Photos : © Opéra Royal de Wallonie – Liège
L’opéra de Liège accueille pour une seule soirée une production jeune, pleine d’enthousiasme et de fougue.
Dirigé sans partition par le talentueux chef/compositeur Patrick Leterme, qui assume aussi la direction artistique de la compagnie, le Candide Symphonic Orchestra & Choir apparaît sur la scène en ensemble réduit et dans une version sémi-scénique de l’opérette de Bernstein. Une formule avec narrateur, qui garde intact le fil rouge avec celle du célèbre concert tenu par le compositeur américain à Londres en 1989. Bien que la « forme de concert » puisse paraître moins spectaculaire aux yeux du passionné d’opéra, dans le cas de Candide elle nous semble encore aujourd’hui la solution la plus convaincante pour illustrer sans effort de mise en scène les multiples péripéties de l’œuvre, que Bernstein et Lillian Hellman s’amusent à définir comme « picaresques ». Et pourtant, le spectacle est émaillé de trouvailles scéniques et de gags à la couleur typiquement belge, parfois un peu triviales, souvent réussies, grâce aux performances d’acteurs des personnages principaux : du naïf Candide à l’espiègle Cunegonde, au « buffo » Pangloss, qui assume la double fonction de personnage et narrateur. Nous attendions peut-être un peu plus de complicité entre les personnages et l’orchestre ou plus particulièrement entre le chef et les chanteurs ou le public. On aurait pu mettre en place par exemple un certain nombre d’interactions pour mieux exploiter la présence du chef d’orchestre sur scène. Si Bernstein en 1989 animait la salle londonienne avec un sens exquis du cabotinage, cela contribua à rendre ce concert inoubliable. Voilà probablement un élément de mise en scène à creuser pour une production qui semble avoir encore un bel avenir devant elle.
Du point de vue de l’exécution musicale, l’orchestre dirigé sans fougue mais avec énergie par son chef, se mesure à une partition aux difficultés périlleuses mais visiblement rodée : il fait face avec un certain brio aux virtuosités de l’instrumentation et à l’éclectisme stylistique des différents morceaux, montrant en outre une attention particulière à la force rythmique du langage de Bernstein.
La distribution vocale constitue certainement le point fort de la soirée, mise en lumière par un chœur qui chante avec justesse et vivacité scénique, et en particulier par le trio des rôles principaux : Thomas Blondelle, très drôle en tenue bavaroise, exprime avec le timbre clair et nuancé du ténor belcantiste l’ingénuité et la pureté d’esprit de Candide, dont le rôle présente une tessiture essentiellement centrale, presque jamais portée vers l’aigu. Ainsi, la fluidité du phrasé de Blondelle, et sa capacité à nuancer les sons vers le pianissimo sont magnifiées pas ce rôle qui s’adapte à merveille à sa vocalité, rendant le contraste avec son double bouffon, Pangloss, encore plus réussi.
Le « buffo », Shadi Torbey montre des excellentes qualités d’acteur comique qui lui ont valu un véritable succès personnel. Dans le double rôle du narrateur et du vieux philosophe optimiste, il réalise un vrai tour de force qui le voit tout le temps sur scène, maîtrisant avec hardiesse et beaucoup de verve les nombreux passages de l’anglais au français, pour les hors-texte. La jeune basse porte véritablement le spectacle du point de vue du rythme théâtral, annonçant les différents changements de ton et de lieu. Dans la narration l’acteur comique est aidé très souvent par le personnage de Cunégonde, interprété par une Sarah Defrise en état de grâce. Nommée « Jeune révélation » au festival de Gand en 2017, nous avons pu mesurer la portée du talent de ce jeune soprano colorature et son sens rare de la scène. Son interprétation de Cunegonde bien qu’elle ne soit pas démunie d’un certain cabotinage parfois exagéré, s’impose toutefois par la qualité de l’artiste. Nous attendions avec trépidation le moment de l’air « Glitter And Be Gay », dont les agilités, les passages de registre, et la complexité rythmique font trembler les chanteuses les plus expérimentées, et nous avons assisté à une performance très réussie et extrêmement drôle. Petite perle : les bagues en diamant en forme de saucisses nous ont fait beaucoup rire ! Dans sa performance, Sarah Defrise a mis en évidence son étonnante facilité dans l’aigu ainsi qu’une extension vocale très large. Le public a justement acclamé l’artiste.
Les seconds rôles sont bien assurés par le baryton Samuel Namotte (Maximilian), la jeune mezzo Lotte Verstaen (Paquette) et la performance très drôle de Pati Helen-Kent dans la Old Lady. Dans le groupe des seconds rôles, une mention spéciale va à Léandro Lopez Garcia dans la double caractérisation du Governor et de Vanderdendur, qui affronte remarquablement ses deux airs « My Love » et « Bon voyage » dont les très épineuses envolées en si bémol, portent encore la marque indélébile de Nicolai Gedda pour Bernstein en 1989.
Candide Thomas Blondelle
Cunégonde Sarah Defrise
Voltaire / Pangloss Shadi Torbey
The Old Lady Pati Helen-Kent
Maximilian Samuel Namotte
Paquette Lotte Verstaen
Governor / Vanderdendur Leandro Lopez Garcia
Cacambo Gabriele Bonfatti
Ragotski / Ferone Krisztian Egyed
Candide Symphonic Orchestra and Choir
Chef des chœurs : Charles Michiels
Direction musicale Patrick Leterme
Mise en espace Patrick Leterme
Costumes Gaël Bros
Lumières Laurent Kaye
Théâtre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, version de concert du vendredi 15 novembre 2019