Crédit photos : Monika Rittershaus
En raison de la pandémie, le 100e Festival de Salzbourg a été réduit à un opéra et demi : non seulement le programme du festival est restreint, mais Così fan tutte est lui-même également réduit à une version qualifiée d’ « essentielle » par le metteur en scène Christof Loy : pratiquement un seul acte, ceci afin d’éviter l’entracte, coronavirus oblige…
La réduction de la partition a été effectuée par la cheffe Joana Mallwitz – une star de la baguette aurait sans doute difficilement accepté d’accomplir cette tâche – qui dirige ici le Wiener Philharmoniker. De la trilogie dapontienne, Cosi est l’œuvre la plus concentrée en termes de péripéties et de nombre de personnages ; on se demande donc s’il fallait vraiment faire un sort aux récitatifs, ou encore couper des numéros musicaux tels le trio « È la fede delle femmine« , le duo « Al fato dan legge« , le premier choeur « Bella vita militar« , l’aria de Despina « In uomini, in soldati » et une bonne partie du premier finale. Au deuxième acte, ce sont le chœur du duo « Secondate aurette amiche« , le quatuor « La mano a me date« , l’air de Ferrando « Ah, lo vedgio : quel anima bella« , l’air de Guglielmo « Donne mie, la fate a tanti« , la cavatine de Ferrando « Tradito, scherito » qui font les frais de cette réduction. Le final de l’œuvre est lui aussi cruellement tronqué. Au total, ce sont cinquante minutes de musique qui disparaissent. Des broutilles, en somme… Le texte magistralement conçu de Da Ponte est réduit en lambeaux, et l’on en vient à penser que le Reader’s Digest lui-même n’aurait pas osé pareille réduction…
Que la direction de Mallwitz soit correcte – il n’aurait plus manqué qu’elle ne le soit pas – et que la mise en scène de Loy soit aussi prpre que d’habitude, ainsi que la scénographie minimaliste de Johannes Leiacker (un mur blanc, avec deux portes, s’ouvrant lentement sur un jardin sombre) – sans pour autant dire grand-chose de nouveau sur l’œuvre – ne compensent guère les choses : si l’on souhaite monter une œuvre courte, le théâtre musical compte un grand nombre infini de pièces en un acte qui sont de véritables chefs-d’œuvre – et qui attendent et méritent parfois d’être redécouverts.
Le casting féminin est exceptionnel. Elsa Dreisig (Fiordiligi) est une styliste d’exception, elle délivre un legato parfait, la voix est pleine, magnifiquement projetée, les notes restent fermes même dans les sauts de registre vertigineux de ses deux airs solos. Radicalement différente dans le timbre et l’émission, Marianne Crebassa, secondée par un délicat vibrato et une belle expressivité, dessine une adorable et très crédible Dorabella, la première des deux sœurs à céder à la cour des deux bellâtres. Dommage qu’à Despina, dans cette version, ne soient octroyées que des miettes, car Léa Desandre s’y montre excellente.
Les hommes sont nettement moins convaincants. Le Don Alfonso de Johannes Martin Kränzle est inexpressif, vocalement peu agréable et scéniquement inexistant, nullement aidé, il est vrai, par la mise en scène. Il partage avec le Guglielmo d’André Schuen le fait de fixer ses regards dans le vide en donnant l’impression de ne savoir quoi faire – Guglielmo se montrant par ailleurs parfois insupportablement grossier. Quant au Ferrando de Bogdan Volkov, il se montre assez insipide.
Au total, une expérience malheureuse dont on se serait aisément passé ! Qu’un festival aussi prestigieux, celui de la ville natale du compositeur, coupe un tiers de la musique d’une de ses œuvres – Così fan tutte, et non Apollo et Hyacinthus ! – nous laisse pantois. Imaginons que Damiano Michieletto commette le même forfait dans un théâtre italien : gageons que cela rallumerait aussitôt la guerre entre l’Autriche et l’Italie !
Fiordiligi Elsa Dreisig
Guglielmo Andrè Schuen
Don Alfonso Johannes Martin Kränzle
Dorabella Marianne Crebassa
Ferrando Bogdan Volkov
Despina Lea Desandre
Mise en scène Christof Loy
Wiener Philharmoniker, Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, dir. Joana Mallwitz
Opéra en deux actes, livret de Lorenzo da Ponte, créé le 26 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne