Une Clémence de Titus incandescente et hautement tragique à Rennes
Crédit photos : Laurent Guizard
Les propos de Pierre-Emmanuel Rousseau dans l’entretien qu’il a accordé à Première Loge laissaient présager une lecture forte et éminemment tragique de l’oeuvre : la mise en scène de cette Clémence de Titus (donnée à l’Opéra de Rennes jusqu’au 8 mars) confirme effectivement la noirceur mais aussi la violence de cette vision, l’ultime opera seria de Mozart apparaissant comme une implacable course à l’abîme de laquelle personne ne sortira indemne, en dépit d’un fallacieux fallacieux lieto fine.
Le spectacle s’articule autour d’une idée à ce point limpide qu’on s’étonne qu’elle n’ait pas été plus souvent mise en œuvre par les metteurs en scène et scénographes : l’incendie du Capitole permet d’établir, dans la tragédie, un avant et un après, et constitue ainsi un pivot symbolisé visuellement par la destruction presque complète du décor du premier acte – que le spectateurs découvrent brisé, calciné après l’entracte. La vision de ce palais ravagé par les flammes (le sol est entièrement recouvert de cendres noires) et de cadavres enveloppés dans des linceuls, au lever du rideau, suscite dans le public une émotion palpable… À partir de là, la machination ourdie par Vitellia au premier acte (la princesse y apparaît hyper sexuée : on comprend très vite que cette apparence relève, de sa part, d’une stratégie pour séduire Sesto, le faire tomber dans ses rets et le manipuler) s’emballe et plus rien ne semble devoir l’enrayer, jusqu’au désastre final : Vitellia, dévastée par le remords, perd la raison (son « Non più di fior », véritable scène de folie chantée d’une voix blanchie par une femme hagarde aux gestes désordonnés, est peut-être, dramatiquement, l’un des moments les plus forts auxquels il nous a été donné d’assister cette saison…) ; Sesto, blessé (sans doute suite à l’interrogatoire brutal qu’on lui a fait subir pour lui faire avouer son crime), est entre la vie et la mort ; et Titus, qui pensait, en pardonnant aux conspirateurs, s’être construit une statue pour la postérité, est froidement abattu par Publio… C’est intelligent, fort, puissamment dramatique, et cela met définitivement à mal l’image d’un opera seria bavard, long et un peu terne, encore trop souvent attachée à l’ ultime chef-d’oeuvre de Mozart.
Musicalement, la représentation est une excellente surprise. Très belle prestation de l’Orchestre Symphonique de Bretagne, précis, clair, transparent – et d’autant plus incisif – sous la baguette d’une sobriété paradoxalement très dramatique d’un Nicolas Krüger constamment attentif à la progression du drame. Les chœurs (chœur de chambre Mélisme(s) / Opéra de Rennes) sont superbes de présence et de musicalité.
En Publio, Christophoros Stamboglis (voix ronde, sonore, projetée sans effort) fait forte impression ; Abigail Levis donne une vraie consistance au rôle un peu ingrat d’Annio, et interprète ses deux airs de façon fort touchante. Olivia Doray est une Servilia moins légère vocalement qu’à l’accoutumée, ce qui confère au personnage un relief bienvenu. Son « S’altro le lagrime », à la ligne vocale très soignée, est particulièrement émouvant.
José Maria Lo Monaco est très convaincante, scéniquement et vocalement – même si une petite fatigue se fait sentir en fin de représentation (mais le rôle est long et l’implication de l’interprète constante !). Son Sesto fiévreux, mû par ses pulsions, son angoisse, sa lâcheté, le poids du remords, semble – et c’est une volonté du metteur en scène –un second Macbeth, au point qu’on s’attendrait presque à l’entendre chanter, lorsqu’il rejoint Vitellia après avoir mis le feu au Capitole : « Tutto è finito… », comme son lointain cousin verdien ! L’incarnation du personnage est servie par une voix chaude et une ligne de chant soignée, particulièrement dans ses deux airs (la technique belcantiste de la chanteuse lui permet notamment une belle envolée vocalisante à la fin de « Parto, ma tu ben mio… »).
Le ténor anglais Jeremy Ovenden met au service du spectacle sa belle expérience du rôle (qu’il a chanté entre autres à Vienne, Toulouse ou Madrid) : son timbre expressif, sa technique aguerrie et ses dons de comédiens rendent justice au personnage et lui permettent d’incarner de façon très convaincante un Titus plus ténébreux qu’à l’ordinaire.
Enfin, Roberta Mameli est sans doute l’une des actrices les plus accomplies que l’on puisse applaudir actuellement sur une scène d’opéra. Son incarnation est d’une telle force qu’on lui pardonne aisément quelques limites vocales (les aigus forte perdent leur vibrato et sont parfois à la limite de la justesse, défaut surtout sensible dans le trio « Vengo… aspettate ») : d’une beauté sidérante au premier acte dans les somptueuses robes dessinées par Pierre-Emmanuel Rousseau, la lente et implacable déchéance du personnage est remarquablement traduite par le chant et le jeu de l’interprète, et cette incarnation brûlante et tourmentée constitue assurément l’un des atouts majeurs de la soirée.
Un spectacle fort, qu’on retrouvera à Nantes du 15 au 23 mars et dont on espère qu’il sera encore repris par d’autres théâtres.
Le voyage de notre rédacteur a été pris en charge par l’Opéra de Rennes, auquel Première Loge adresse ses remerciements.
Tito Jeremy Ovenden
Publio Christophoros Stamboglis
Sesto Josè Maria Lo Monaco
Annio Abigail Levis
Vitellia Roberta Mameli
Servilia Olivia Doray
Choeur de chambre Mélisme(s)/Opéra de Rennes, Orchestre Symphoique de Bretagne, dir. Nicolas Krüger
Mise en scène Pierre-Emmanuel Rousseau
La Clémence de Titus, opera seria en deux actes composé par Wolfgang Amadeus Mozart en 1791, sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Metastase et La vie des douze Césars de Suétone.
Opéra de Rennes, représentation du lundi 02 mars 2020