo avec Zurga soit, ce soir, le seul extrait où on ait pu apprécier son talent.
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© Studio J’adore ce que vous faites – Opéra national de Paris
Trois autres sopranos étaient également à l’affiche : Daria Akulova est une touchante Micaëla, dont un travail sur le souffle permettrait sans doute de peaufiner les fins de phrases, interrompues parfois de façon un peu abrupte. Lisa Chaïb-Auriol, voix fraîche et agréable, est une délicieuse Bettina de Don Procopio aux beaux aigus particulièrement agréables dans la nuance piano ; elle convainc également dans le duo de Mireille, même si le rôle, qui demande à la chanteuse de belles envolées lyriques, excède pour l’instant sans doute ses possibilités. Sa Vincenette est une Sima Ouahman aux moyens très supérieurs à ceux que l’on entend habituellement dans ce petit rôle : les graves sont bien assis, la projection est aisée, la diction très claire ; une artiste à suivre.
Côté hommes, on retrouve avec plaisir le baryton Luis-Felipe Sousa, au chant probe et soigné – même s’il lui manque un certain « vécu » pour donner à la belle réplique de Des Grieux père (« Faut-il donc savoir tant de choses ? / Que deviennent les plus beaux jours ? Où vont les premières amours ? / Où vole le parfum des roses ? ») le côté nostalgique et désabusé qui la rende si touchante. Clemens Frank et Ihor Mostovol sont les deux Zurga de la soirée. Tous deux font preuve d’une diction soignée et d’une ligne de chant propre et nuancée. Tout au plus pourrait-on souhaiter chez Ihor Mostovol plus de mordant et d’arrogance dans certains répliques : « Tu demandais sa vie ! » ; « Que l’arrêt s’accomplisse… ». (Attention également à la place de certaines respirations, qui obligent le chanteur à reprendre souffle au milieu d’un même groupe syntaxique : « Vos coupables // z’amours »). Restent enfin les deux ténors. Timbre clair, expressivité sobre : l’américano-norvégien Bergsvein Toverud dispose a priori de moyens qui pourraient être ceux adaptés au répertoire de l’opéra-comique. Le souffle doit cependant encore gagner en longueur pour permettre le legato requis par José ou Nadir. Le ténor chinois Liang Wei, enfin, peut encore progresser sur sa maîtrise de la diction du français. S’il ne convainc pas tout à fait en Haroun (Djamileh), il se montre meilleur en Nadir (duo avec Zurga) et surtout dans la sérénade de Don Odoardo : « Dans la nuit, ma bien-aimée » (Don Procopio), dont il suffira à Bizet, quelques années plus tard, de supprimer les trémolos et pizzicati des violons pour que, d’italienne, elle devienne écossaise dans La Jolie Fille de Perth ! (« À la voix d’un amant fidèle »). De toute évidence, cette page a été particulièrement bien préparée par le ténor chinois, qui en rend toute la poésie grâce à un chant délicat et une belle maîtrise du chant legato.
Prochain rendez-vous avec les artistes de l’Académie pour celles et ceux qui aiment découvrir de nouveaux talents : L’isola disabitata à l’amphithéâtre Messian (Bastille), en version scénique du 11 au 21 mars 2025.
Daria Akulova, Isobel Anthony, Boglárka Brindás, Lisa Chaïb-Auriol, Sima Ouahman, sopranos
Sofia Anisimova, Amandine Portelli, mezzo-soprano
Bergsvein Toverud, Liang Wei, ténors
Clemens Franck, Luis-Felipe Sousa, barytons
Ihor Mostovoi, baryton-basse
Gala Bizet et ses contemporains
Extraits de Djamileh, Les Pêcheurs de perles, Mireille, Carmen, Manon, Don Procopio, Don César de Bazan, Le Docteur Miracle.
Paris, Palais Garnier, concert du vendredi 17 janvier 2025.