Montée de sève dans l’Opéra Berlioz
Fêter le printemps un jour de tempête à Montpellier ? Le concert de l’Orchestre national de Montpellier Occitanie affiche « Harmonie printanière » et fait monter la sève symphonique et vocale. Cette dernière est portée par la somptueuse soprano Elza van den Heever.
Ce 21 mars 2025, la tempête fait rage et le repli dans l’Opéra Berlioz (Corum) se savoure tout particulièrement. Car le programme « Harmonie printanière » n’est pas une simple accroche de l’Opéra Orchestre national de Montpellier, mais bien une réalité acoustique. La montée de sève surgit déjà d’Alio (2002) d’Edith Canat de Chizy, pièce symphonique dont le fourmillement sonore et l’agitation nerveuse se ramifie. Si la pulsation demeure sagement régulière, le jeu de timbres la balaie avec une puissance comparable à celle des rafales au dehors. En voulant suggérer l’Ailleurs (Alio en latin), la compositrice malaxe les couleurs de chaque pupitre entre des riff de percussions sèches, rappelant la griffe d’un Maurice Ohana (qui a été son guide).
En seconde partie de concert, la sève schumanienne, celle du printemps amoureux et poétique du compositeur, s’écoule dans les mouvements de sa 1re Symphonie op. 38 (1841). Déclenchée par un poème allemand (« Dans la vallée fleurit le printemps »), l’inspiration de la Nature n’est plus anecdotique comme dans la Pastorale beethovénienne, pas encore métaphysique comme chez Mahler, mais suggestive à l’instar de ses lieder. La direction très claire de la jeune cheffe britannique, Stephanie Childress (2e prix du concours La Maestra en 2020), structure les élans et ruptures (1er mouvement), les rebonds et syncopes (Scherzo) et l’esprit de danse (Allegro animato e grazioso). Soulignons les envolées cadentielles de la flûte solo et les joyeux clairons de cornistes, si proches du style de C.M. von Weber.
Cependant, le climax de la soirée est atteint lors des prestations beethovéniennes d’Elza van den Heever. Royale apparition dans une robe-fourreau en lamé vert, la célèbre soprano dramatique délivre toutes les émotions contrastées de l’air de concert « Ah! perfido » op. 65. Car sa technique vocale – plénitude, projection, aigus solaires tranchants si nécessaire, fluides ou murmurés en legato – se modèle sur le poème de Metastasio. Depuis le récitatif accompagné jusqu’aux mouvements contrastés, le parcours dramatique (plaintes, jalousie, etc.) se déploie jusqu’au dialogue avec les cors soli dans une recherche mimétique de timbre : magique !
La seconde performance renforce le potentiel théâtral de l’artiste et sa totale maîtrise du spectre émotionnel. Le grand air de Leonore, « Abscheulicher, wo eilst du hin« (Fidelio, 1er acte), nous transporte dans les geôles de la Terreur lorsque la courageuse épouse se travestit en homme pour sauver son époux Florestan. L’auditoire est en effet subjugué par la façon d’habiter ce rôle au concert, alors que l’artiste vient de l’incarner en ouverture de saison de la Lyric Opera de Chicago. En particulier, le « monstre abominable » du tyran, évoqué dans le récitatif tourmenté, provoque une hallucination. Alors que l’immense espoir (« Komm Hoffnung ») de l’Adagio est d’une pure sérénité (comme chez Christa Ludwig), la véhémence du dernier volet (Allegro con brio) magnifie la résolution courageuse de l’épouse, au gré de chaque ascension de gamme. Quelle immersion dans le grand art ! Aussi un franc succès couronne ces prestations dans l’Opéra Berlioz … hélas non rempli.
En lever de rideau, signalons l’intervention des représentants d’institutions culturelles de l’Hérault, dénonçant les annonces d’arrêt total de subvention du Département.
Elza van den Heever, soprano
Orchestre national de Montpellier Occitanie, dir. Stephanie Childress
- Edith Canat de Chizy, Alio
- Ludwig van Beethoven, « Ah! perfido » op. 65; « Abscheulicher, wo eilst du hin »(extrait de Fidelio, 72, 1er acte n° 9)
- Robert Schumann, Symphonie n°1, op. 38
Opéra Berlioz | Le Corum, concert du vendredi 21 mars 2025