Très beau concert hier soir au programme éclectique, à la Philharmonie de Paris, avec un Orchestre de Paris en forme olympique !
Belle découverte pour moi avec l’Ouverture Tragique en ré mineur op.81 de Johannes Brahms. J’avoue que je ne connaissais cette œuvre qu’au disque et l’avais toujours écoutée distraitement… Pour la première fois, hier, j’ai pris conscience des réelles beautés réunies par Brahms dans cette composition. Il pensa l’utiliser comme introduction à une exécution du Faust de Goethe au Burgtheater, mais finalement, elle fut créée en 1881 en même temps que la joyeuse Ouverture pour une fête académique. Evoquant ses deux Ouvertures dissemblables, Brahms déclarait : « L’une pleure et l’autre rit. »
C’est une pièce de musique pure, dans la lignée des ouvertures Egmont et Coriolan de Beethoven. On est séduit par la noble grandeur des thèmes, farouches, rudes ou fougueux, avec des moments où le temps semble se figer et s’intérioriser… C’est une œuvre particulière, à l’instrumentation sombre. La disposition de la forme est classique, avec, dans la partie développement, un thème au rythme de marche atténuée, voire énigmatique. L’Orchestre de Paris prend visiblement plaisir à s’investir dans cette ouverture, finalement assez peu jouée chez nous.
Le deuxième ouvrage revêt l’aspect lyrique du concert : les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss, sur des poèmes de Hermann Hesse (Printemps, Septembre, L’Heure du sommeil) et Joseph von Eichendorff (Au soleil couchant), pour lesquels l’orchestre se transforme en écrin attentif, liant expressivité et poésie, autour de la soprano Elsa Dreisig.
Strauss valorisa tous les styles de soprano : dramatique (Elektra, Hélène d’Egypte), légère (Sophie du Chevalier à la Rose), colorature (Zerbinette d’Ariane à Naxos) ou lyrique, comme dans ces derniers Lieder.
Adolf Hitler, qui opposait la musique de Richard Strauss à la musique « décadente » d’Arnold Schoenberg et son école, en avait fait, bien malgré lui, le musicien national de son régime. Loin de profiter de cette position, Strauss s’en servit pour aider les artistes persécutés. Le 8 juin 1948, il sortit de son procès, lavé de tout soupçon. Épuisé, il consacrera ses derniers sursauts d’inspiration à sa voix favorite, lui offrant ces quatre très émouvants lieder, qui constituent un noble couronnement de son inspiration romantique.
En 2000, Natalie Dessay déclarait : « La musique de Strauss pose des problèmes de respiration, pas de phrasé. Il y a généralement une telle adéquation entre le texte et la musique que le phrasé coule de source ». Hier soir, Elsa Dreisig, ne présentait aucun signe de faiblesse quant à sa respiration, mais surtout, témoigna d’un investissement et d’une émotivité palpitant sur chaque note, qui fascinèrent l’assistance, témoins les rappels plus que fournis. Le public, toujours gourmand (trop ?), déplora juste de ne pas obtenir un bis de la chanteuse qui nous quitta bien tôt…
Selon Hermann Hesse, « La musique repose sur l’harmonie entre le Ciel et la Terre, sur la coïncidence du trouble et du clair ». Remarquable réflexion incluse dans le programme papier, qui permit à Jukka-Pekka Saraste de poursuivre le concert avec la 5e Symphonie de Jean Sibelius. Fort belle manière pour lui de rendre hommage à son compatriote.
Créée en 1915 à Helsinki, pour les 50 ans du compositeur, mais révisée de 1916 à 1919, cette symphonie se trouva contemporaine de la révolution russe et de la guerre d’indépendance finlandaise. Son énergie galvanisante et sa grandeur l’ont faite souvent qualifier de « cosmique ».
Rien ne subsiste de la version intermédiaire de 1916, ce que l’on regrette aujourd’hui, car ce qui en est connu révèle des audaces d’écriture telles que l’harmonie bitonale ou une fugue pour cordes dont le thème évolue chromatiquement. Quoi qu’il en soit, dans cette version définitive, l’art si personnel de Sibelius, où se conjuguent des sentiments de confiance existentielle et d’angoissantes interrogations spirituelles, trouve là l’une de ses expressions les plus achevées. L’ouvrage s’épanouit dans un lyrisme confiant, voire héroïque et conquérant (dernier mouvement).
Soulignons que pour la troisième fois dans l’œuvre de Sibelius, un oiseau symbolique imprime sa marque sur cette symphonie, le cygne. Dans son Journal, Sibelius notait : « Aujourd’hui à onze heures, j’ai vu seize cygnes. L’une des plus grandes expériences de ma vie ! (…) Leurs cris étaient du même type d’instruments à vent que les grues, mais sans trémolo. Le cri du cygne plus proche de la trompette (…) Mysticisme de la nature et angoisse de la vie ! Le thème du Finale de la Cinquième symphonie : « legato » aux trompettes ! » Pour rappel, évoquons le Cygne de Tuonela, extrait des 4 Légendes du Kalevala (Lemminkäinen), de 1900 ; et Le Cygne blanc, musique de scène pour la pièce d’August Strindberg de 1908, puis suite symphonique op.54.
Avec Jukka-Pekka Saraste, l’Orchestre de Paris déploie un superbe hymne à la nature, où une puissance épique impressionnante côtoie des moments d’une fluidité infinie. Ce fut une lecture très expressive, presque lyrique, d’une partition difficile à structurer, mais pour laquelle le chef maintint une progression vigoureuse, l’intense graduation se concluant en une apothéose triomphale.
Ce concert a été enregistré pour Radio Classique et sera diffusé le dimanche 31 mai 2025 à 20h00 : ne manquez pas sa retransmission !
Elsa Dreisig, soprano
Orchestre de Paris, dir. Jukka-Pekka Saraste
Johannes Brahms
Ouverture tragique
Richard Strauss
Quatre Derniers Lieder
Jean Sibelius
Symphonie n° 5