Gala anniversaire. 150 ans du Palais Garnier, 24 janvier 2025
Un spectacle où la danse se taille la part du lion
Boîte à rêves
Certes, l’Opéra, ce n’est pas que de l’opéra. Cependant lorsque l’opéra sert d’appât, on risque de mordre trop vite et de servir soi-même de mets. Initialement annoncé dans la catégorie « Concerts », comme un événement autour de Lisette Oropesa et Ludovic Tézier, ce Gala devant fêter les 150 ans du Palais Garnier prend finalement la forme d’un tout autre spectacle où l’opéra n’est, après tout, que secondaire. En effet, trois airs, un duo, une mélodie, le finale d’une musique de scène, deux ouvertures et deux chœurs ne parviennent nullement à combler l’écart temporel qui les oppose aux moments consacrés à la danse, nettement plus développés. Au fil du temps, la distribution s’est étoffée et, ces derniers mois, le site de l’Opéra national de Paris affichait aussi Juan Diego Flórez et Lea Desandre, ainsi que les artistes en résidence à l’Académie de l’institution et son Corps de Ballet, dont les étoiles Valentine Colasante, Hugo Marchand et Marc Moreau, et le premier danseur Thomas Docquir. En arrivant sur place, le programme de salle y ajoutait Teona Todua, soprano, et Laurence Kilsby, ténor, issus tous les deux de la susmentionnée Académie, et Pranvera Lehnert Ciko, soprano, membre du chœur. Cela fait beaucoup de monde et l’impression de fourre-tout que nous avions déjà ressentie en décembre 2023 lors du Gala Callas ne fait que se confirmer, voire s’accentuer.
Dans ses déclarations d’intention, la metteure en scène Victoria Sitjà dit avoir voulu casser la structure habituelle du format classique d’un concert qu’elle ne saurait envisager comme une pure et simple suite de « pièces musicales et applaudissements ». Elle souhaite également, souci très louable, « mettre à l’honneur toutes les forces de la Maison ». Au fil des différents extraits, elle veut donc nous raconter une histoire, l’aventure de deux enfants tombés dans une boîte à rêves. C’est ainsi que, pendant l’ouverture de La Muette de Portici, se prêtant à merveille à ce périple du merveilleux, apparaît le fantôme de l’Opéra, menant les deux gamins sur le devant de la scène, cependant que défilent une colonne provenant sans doute d’une production d’Aida et Giorgio Strehler s’affairant à sa production des Nozze di Figaro. De jolies silhouettes animées sont projetées à l’arrière-plan (vidéo d’Étienne Guiol).
Trois monstres sacrés
Mais, malheureusement, assis ou debout, les deux bambins ne font qu’assister, comme les spectateurs, à cette déferlante de numéros de tout genre, restant tout de même une succession de morceaux musicaux et d’acclamations, parfois à tout va, souvent au milieu des pièces musicales elles-mêmes. La musique nous parvient quelque peu écrasée, surtout les vents, mais c’est probablement un effet dû à la place où je me trouve. Visiblement encore un peu jeunes pour une scène de cette importance – et de cette ampleur – et manquant de la projection adéquate, Teona Todua et Laurence Kilsby font revivre les affres de Donna Anna, ayant assisté au trépas de son père. Le ténor britannique est en plus affecté d’une diction assez lacunaire. Comme à l’accoutumée, le Chœur de l’Opéra national de Paris se distingue par son professionnalisme, notamment dans un bel effet de crescendo, puis de decrescendo, dans le retour des pèlerins de Tannhäuser. Le pas du Cygne noir du Lac des cygnes s’impose alors comme le plat de résistance de cette première partie, étouffant complètement la prestation de Lisette Oropesa Mathilde souveraine, affichant un sens du phrasé unique, une élocution parfaite, un legato glorieux, bref une maîtrise sans faille du style rossinien. Elle passe presque inaperçue et se glisse dans une barque, telle la Giulietta des Contes d’Hoffmann, tandis que sur les notes de « Morning Wind », d’après Circle Map de Kaija Saarihao, se relaient à la scène Turandot, l’Ariadne de Jessye Norman, Olympia. Surgit alors Juan Diego Flórez en magicien que l’on a affublé d’un manteau bien encombrant dont il se débarrasse après le récitatif, attaquant la cavatine de Gaston, version française de « La mia letizia infondere » d’Oronte : le velours du timbre, la morbidezza de l’accent, la pertinence de l’aigu constituent un moment inégalable de bonheur, sans doute trop bref. Hugo Marchand clôt la première partie dans une exécution remarquable du Boléro de Ravel, 150e anniversaire – du ballet, cette fois – oblige, entouré du Corps de Ballet masculin, tout aussi chevronné.
L’Opéra nous survivra
Pendant l’ouverture de La Flûte enchantée, les deux enfants dansent à leur tour, occasion de laisser la place à quatre couples qui occupent à nouveau le plateau simulant la valse. En corsage pailleté et grande robe rouge, Lea Desandre égrène les quelques notes de la deuxième des Études latines de Reynaldo Hahn, avant que le Quatuor n° 4 du chevalier de Saint-George ne serve de bande-son à la projection d’images évoquant le Palais Garnier depuis sa construction aux années 1960 environ. Suit la création chorégraphiée sur la musique de Short Ride in a Fast Machine de John Adam de 1986, puis la vidéo du Corsaire d’Adolphe Adam dans l’interprétation de Rudolf Noureev. Ludovic Tézier éteint judicieusement le téléviseur pour nous délecter de la chaleur de son timbre et d’un souffle infini dans la prière au soir de Wolfram von Eschenbach, comme déjà lors du Gala post-covid de juin 2021, d’une tout autre envergure. Captivante dans le finale du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, Pranvera Lehnert Ciko cède le pas aux petits rats de l’Opéra dans la Mazurka et la Polonaise de Pakita, charmants à souhait. Ludovic Tézier, Juan Diego Flórez et Lisette Oropesa reviennent alors donner la réplique au chœur dans la valse de l’acte II de Faust.
En bon professionnel, Thomas Hengelbrock agrémente la soirée de son mieux dans un programme où les compositeurs français d’opéra sont bien sacrifiés, confinés dans une ouverture et un chœur, dont seulement la première a été créée in loco, le répertoire maison étant dévolu à Rossini, à une retranscription de Verdi et à un remaniement de Wagner mais, bien évidemment, en allemand. On reste donc sur sa faim, dans tous les sens du terme, puisque le cocktail de l’entracte est tout aussi décevant, non comparable en tout cas aux somptueux buffets qui avaient été servis par le passé à des occasions similaires. Apparemment il ne devait servir que d’amuse-gueule pour celles et ceux qui étaient conviés au dîner qui suivait. Très peu mélomane, le public semble d’ailleurs être venu surtout pour cela et applaudit chaleureusement. Trois monstres sacrés, très peu mis en valeur, pour un spectacle somme toute plutôt frustrant que d’aucuns jugeront sûrement joli. Dommage que le programme n’ait pas été communiqué à l’avance… Mais chacun pourra s’en faire sa propre opinion en regardant la retransmission sur les sites de l’Opéra de Paris et de France Télévision, et depuis l’étranger sur Paris Opera Play, s’il ne l’a pas déjà fait lors de la diffusion en léger différé sur France 5.
Pour les 350 ans de l’Académie royale de musique, nous avions assisté, en mai 2019, à un Gala réunissant Anna Netrebko et Yusif Eyvazov, sous la direction d’un Lorenzo Viotti – hélas très peu présent sur la scène parisienne – béni des dieux !!! Ce fut sans doute une suite de « pièces musicales et applaudissements ». Mais l’ennui ne s’y installait jamais… « L’Opéra nous survivra », nous dit Victoria Sitjà au cours de son propos. Vraisemblablement, elle pense à l’Opéra avec un grand O, à savoir à l’Opéra de Paris. L’opéra nous survivra aussi. Certainement. En le servant cependant à la juste mesure de sa valeur et de sa glorieuse histoire.
Ludovic Tézier, baryton
Lisette Oropesa, soprano
Lea Desandre, mezzo-soprano
Juan Diego Flórez, ténor
Teona Todua, soprano
Laurence Kilsby, ténor
Pranvera Lehnert Ciko, soprano
Valentine Colasante, danseuse étoile
Marc Moreau, danseur étoile
Hugo Marchand, danseur étoile
Thomas Docquir, premier danseur
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, dir. Thomas Hengelbrock et Ching-Lien Wu
Mise en scène : Victoria Sitjà
Lumières : Louis Sady
Décors : Lucie Mazières
Vidéo : Étienne Guiol
Daniel-François-Esprit Auber – La Muette de Portici, Ouverture
Wolfgang Amadeus Mozart – Don Giovanni, « Fuggi, crudele,fuggi! » (Donna Anna, Don Ottavio) Teona Todua, Laurence Kilsby
Richard Wagner –Tannhaüser, « Beglückt darf nun dich, o Heimat, ich schauen »
Piotr Ilitch Tchaïkovski – Le Lac des Cygnes, Pas de trois du Cygne noir, Valentine Colasante, Marc Moreau, Thomas Docquir
Gioacchino Rossini – Guillaume Tell, « Sombre forêt » (Mathilde) Lisette Oropesa
Kaija Saarihao – Circle Map, « Morning Wind »
Giuseppe Verdi – Jérusalem, « Je veux encore entendre ta voix » (Gaston) Juan Diego Flórez
Maurice Ravel – Boléro, Hugo Marchand
Wolfgang Amadeus Mozart – Die Zauberflöte, Ouverture
Reynaldo Hahn – Études latines, « Néère », Lea Desandre
Joseph Bologne, chevalier de Saint-George – Quatuor n° 4
John Adam – Short Ride in a Fast Machine
Adolphe Adam – Le Corsaire, Rudolf Noureev
Richard Wagner –Tannhaüser, « O du mein holder Abendstern » (Wolfram von Eschenbach) Ludovic Tézier
4 commentaires
Les meilleurs des meilleurs !
C’est merveilleux !
Je ne comprends pas ce trop long article à l’image des Français le plus souvent toujours insatisfait. J’ai trouvé cette soirée en tous point superbe, un vrai régal. Ému de tant de talents et d’inventivité. La salle était conquise et manifesta son bonheur de longs applaudissements mérités. Heureux sans réserve. A G ancien … »critique musicale » et journaliste.
Avez-vous été invité au Gala ou avez-vous payé votre place ? On perçoit une critique qui essaie de rester dans le politiquement correct… mais qui veut défendre quoi au juste ? pour une fois je pense que c’est hors de propos. Ces Galas s’adressent presque exclusivement aux donateurs (entreprises et particuliers) sans lesquels il serait difficile de monter des projets ambitieux. Ces événements-anniversaires sont des vitrines de glamour, de tradition et de notre richesse artistique. Même un Ludovic Tezier ou une Lisette Oropesa savent ce que cela signifie que d’y apparaître et d’y être.
Je remercie France.tv pour partager cela à un public plus large. Finalement c’est ce public-là qui devrait être le plus comblé. Pas les spécialistes qui resteront tjrs sur leur faim.
Chère madame, cher monsieur,
merci pour votre lecture et pour ce commentaire.
Ce n’est pas dans mes habitudes d’accabler qui que ce soit. D’où, sans doute, votre perception du « politiquement correct ».
Je ne souhaitais défendre personne, au contraire. En tout cas, si je vous suis, le spectacle serait plus à défendre qu’à descendre. Ce que je n’ai pas fait non plus.
Je comprends la nécessité de ce genre de vitrine. Cela dit, un peu de sens critique ne fait jamais de mal. C’est probablement ce qui fait défaut à notre société actuelle.
Si cela peut vous rassurer, j’avais acheté ma place.
Bien cordialement
Camillo Faverzani