Les grandes pages du répertoire allemand à Toulon : un concert au programme crépusculaire

Les grandes pages : l’opéra allemand, Toulon, Auditorium du Palais Neptune, 22 janvier 2025

Si le titre proposé par l’Opéra de Toulon « Les grandes pages : l’opéra allemand » ne reflétait que partiellement le programme de ce concert, c’est avant tout à une très belle soirée musicale et vocale placée sous les auspices de la triade Wagner, Strauss, Mahler à laquelle nous avons assisté.

Victorien Vanoosten et l’orchestre de l’Opéra de Toulon entre Ouverture et préludes de Richard Wagner et lumière crépusculaire de Richard Strauss et de Gustav Mahler : une mission accomplie et fort bien accomplie !

Il est de la responsabilité des décideurs des maisons d’opéra de programmer un certain nombre de compositeurs dont l’apport est incontournable dans l’histoire de la musique : c’est ainsi qu’en 2012 Claude-Henri Bonnet et Giuliano Carella, alors respectivement directeur général et directeur musical avaient eu la volonté farouche de faire re-rentrer Richard Wagner au programme de l’Opéra de Toulon, en mettant à l’affiche un Lohengrin demeuré gravé dans les mémoires… en tout cas dans celle du rédacteur de ces lignes !

Depuis 2012, l’orchestre de l’Opéra de Toulon s’est étoffé du recrutement de certains titulaires dans les différents pupitres et a régulièrement l’occasion de jouer l’ensemble du répertoire symphonique, donnant aux romantiques allemands une place de choix puisque Wagner, avec l’ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg et Brahms, avec la symphonie n°3, ont été ou seront au programme de la saison déconcentrée 2024-25 de l’orchestre.

Il n’empêche pas moins que les œuvres à l’affiche lors du concert du 22 janvier relevaient d’un réel défi pour la stricte partie orchestrale tant elles nécessitaient à la fois un travail d’homogénéité et d’expressivité de l’ensemble de l’effectif (65 musiciens) et une capacité, en particulier pour les nombreuses interventions solistes (cor, violon, harpe, cor anglais, basson, hautbois, clarinette, flûte, célesta…), de dégager un sens du phrasé et, à plus d’une occasion, de la transparence.

À l’inverse de ce que l’on peut entendre chez certains Beckmesser – pour rester dans l’esprit wagnérien ! – à la jouissance difficile, nous sommes sortis absolument conquis par le tour de force accompli par l’orchestre et par son directeur musical lors de cette soirée !

En dépit de certains solos parfois un peu timides – peut-être dans l’ouverture de Tannhäuser qui ouvrait le programme et dont le décollage a tardé à venir – que de belles couleurs dans le legato du cor soliste puis de la premier violon du September puis du Beim Schlafengehen (Au coucher) des Quatre derniers lieder de Richard Strauss ! Quel souci de la transparence et de la gradation chez les cordes dans leur ascension mystique vers le crescendo du prélude de Lohengrin ! Quelle retenue, jamais sentimentaliste, dans les sonorités pourtant puériles du hautbois de « Nun will die Sonn » (« Maintenant, le soleil va se lever, radieux ») ou dans le dialogue parfait entre le cor anglais et le basson de « Wenn dein Mütterlein » (« Quand ta petite mère ») des Kindertotenlieder de Mahler ! Quant au prélude de Tristan, il nous délivre une conversation en musique d’une mystérieuse sérénité parmi les musiciens de la petite harmonie (flûtes, hautbois, clarinette).

Il revenait au jeune chef Victorien Vanoosten d’être à la manœuvre pour insuffler à sa phalange toute la poétique des partitions au programme et de garder à l’esprit l’un de leurs dénominateurs communs : la puissance simple et pourtant transcendée de ces œuvres. Maitrisant, en particulier, un savant dosage des équilibres entre les divers pupitres, Vanoosten parvient à dresser un arc musical de la plus belle facture qui permet de faire entendre, pendant 1h30 de musique, l’équilibre sonore d’un orchestre au meilleur de sa forme, de l’homogénéité de l’ouverture de Tannhäuser où tout le monde s’écoute – y compris dans le final ! – jusqu’aux accords finaux venant mourir sur l’enveloppe terrestre d’Isolde (Liebestod / Mort d’amour).

Elisabeth Teige et Mikhail Timoshenko, deux chanteurs aux voix se mêlant parfaitement à l’orchestre de l’Opéra de Toulon

Nous connaissions depuis maintenant quelques années la voix de la soprano norvégienne Elisabeth Teige, habituée du répertoire wagnérien et straussien sur les plus grandes scènes d’Europe – Bayreuth compris ! – où ses prestations sont de plus en plus suivies et appréciées par le public et la presse internationale : à elle seule, la chanteuse valait le déplacement !

Dès les premières phrases de Frühling (Printemps), on est frappé par la qualité de projection de cette voix dont on devine la puissance derrière la simplicité d’un chant sans effet. Particulièrement remarquable par son économie de mouvements, Elisabeth Teige fait montre – dans September en particulier – d’une assise dans le bas médium et le grave à laquelle beaucoup de ses consœurs actuelles, dans le même répertoire, ne nous ont guère habitué. Plus tard, c’est la capacité à se faire légère et à chanter à fleur de voix, sans jamais détimbrer, qui nous a séduit chez cette artiste. Avec la Mort d’amour d’Isolde, qui clôt le programme, c’est la capacité d’un chant magnifique à ciseler chaque mot jusqu’à l’émission pianissimo du « Lust » (« Lumière ») final qui achève de nous enthousiasmer.

Si le jeune baryton russe Mikhail Timoshenko ne dispose pas toujours d’un chant pouvant multiplier les modulations voire, en voix de tête, d’une tendance à parfois détimbrer, c’est justement la sensation de fragilité de cet organe qui nous a captivé dans cette exécution des Kindertotenlieder. Comme dans le cas de sa collègue soprano, l’interprète marque sa performance du sceau de la retenue et ne bascule jamais dans aucune sentimentalité, même lorsque le texte pourrait y donner libre cours (« Ach, zu schnell, erlosch’ner Freudenschein ! » / « Hélas, trop vite l’éclat de la joie s’éteint ! »). Dans l’ultime lied du cycle « In diesem wetter… » / « Par ce temps… », la voix sait se faire discrète pour passer derrière les violons et le son du célesta, comme si elle était celle de l’interprète d’une simple chanson… à la poésie crépusculaire.

Alors que le soir de ce concert de très haut niveau se murmurait à l’entracte le retour, dans les prochaines saisons, des opéras de Richard Wagner, nous apprenions le lendemain, 23 janvier, le licenciement à la fin de cette saison « hors-les-murs » de la totalité du chœur de l’Opéra : derrière l’immédiate tristesse ressentie pour des artistes que l’on connait personnellement, pour certains d’entre eux, c’est l’interrogation suivante qui a commencé à nous tarauder : pourquoi prendre le risque de rompre un tel niveau d’exigence artistique – tel que ce concert l’a, du point de vue orchestral, amplement prouvé – en se privant a priori de l’autre dimension essentielle d’appartenance à une maison d’opéra : un chœur attitré ?

Nous suivrons de près les pistes de réponse à cette question et à toutes celles qui ne devraient pas manquer de se poser sur le vaisseau toulonnais dans les prochaines semaines…

Les artistes

Elisabeth Teige, soprano
Mikhail Timoshenko, baryton
Orchestre de l’Opéra de Toulon, dir. Victorien Vanoosten
Laurence Monti, premier violon super soliste

Le programme

Les grandes pages : l’opéra allemand 

Richard Wagner (1813-1883)
Tannhäuser, ouverture (1845)
Lohengrin, prélude de l’acte I (1850)
Tristan und Isolde, prélude de l’acte I et Liebestod (1865)

Richard Strauss (1864-1949)
Vier letzte Lieder (Quatre derniers lieder) pour soprano et orchestre (1946-1948) d’après des poèmes d’Hermann Hesse (n°1-3) et de Joseph von Eichendorff (n°4)

Gustav Mahler (1860-1911)
Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts), version pour baryton et orchestre (1905) d’après les poèmes de Friedrich Rückert

Toulon, auditorium du Palais Neptune, Concert du mercredi 22 janvier 2025.