Une assez Jolie Fille…
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Jérôme Pillement, Inva Mula et Charles Workman redonnent sa chance à LA JOLIE FILLE DE PERTH
Il y a quelque vingt ans, le Théâtre Impérial de Compiègne proposait ce rare opéra de Bizet, servi par une une équipe de chanteurs remarquables par leur engagement et leurs qualités vocales et musicales.
https://www.youtube.com/watch?v=leoW1iy_dSw&feature=youtu.be
Le livret de Saint-Georges et Adenis : l’une des dernières manifestations de la Scottomanie à la française
Cette Jolie Fille n’est certes pas le plus connu des opéras de Bizet, dont la Carmen et Les Pêcheurs de perles continuent à ravir le public si l’on en croit les affiches récentes des maisons d’opéra, et ne fit pas grande carrière à la scène. De l’aveu de Bizet, le livret de Vernoy de Saint-Georges, au moins aussi prodigue en livrets de toutes sortes que son collègue Eugène Scribe, n’avait rien pour le passionner.
Relecture très éloignée du roman de Scott, il met en scène les amours de l’armurier Henry Smith et de la belle Catherine Glover que contrarient l’apprenti Ralph, jaloux de Smith, et le Duc de Rothsay, dont Mab la bohémienne cherche à se venger. Dernière manifestation en France de cette Scottomanie qui s’empare de l’Europe à partir des années 1810, le livret accumule des situations chères à Saint-Georges, qui recycle ici paresseusement ses vieilles recettes ou emprunte celles qui font le succès des opéras du temps. La scène de la folie de Catherine à l’acte IV dérive de la Lucia di Lammermoor de Donizetti et celle de l’effet de mémoire cathartique final qui lui rend sa raison de la Martha de Flotow dont Saint-Georges conçoit le livret. Même le personnage de Mab est emprunté à son ballet-pantomime La Gypsy d’après un roman de Walter Scott. Enfin, le livret hésite entre les quiproquos et les déguisements de l’opéra-comique et les grandiloquences du grand-opéra. Placé sous l’égide de ce « fou joyeux » de Carnaval qui favorise le renversement des valeurs et la gloutonnerie et donne lieu à deux chansons à boire et à l’éloge des plaisirs pendant trois actes, il finit par camper un jugement de Dieu peu crédible qui oppose l’armurier et Ralph l’apprenti gantier pour laver l’honneur perdu mais intact de la pauvre Cateau, victime des manigances de Mab.
Une partition faisant alterner vraies beautés et concessions
Musicalement, on sent bien Bizet gêné aux entournures, avec des concessions aux effets brillants, comme l’air virtuose de Catherine «Vive l’hiver » au premier acte, dont les roucoulades sont conçues à l’origine pour la star Christine Nilsson (qui préfère le rôle d’Ophélie dans le Hamlet d’Ambroise Thomas, créé sur la scène prestigieuse de l’Opéra en mars 1868) ou à la Meyerbeer, comme dans le tableau du duel. Bizet n’est jamais autant lui-même que dans un style de demi caractère proche de l’opéra-comique, qui mélange tendre mélancolie, comme dans la sérénade de Smith à l’acte II, ou humour piquant comme le premier air de Mab « Catherine est coquette » à l’acte I. Dans ces moments il déploie le charme de son génie mélodique et sa science de l’orchestration qui font le succès des suites de L’Arlésienne, des Pêcheurs et de Carmen. Parmi ces beautés, notons l’air d’ivresse de Ralph à l’acte II, un des plus beaux airs pour basse du répertoire français et le duo entre le Duc et Mab à l’acte III, dont Guiraud emprunte plus tard les parties d’orchestre pour étoffer la Suite N° 2 de L’Arlésienne. Bizet sauve d’ailleurs les plus belles pages de sa partition pour en faire les Scènes bohémiennes de la « Jolie Fille de Perth ».
Inva Mula
Charles Workman
Une très belle exécution musicale
Saluons donc ici la mémoire de Pierre Jourdan et son Théâtre Français de la Musique qui a monté tant d’opéras français injustement oubliés dans son Théâtre Impérial de Compiègne et qui signe ici la réalisation. On oubliera les costumes et les décors comme les sous-titres en anglais et espagnol de cette captation mais on peut s’étonner du manque d’applaudissements pendant le spectacle. Ils viennent (enfin !) couronner une équipe de chanteurs remarquables par leur engagement et leurs qualités vocales et musicales, sans parler de leur belle diction. Citons le Smith de Charles Workman, au timbre chaud et plein de vaillance, la Catherine d’ Inva Mula, qui se tire avec brio des roulades du « Vive l’hiver » et rend émouvant cette tête de linotte de Catherine dans sa folie, le Duc de Jean-François Lapointe, qui donne beaucoup de noblesse à un Don Juan au petit pied, et la piquante Mab de Sonia de Beaufort. Armand Arapian restitue avec justesse l’amertume de Ralph et justifie ainsi sa participation au drame malgré son rôle épisodique pendant deux actes. Dommage que cette version prive Christian Tréguier de sa chanson à Bacchus à l’acte I car il donne aux nombreux ensembles des solistes une assise solide. N’oublions pas les Cori Spezzati qui assurent, souvent invisibles, les parties chorales et l’orchestre aux belles couleurs mené par Jérôme Pillement. Un opéra à découvrir si vous ne le connaissiez pas.
Et pour rappel, ce très bel enregistrement CD d’une version restaurée complète de l’œuvre parue en 1985 avec (excusez du peu !) June Anderson, Alfredo Kraus, Gino Quilico, Margarita Zimmerman, José Van Dam et Gabriel Bacquier. Choeur de Radio France, Nouvel Orchestre Philarmonique, dir. Georges Prêtre.
Catherine Glover, fille de Simon Glover, la « Jolie Fille » Inva Mula
Henry Smith, armurier Charles Workman
Le Duc de Rothsay, gouverneur de Perth Jean-François Lapointe
Mab, reine des bohémiens Sonia de Beaufort
Ralph, apprenti de Glover Armand Arapian
Simon Glover, gantier Christian Tréguier
Deux ouvriers Florian Westphal, Paul Kirby
Un seigneur Florian Westphal
Le Majordome Paul Kirby
Orchestre de chambre de l’Opéra d’Etat Hongrois Failoni, chœurs Cori Spezzati, dir. Jérôme Pillement
Mise en scène Pierre Jourdan
La Jolie Fille de Perth
Opéra en 4 actes et sept tableaux de Georges Bizet, livret de Vernoy de Saint-Georges et Jules Adenis d’après le roman homonyme de Walter Scott, créée au Théâtre-Lyrique à Paris en 1867. Version nouvelle établie par Pierre Jourdan d’après les trois versions de la partition de Bizet.
Théâtre Français de la Musique, enregistré au Théâtre Impérial de Compiègne au cours de la saison 1998/1999